B. UN PROJET DE LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 2010 DE TRANSITION
2009 est une année charnière pour les retraites dans la mesure où elle se situe entre les rendez-vous de 2008 et de 2010. Cette situation explique le faible nombre de mesures relatives à l'assurance vieillesse contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
1. Une réforme équilibrée de la majoration de durée d'assurance accordée aux mères de famille
a) Les raisons de la réforme
Instaurée en 1971 dans le régime général et les régimes alignés (régimes des salariés agricoles, des commerçants et artisans), la majoration de durée d'assurance (MDA) poursuit, comme l'ensemble des droits familiaux accordés en matière de retraite 10 ( * ) , trois objectifs :
- compenser les effets entraînés par la présence des enfants sur les carrières professionnelles des mères ;
- compenser les inégalités professionnelles de fait entre les hommes et les femmes ;
- encourager la natalité.
Elle consiste à accorder aux femmes, qu'il y ait eu ou non interruption d'activité, un trimestre d'assurance à la naissance ou à l'adoption de chaque enfant, puis un trimestre supplémentaire à chaque date d'anniversaire dans la limite de sept trimestres, jusqu'au seizième anniversaire de l'enfant. Le nombre total de trimestres ne peut être supérieur à huit trimestres, soit deux ans par enfant . La MDA constitue aujourd'hui un élément essentiel de la pension des mères puisque sa suppression entraînerait une diminution de leurs retraites de 19 %.
Or, la Cour de cassation a jugé, par un arrêt du 19 février 2009, que ce dispositif n'était pas compatible avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme qui proscrit les discriminations fondées sur le sexe. En vue d'assurer la compatibilité de la législation française avec la norme internationale, elle a donc étendu le bénéfice de la majoration aux pères .
En l'absence de modification du dispositif, les nouvelles contraintes jurisprudentielles comporteraient deux sources d'iniquité :
- en traitant sur le même plan les pères et les mères, elles ne permettraient plus de prendre en compte le rôle prépondérant joué encore aujourd'hui par les femmes dans l'éducation des enfants, et donc de remédier aux écarts de durée d'assurance qui en résultent ;
- en alourdissant considérablement la charge financière (2 milliards d'euros par an en 2012 et 9 milliards en 2040) qui pèse déjà sur les régimes de retraite, elles feraient supporter aux générations futures un endettement supplémentaire s'ajoutant aux besoins de financement existants.
Inévitable, la réforme de la majoration de la durée d'assurance a été conduite dans le souci de maintenir le maximum de garanties pour les mères et d'effectuer les ajustements permettant d'assurer la compatibilité du dispositif avec les nouvelles exigences juridiques.
b) La solution proposée
La mesure figurant à l'article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 vise à corriger les incidences sur la carrière professionnelle de deux événements : d'une part, la grossesse et l'accouchement, d'autre part, l'éducation du jeune enfant. Elle consiste ainsi à remplacer la majoration de durée d'assurance actuelle de huit trimestres accordée au titre de l'éducation par deux majorations de durée d'assurance :
- une majoration de durée d'assurance de quatre trimestres accordée au titre de la grossesse , de l'accouchement et des suites de celui-ci, qui est donc attribuée à la seule mère ;
- une majoration de durée d'assurance de quatre trimestres accordée au couple au titre de l'éducation de l'enfant pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption.
Les règles d'attribution de cette seconde majoration sont différentes selon la date de naissance de l'enfant.
Pour les enfants nés ou adoptés avant le 1 er janvier 2010 , la majoration pour éducation reste réservée à la mère. Toutefois, elle pourra être accordée au père si celui-ci démontre, avant la fin de l'année 2010, qu'il a élevé seul son enfant.
