IV. LA PROPOSITION DE DIRECTIVE COMPORTE DES DISPOSITIONS QUI LA RENDENT INACCEPTABLE EN L'ETAT
D'après la commission européenne, la proposition de directive viserait, d'une manière générale, à adapter le cadre juridique progressivement élaboré pour faire face au développement de la mobilité des patients en Europe. Formellement, elle comporte cinq chapitres :
- les dispositions générales incluant notamment les définitions des notions employées ;
- la description des responsabilités des autorités nationales en matière de respect des principes communs dans le domaine des soins ;
- la fixation d'un nouveau régime de recours aux soins transfrontaliers ;
- la détermination d'un cadre de coopération en matière de soins transfrontaliers ;
- les mesures d'application et dispositions finales.
Or, on constate que la proposition de directive pose au moins cinq problèmes qui méritent l'attention du Parlement français et justifient une prise de position du Sénat :
- elle durcit la jurisprudence de la Cour en limitant davantage, de manière tout à fait inacceptable, la faculté pour les Etats membres d'imposer une autorisation préalable ;
- elle soumet ceux-ci à certaines obligations, notamment dans le domaine de l'information, largement hors de portée et dont l'utilité reste à démontrer ;
- elle comporte des lacunes regrettables, par exemple en matière de mobilité des professionnels de santé dont elle ne dit mot ;
- elle octroie plusieurs prérogatives à la commission européenne, qui relèvent pourtant, en vertu du principe de subsidiarité, de la compétence des Etats membres ;
- enfin, elle est source d'insécurité juridique dans des domaines particulièrement sensibles, comme celui de l'accès à la procréation médicalement assistée.
A. UN DURCISSEMENT IRRECEVABLE DES PRINCIPES POSÉS PAR LA JURISPRUDENCE COMMUNAUTAIRE
1. L'intégration de la jurisprudence dans le droit dérivé
La proposition de directive comporte un chapitre III dans lequel sont définies les modalités de « recours à des soins de santé dans un autre Etat membre ».
Pour l'essentiel, il s'agit d'une reprise détaillée et fidèle de la jurisprudence de la Cour qui, si le texte était adopté, serait donc désormais inscrite dans le droit dérivé communautaire. Par analogie avec le droit français, on pourrait dire que la proposition de directive « codifie » la jurisprudence.
L'article 8 précise ainsi les conditions de légalité d'un système d'autorisation préalable. Celle-ci n'est possible qu'à deux conditions cumulatives : d'une part, l'Etat membre prend déjà en charge le traitement demandé sur son propre territoire ; d'autre part, l'objectif du système d'autorisation est « de gérer le flux sortant de patients [...] et d'éviter que celui-ci porte ou soit susceptible de porter une atteinte grave :
- à l'équilibre financier [du] système de sécurité sociale ou à la planification et à la rationalisation mises en place dans le secteur hospitalier dans le but d'éviter toute surcapacité hospitalière, tout déséquilibre dans l'offre de soins hospitaliers et tout gaspillage logistique et financier ;
- au maintien d'un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous ;
- au maintien de la capacité de traitement ou des compétences médicales sur [le] territoire ».
On retrouve donc dans la proposition de directive les grands principes posés par la Cour de justice.
2. L'établissement d'une liste des autorisations préalables par la commission européenne : une hypothèse inadmissible
Si la proposition de directive intègre les règles définies par la CJCE, elle ajoute également une contrainte supplémentaire pour les Etats membres : seuls un certain nombre de soins, énumérés sur une liste établie par la commission, seraient susceptibles d'être soumis à une autorisation préalable. Non seulement cette disposition est contraire au principe de subsidiarité, puisqu'elle excède le champ de la coopération sanitaire auquel l'action de l'Union doit se limiter, mais elle revient surtout, de fait, à priver les Etats membres d'apprécier eux-mêmes, en fonction de la particularité de leur système de soins, de leurs priorités et de l'état de santé général de leur population, les soins qui ne peuvent être pris en charge à l'étranger que sous réserve d'autorisation préalable.
