B. LA MISSION NE SATISFAIT PAS CORRECTEMENT À L'OBJECTIF DE LISIBILITÉ DES POLITIQUES PUBLIQUES
Les nouvelles règles budgétaires issues de la « LOLF » ont amené, pour l'examen du projet de loi de finances, à passer d'une logique de moyens à une logique de résultats axée sur la performance, et de fixer pour cela des indicateurs. L'entrée en vigueur de la LOLF a été aussi l'occasion d'appréhender l'examen des crédits sous forme de « missions », c'est-à-dire un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie .
Il résultait de ses règles nouvelles des exigences en termes de stabilité des maquettes budgétaires et de cohérence dans la présentation de ces missions.
Un autre apport de la LOLF devait être de permettre le rapprochement , dans le même document budgétaire, de l'ensemble des moyens consacrés à une politique publique, qu'il s'agisse en particulier de crédits budgétaires ou de dépenses fiscales .
Sur ces deux points, la mission « Ville et logement » s'avère défaillante.
1. Une vue partielle des moyens de l'Etat
La politique du logement et de la ville s'appuie au moins autant sur les mesures fiscales, dont l'importance croit chaque année, que sur des crédits budgétaires.
Or les responsables de programme ne disposent d'aucune latitude quant à ces mesures fiscales qui sont, de plus, examinées et votées par le Parlement en l'absence des ministres en charge de la mission. Ils en ignorent également les estimations de coût.
Votre rapporteur spécial ne peut que regretter cet état de fait. Le projet de loi de finances pour 2010, comme les budgets précédents, ne permet pas que s'instaure un véritable débat sur les orientations de la politique du logement.
Le présent projet de loi de finances comporte ainsi plusieurs articles 5 ( * ) qui n'ont pas été rattachés à la mission « Ville et logement » et qui ont, pourtant, un poids financier plus important que certains choix de nature purement budgétaires . Ces articles prévoient :
- la poursuite du « verdissement » entamé en 2009 pour les aides fiscales à l'investissement locatif (diminution du taux de réduction d'impôt pour les logements ne respectant pas la norme BBC -bâtiment basse consommation- sur le dispositif Scellier) et à l'acquisition de résidences principales (même diminution sur le crédit d'impôt « TEPA » pour l'achat dans l'immobilier neuf) ;
- la prolongation et surtout le maintien du doublement du PTZ pour 2010. cette dernière mesure représente une dépense fiscale totale de 1,37 milliard d'euros sur la période 2011-2017 au titre des prêts émis en 2010, dont 370 millions d'euros pour la prolongation du doublement.
2. Une structure éclatée
En 2009, l'architecture de la mission budgétaire « Ville et logement » avait connu d'importantes modifications du fait de l'intégration d'un nouveau programme intitulé « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » et de la fusion, du programme « Rénovation urbaine » et du programme « Equité sociale et territoriale et soutien » dans un nouveau programme « Politique de la ville », qui rassemblait les crédits destinés aux interventions sociales de la politique de la ville.
Le programme « Développement et amélioration de l'offre de logement » s'était vu ajouter, enfin, une action supplémentaire « Délégués du préfet dans les quartiers ». Cette action est supprimée dans la maquette du projet annuel de performances pour 2010.
Au total, cependant, la mission budgétaire gardait une cohérence certaine et conservait son statut de mission ministérielle.
Les changements intervenus en juin 2009 dans les structures gouvernementales ont mis un terme à cette cohérence. La mission « Ville et logement » est désormais à caractère interministériel et sa gestion se trouve éclatée entre deux ministres, deux secrétaires d'Etat et trois responsables de programme.
On notera cependant que la maquette budgétaire 2010 a conservé l'appartenance du programme 177 à la mission. Ce rattachement avait été souhaité par votre commission des finances dès l'examen de la loi de finances pour 2008, dans le contexte de la mise en place du droit au logement opposable, considérant que la définition des parcours résidentiels doit englober l'ensemble de la chaîne de l'hébergement et du logement .
Votre rapporteur spécial sera donc particulièrement attentif à ce que cette cohérence soit préservée, et non pas remise en cause par les considérations du comité interministériel des programmes 6 ( * ) inspirées par le souhait de reconstituer une mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » la plus vaste possible . Des engagements devront être donnés sur ce point par le Gouvernement lors de l'examen du budget 2010.
3. Des réformes qui tardent à se mettre en place
La crédibilité des moyens affichés de la politique du logement et de la ville s'apprécie, enfin, à la rapidité de mise en oeuvre effective des mesures votées.
De ce point de vue, il existe encore trop souvent un décalage important entre l'annonce des mesures et leur application. Des exemples récents en apportent la preuve. Ils concernent pour le volet logement, la garantie universelle des risques locatifs (GRL) et, dans une moindre mesure, le prélèvement sur les ressources financières des organismes d'habitations à loyer modéré, qui sont toujours en attente de décrets d'application.
La création de la GRL a été officialisée par la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 qui l'a autorisée et en a fixé le régime. Ce dispositif prenait ainsi la suite du mécanisme dit « Loca-Pass », destiné à faciliter l'accès des salariés au logement locatif que l'Union d'économie sociale du logement (UESL) avait mis en oeuvre dès 1999. La GRL devait étendre le bénéfice du dispositif à des publics non éligibles aux aides d'« Action logement » 7 ( * ) .