Pour les enfants nés ou adoptés à compter du 1 er janvier 2010 , les parents auront la faculté de répartir librement entre eux cette majoration. Trois cas de figure pourront alors se présenter :
- si les parents s'accordent sur le partage de la majoration, ils devront en informer la caisse d'assurance vieillesse dans les six mois suivant le quatrième anniversaire de l'enfant ou son adoption ;
- en cas de silence du couple, celui-ci sera réputé avoir décidé implicitement d'attribuer la totalité des trimestres à la mère. Cette attribution automatique à la mère est fondée sur le constat que c'est elle qui, généralement, supporte l'essentiel de la charge éducative ;
- s'il y a désaccord au sein du couple sur le bénéficiaire, la majoration sera attribuée à celui des deux parents qui établira avoir contribué à titre principal à l'éducation de l'enfant pendant la période la plus longue ou, en cas d'égalité, partagée par moitié entre les parents.
Ce nouveau dispositif s'appliquera aux couples quel que soit leur statut (y compris les couples pacsés ou vivant maritalement), ainsi qu'aux parents adoptants. Afin de laisser aux caisses de retraite un temps d'adaptation suffisant, il sera applicable aux pensions liquidées à compter du 1 er avril 2010.
Une extension pure et simple de la majoration de durée d'assurance aux pères aurait été à la fois inéquitable et inenvisageable compte tenu de la situation financière de la branche vieillesse. Le dispositif proposé, largement approuvé par les partenaires sociaux, constitue donc une solution équilibrée même s'il présente certains risques .
Pour ce qui est du passé, la solution est satisfaisante puisque la mère conservera ses huit trimestres de majoration, quatre au titre de la majoration pour accouchement et quatre au titre de la majoration pour éducation.
Pour l'avenir, le dispositif privilégie le libre choix au sein du couple. C'est une solution moderne, déjà adoptée par plusieurs pays européens, mais qui comporte des risques inévitables de conflit. Il est prévu qu'en cas de désaccord entre les parents, la majoration sera attribuée à celui des deux qui établira avoir contribué à titre principal à l'éducation de l'enfant ou, en cas d'égalité, partagée par moitié entre eux. Or la notion d' « éducation à titre principal » , particulièrement vague , est la porte ouverte à une appréciation subjective de l'attribution de cette seconde majoration par les agents de la caisse de retraite chargés d'instruire les dossiers. Afin d'éviter de telles dérives, il faudra que le parent apporte des preuves formelles et objectives (jugement de divorce lui attribuant la garde de l'enfant, contrat de travail montrant le passage à une activité à temps partiel, papier administratif prouvant la prise d'un congé parental), ce qui exclut toute preuve du type témoignage ou attestation sur l'honneur.
c) La réforme des droits familiaux et conjugaux : un sujet pour 2010
Bien que globalement satisfaisante, cette réforme de la majoration de durée d'assurance n'exonère pas d' une réflexion plus approfondie sur les droits familiaux et conjugaux dans le système de retraite.
Celle-ci paraît nécessaire pour plusieurs raisons, comme le note le Cor dans son sixième rapport 11 ( * ) :
« Les régimes de retraite organisent une redistribution importante au bénéfice des personnes assumant la charge des enfants et tout particulièrement des femmes. Cependant, les règles existantes suscitent aujourd'hui des interrogations. On peut en effet s'interroger, d'une part, sur la cohérence des différents dispositifs à l'intérieur de chaque régime et entre les régimes, d'autre part, sur l'adaptation de ces règles aux situations et aux aspirations, qui évoluent au fil des générations.
« L'urgence d'une réflexion est accrue par le fait que la France se trouve confrontée aux développements d'un droit et d'une jurisprudence communautaires qui mettent en oeuvre le principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, selon une logique assez profondément étrangère à la conception française traditionnelle. »
S'appuyant sur ces travaux, la Cour des Comptes, dans son rapport de septembre 2009 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, recommande également une réforme d'ensemble des avantages familiaux de retraite. Elle remet plus particulièrement en cause les deux dispositifs qui prennent la forme d'une majoration de durée d'assurance, à savoir la MDA et l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) 12 ( * ) :
« Dans un contexte qui s'est modifié, leurs ciblages respectifs et leur cohérence semblent désormais problématiques. Chacun de ces dispositifs induit des effets négatifs croissants : désincitation au travail des femmes après soixante ans, surtout pour la MDA, illisibilité sans redéfinition des objectifs poursuivis pour l'AVPF. »
La réforme des droits familiaux et conjugaux est un dossier techniquement complexe et politiquement sensible car les préoccupations sociales et familiales se mêlent aux revendications pour l'égalité des droits entre hommes et femmes, ainsi qu'à la délicate question de la conciliation entre vie familiale et professionnelle. Nécessitant d'être approfondi et concerté, ce sujet devra faire partie des thèmes en débat lors du rendez-vous de 2010 .