En outre, l'existence d'une liste européenne globale est incompatible avec la faculté donnée aux Etats par la Cour, et reprise par la proposition de directive, de fonder un refus d'autorisation préalable sur le risque d'atteinte grave à l'équilibre financier ou à la planification du système de soins. D'abord, le niveau des soins n'est pas le même dans tous les Etats membres. Ensuite et surtout, ils n'ont pas les mêmes priorités sanitaires et ne développent pas tous les mêmes traitements de pointe. Par conséquent, l'impossibilité d'imposer une autorisation préalable pour un soin particulier peut être financièrement anodine pour certains Etats et, au contraire, très gênante pour l'effort de planification de certains autres.
Pour toutes ces raisons, il n'est pas envisageable que la commission européenne établisse une telle liste.
Telle est déjà la position défendue au Conseil par la France, puisque le Gouvernement a proposé, lors de la présidence française, que la liste soit établie non pas par la commission, mais par chaque Etat membre. Cette solution apparaît tout à fait opportune et votre commission entend appuyer sur ce point les autorités françaises à Bruxelles.
3. L'occasion manquée de présenter un texte unique en matière de soins transfrontaliers
On l'a vu, en dehors des règles établies par la Cour, l'organisation des soins transfrontaliers est encadrée par le règlement de 1971. Il se trouve que celui-ci vient d'être révisé pour donner naissance au règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 qui devrait entrer en vigueur en 2010. Or, la Cour avait rendu, dès 2001, ses principaux arrêts en la matière et fixé les grandes lignes de sa jurisprudence.
La révision du règlement de 2004 aurait donc du être l'occasion d'intégrer la position de la Cour au droit dérivé 13 ( * ) . Le règlement d'application, en cours d'adoption, du règlement de 2004, réalise en partie ce travail, puisque le projet de texte reprend certains arrêts de la Cour. C'est le cas, par exemple, de la jurisprudence dite « Vanbraekel », selon laquelle un patient se rendant dans un autre Etat étranger pour y être soigné, et qui y est pris en charge, a droit à un remboursement complémentaire de la part de son Etat d'affiliation si le reste à charge dont il a dû s'acquitter dans l'Etat de traitement aurait été moins important s'il avait été soigné dans son Etat d'affiliation. L'article 26 du projet de règlement d'application prévoit ainsi que « lorsque la personne assurée a effectivement pris elle-même en charge tout ou partie du coût du traitement médical autorisé et que le montant que l'institution compétente est tenue de rembourser à l'institution du lieu de séjour ou à la personne assurée conformément au paragraphe 6 (coût réel) est inférieur à celui qu'elle aurait dû assumer pour le même traitement dans l'Etat membre compétent (coût théorique), l'institution compétente rembourse, sur demande, le coût du traitement qu'elle a supporté à concurrence du montant de la différence entre le coût théorique et le coût réel. Le montant du remboursement ne peut toutefois pas dépasser celui des coûts effectivement supportés par la personne assurée et peut prendre en compte les montants que la personne assurée aurait dû acquitter si le traitement avait été prodigué dans l'Etat membre compétent ».
Ceci étant, rien ne laisse penser que le projet de règlement d'application, dont la dernière version sera présentée au Conseil au mois d'avril prochain et qui bénéficie, sauf sur deux points mineurs, d'un consensus de la part des Etats membres, intègrera d'autres aspects de la jurisprudence de la Cour.
On peut donc vivement regretter que la commission européenne n'ait pas saisie l'opportunité de la révision du règlement de 1971 pour soumettre aux Etats membres un texte unique synthétisant les dispositions du droit dérivé et les règles établies par la Cour. Un tel document aurait eu l'avantage de présenter un dispositif unifié, compréhensible par les citoyens et facilement applicable par les administrations.
* 13 Affaire C-368/98, Abdon Vanbraekel et Alliance nationale de mutualités chrétiennes, 12 juillet 2001.