A compter de ce premier vote du Parlement, s'est alors ouverte une période de concertation assez laborieuse entre le Gouvernement, les représentants des assureurs et l'UESL, dont l'objet était de déterminer comment éviter que les personnes les plus modestes, allocataires d'aides au logement, soient exclues de ce dispositif.
C'est finalement par le vote d'une disposition de nature législative 8 ( * ) , à l'occasion de la loi n°2008-1443 de finances rectificative pour 2008, précisant que « sous réserve du respect des autres conditions d'éligibilité, la garantie de l'Etat est accordée dans tous les cas où le montant du loyer est inférieur à 50 % des ressources du locataire », qu'une nouvelle impulsion avait pu être donnée au dossier.
La loi n°2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion a, sur un point relativement mineur, modifié à nouveau le contexte juridique en confirmant la compétence d'« Action logement » pour gérer la GRL, mais en renvoyant la définition de ses règles de fonctionnement à un cahier des charges approuvé par décret en conseil d'Etat et non, comme auparavant, élaboré par l'UESL et approuvé par décret.
Au total, et selon les informations fournies à votre rapporteur spécial, le projet de cahier des charges a été transmis en octobre 2009 au Conseil d'Etat, et le projet de décret permettant la création de la GRL devrait l'être avant la fin de l'année 2009, soit deux ans après son annonce .
La mise en oeuvre du prélèvement sur les ressources financières des organismes d'habitations à loyer modéré, dit taxe sur les « dodus dormants » , initialement créé par la loi de mobilisation pour le logement puis repris, après l'annulation par le Conseil constitutionnel, par la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009, a également été retardée. Le décret mettant en oeuvre ce prélèvement n'a toujours pas été publié . Il doit pourtant procurer un produit de 60 millions d'euros 9 ( * ) en 2010, au profit de la CGLLS.
Selon les informations fournies, les délais de mise en oeuvre seraient dus à la lenteur des réflexions engagées entre l'Etat, l'Union sociale de l'habitat et les fédérations représentant les OPH, les SA d'HLM et les sociétés coopératives d'HLM quant à la définition de l'assiette de la taxe et le traitement particulier à réserver aux SEM. Ils résultent également des discussions en cours sur les procédures et les modalités de répartition du produit de la péréquation.
Dans le domaine de la politique de la ville , l'année écoulée aura été marquée par le non-aboutissement de la réflexion sur la révision de la géographie prioritaire , que votre commission des finances avait engagée à l'occasion de l'examen du budget 2008, en faisant adopter le principe d'une actualisation, tous les cinq ans, et pour la première fois en 2009, du zonage prioritaire.
Certes, le Gouvernement a, dans ce but, lancé une large concertation des acteurs locaux et nationaux sur les principes de la politique de la ville au cours du premier semestre 2009. Cette concertation s'est appuyée sur un livre vert préparé par le secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV). Par ailleurs, nos collègues Pierre André et Gérard Hamel, également Président de l'ANRU, ont été missionnés par le Premier ministre afin de proposer une méthode opérationnelle de révision de la géographie prioritaire. Leur rapport 10 ( * ) propose, à ce titre, la suppression des zones urbaines sensibles (ZUS) et l'adoption d'une logique différente, reposant sur une définition contractuelle Etat/communes des quartiers prioritaires.
Au motif qu'il pourrait être interprété comme remettant en cause la philosophie de la politique de la ville, dans un contexte budgétaire très difficile où l'effort de l'Etat à destination des quartiers risque d'être menacé, ce travail n'a pas été reçu positivement par la Secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville.
Au lieu d'accélérer le processus de réforme, cette initiative pourrait donc l'avoir ralenti . L'annonce que le SG-CIV et la DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) ont lancé, en octobre 2009, un appel à projet de recherche pour l'évaluation des politiques géographiquement ciblées de développement économique (ZUS, ZRU, ZFU) dont les résultats sont attendus pour le début de l'année 2011 est, de ce point de vue, inquiétante, de même que le retard pris dans le rythme des réunions des comités interministériels des villes 11 ( * ) .
Aux doutes sur l'avenir de la géographie prioritaire, s'ajoutent le report de la réforme de la dotation de solidarité urbaine 12 ( * ) et les conséquences de la réforme fiscale sur les zones franches urbaines. Ces débats non tranchés , suscitent au total, une certaine inquiétude sur les objectifs et l'engagement réel du Gouvernement quant à la relance d'une politique ambitieuse de rééquilibrage au profit des zones urbaines les plus en difficulté.
* 5 Articles 44, 45 et 46.
* 6 CIAP. Avis sur le programme 177 de la mission « ville et logement » - rapport du 18 septembre 2009.
* 7 Le 1 % Logement a été renommé Action logement fin juillet 2009 par délibération des partenaires sociaux en conseil d'administration de l'Union d'économie sociale pour le logement (UESL).
* 8 A l'initiative de la commission des affaires sociales.
* 9 Cette première estimation pourrait être ramenée à 40 millions d'euros selon les dernières informations transmises.
* 10 Rapport sur la révision de la géographie prioritaire et la contractualisation de la politique de la ville. Septembre 2009.
* 11 Le dernier CIV s'est, en effet, tenu le 20 janvier 2009 alors qu'il doit, en principe, se réunir tous les six mois.
* 12 L'article 56 du présent projet de loi de finances prévoit la simple reconduction, majorée du taux de croissance de la DSU, des attributions de DSU 2009. Voir sur ce sujet le commentaire de l'article 56, rattaché à l'examen de la mission « relations avec les collectivités territoriales ».