2. L'amélioration des droits à la retraite des personnes invalides
Parmi les mesures vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 figurent plusieurs dispositions destinées à améliorer les droits des personnes invalides en matière de retraite.
La plus significative est celle qui consiste à permettre le versement de la pension d'invalidité de première catégorie jusqu'à l'âge de soixante ans .
La pension d'invalidité est destinée à compenser la situation d'invalidité qui réduit d'au moins les deux tiers la capacité du travail ou de gain de l'intéressé. Les invalides dits de « première catégorie » (dont le niveau d'incapacité permet la poursuite d'une activité) peuvent toutefois, s'ils le souhaitent, exercer une activité professionnelle et donc cumuler leur pension d'invalidité avec des revenus d'activité.
A soixante ans, la pension d'invalidité est remplacée par la pension de vieillesse allouée au titre de l'inaptitude au travail. Cette pension de retraite ne peut généralement être cumulée avec une activité professionnelle, le cumul emploi-retraite n'étant possible à partir de soixante ans que pour les assurés disposant d'une carrière complète. Or il s'avère que les assurés invalides disposent rarement d'une carrière complète et qu'ils sont donc généralement contraints de cesser leur activité professionnelle à soixante ans.
Pour remédier à cette situation et encourager le maintien dans l'emploi des seniors, l'article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit que la pension d'invalidité de première catégorie pourra dorénavant être versée, si l'intéressé le souhaite, jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans.
3. Le renforcement de la taxation des retraites « chapeau »
Les régimes de retraite relevant de l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale (dits « chapeau ») ont pour caractéristique essentielle que les droits à pension sont conditionnés à l'achèvement de la carrière dans l'entreprise. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a clarifié leur régime social et fiscal en confirmant l'exonération sans plafond de CSG et de cotisations sociales au profit des contributions des employeurs au financement de ces régimes . En contrepartie, cette loi a instauré une contribution, à la charge de l'employeur, affectée au fonds de solidarité vieillesse (FSV) dont le taux est compris entre 6 % et 12 % en fonction du choix de l'employeur sur le mode de prélèvement (à l'entrée ou à la sortie).
Ces règles s'avèrent beaucoup plus favorables que celles applicables aux contributions des employeurs des autres régimes de retraite supplémentaire (exonération de cotisations sociales plafonnée, assujettissement à la CSG, à la CRDS et au « forfait social »). Il est donc apparu nécessaire de corriger cet écart afin de favoriser la constitution de droits à la retraite supplémentaire selon le droit commun.
Ainsi, l'article 14 du projet de loi propose de doubler le taux de la contribution créée en 2003 , soit sur les rentes servies (passage de 8 % à 16 %), soit sur les primes versées par un organisme assureur (passage de 6 % à 12 %), soit sur les dotations aux provisions constituées en cas de gestion interne (passage de 12 % à 24 %).
* 10 Deux principaux types de droits familiaux existent dans les différents régimes de retraite français : les majorations de durée d'assurance pour enfants, qui permettent aux mères, et éventuellement aux pères, de valider des trimestres supplémentaires dans leur régime d'affiliation et les majorations du montant des pensions pour les hommes et les femmes ayant eu ou élevé trois enfants ou plus.
* 11 « Retraites : droits familiaux et conjugaux », 17 décembre 2008.
* 12 Créée en 1972, l'AVPF visait à comptabiliser les périodes passées au foyer pour élever les enfants comme des périodes d'assurance dans le calcul des pensions de vieillesse. L'objectif était de compenser les effets des diminutions ou arrêts d'activité professionnelle liés à la charge d'enfants. Progressivement, au travers de plusieurs réformes, l'accès à l'AVPF a été étendu et ses conditions d'attribution assouplies.