EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture le 13 octobre 2008.
L'objet de ce projet de loi est de réformer les règles applicables au jugement des comptes soumis aux juridictions financières, dont la Cour européenne des droits de l'homme a critiqué à plusieurs reprises le caractère inéquitable et la longueur excessive 1 ( * ) .
La plupart de ses dispositions recueillent un large consensus, qu'il s'agisse de la séparation stricte des fonctions d'instruction, de poursuite et de jugement, du renforcement du caractère contradictoire de la procédure, de la généralisation des audiences publiques ou encore de la suppression du pouvoir de remise gracieuse reconnu au ministre chargé des comptes publics à l'égard des amendes infligées par les juridictions financières aux comptables publics ou de fait.
Telle est la raison pour laquelle seuls six articles restent en discussion après la deuxième lecture par l'Assemblée nationale, le Sénat ayant lui-même adopté sans modification vingt-quatre des trente-quatre articles qui lui avaient été soumis en première lecture 2 ( * ) tout en en supprimant deux et en en ajoutant deux autres.
Au cours de cette navette parlementaire, les principales discussions ont porté, d'une part, sur la procédure de décharge des comptables publics prévue par le projet de loi initial, d'autre part, sur les dispositions relatives à la gestion de fait introduites par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Les solutions retenues par les députés en deuxième lecture constituent un compromis acceptable entre les positions exprimées par chacune des deux assemblées. Aussi votre commission des lois a-t-elle adopté sans modification les dispositions du projet de loi restant en discussion.
• La procédure, contestable d'un point de vue juridique mais acceptable d'un point de vue pratique, de décharge des comptables publics (articles 11, 21 et 28)
Alors que la réforme de la procédure de mise en jeu de la responsabilité des comptables publics et des comptables de fait, pierre de touche du projet de loi, recueille un large consensus depuis le début de la navette, celle de la procédure de décharge des comptables publics constitue paradoxalement une pierre d'achoppement sur laquelle butent les tentatives d'amendement des parlementaires.
Le rappel de ces diverses tentatives figure dans l'examen des articles. Selon la solution retenue par l'Assemblée nationale en deuxième lecture :
- les comptes devraient être examinés par un magistrat du siège chargé d'établir un rapport à fin de jugement ;
- sur la base de ce rapport, il appartiendrait au représentant du ministère public de poursuivre ou non le comptable public ;
- en l'absence de poursuite, le comptable devrait être déchargé de sa gestion par ordonnance du président de la formation de jugement ou d'un magistrat délégué à cette fin ;
- en cas de doute sur la régularité ou la sincérité des comptes, ce magistrat pourrait demander un rapport complémentaire ;
- si, au vu de ce rapport complémentaire, le ministère public persistait à ne relever aucune charge à l'encontre du comptable public, le président de la formation de jugement ou son délégué serait alors tenu de rendre l'ordonnance de décharge.
Cette solution présente l'inconvénient de rétablir une compétence liée du magistrat du siège à l'égard de celui du parquet, que le Sénat avait supprimée en première lecture au nom du principe de l'indépendance de la justice.
Elle présente toutefois plusieurs avantages : tout d'abord, cette compétence liée serait favorable au comptable public ; ensuite, la procédure serait plus rapide que celle finalement retenue par le Sénat en première lecture ; enfin, l'ordonnateur pourrait introduire un recours contre l'ordonnance de décharge, ce que le texte adopté par notre assemblée ne permettait malheureusement plus.
Cette solution n'est pas parfaite, loin s'en faut. Elle constitue cependant un compromis acceptable entre la volonté de l'Assemblée nationale de simplifier la procédure, celle du Gouvernement de conférer au ministère public le monopole de l'engagement des poursuites et les tentatives de votre commission des lois d'assurer le respect des principes de l'indépendance de la justice et du double degré de juridiction.
• Les tentatives inabouties de réforme des règles relatives à la gestion de fait (articles 16 bis et 29 ter )
En première lecture, sur proposition de M. Charles de Courson et avec les avis favorables tant de sa commission des lois que du Gouvernement, l'Assemblée nationale avait inséré dans le projet de loi, à l'unanimité, un article 16 bis transférant au juge financier la compétence des assemblées délibérantes des collectivités territoriales pour apprécier l'utilité publique de dépenses ayant donné lieu à gestion de fait.
Sur proposition de votre commission des lois et après que le Gouvernement s'en fut remis à sa sagesse, le Sénat s'était opposé à ce transfert -et avait en conséquence supprimé l'article 16 bis - pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales pourrait y faire obstacle. Ensuite, les pouvoirs des juges financiers, qui devraient se limiter à l'appréciation de la régularité de la dépense, n'étaient pas suffisamment encadrés ; or les élus locaux ont parfois déjà l'impression désagréable que les chambres régionales des comptes, dans le cadre de leur mission d'examen de la gestion des collectivités territoriales, exercent un contrôle de l'opportunité de leurs dépenses. Enfin, le pouvoir du Parlement à l'égard des gestions de fait concernant les deniers de l'Etat, qui s'exerce dans le cadre de la loi de règlement, n'était pas remis en cause ; or rien ne justifie de traiter différemment les collectivités territoriales.
Sur proposition de votre commission des lois, le Sénat avait quant à lui inséré un article 29 ter ramenant à cinq ans la durée des délais de prescription de la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics et des comptables de fait.
Le Gouvernement s'était déclaré favorable à la réduction de six à cinq ans du délai de prescription de l'action en responsabilité des comptables publics mais opposé à la réduction de dix à cinq ans du délai de prescription de la gestion de fait, faisant notamment valoir, à l'instar des organisations représentatives des magistrats financiers, que le délai de prescription de la gestion de fait courait à compter des actes constitutifs de celle-ci, et non de leur découverte, ce qui risquait d'entraîner l'impossibilité, pour le juge des comptes, de les sanctionner.
Les dispositions proposées s'inscrivaient pourtant dans le droit fil des positions prises par notre assemblée, en 2000 et 2001, à l'initiative des membres du groupe socialiste. Elles répondaient à un objectif d'harmonisation avec la réduction à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive, qui venait d'être opérée par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Elles ne revenaient pas à empêcher de facto toute condamnation pour gestion de fait car le rythme des contrôles des juridictions financières est le plus souvent triennal voire quadriennal. Enfin, les règles de prescription applicables aux infractions pénales qu'un gestionnaire de fait pourrait avoir commises seraient restées inchangées.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a accepté de maintenir la suppression de l'article 16 bis mais a modifié l'article 29 ter pour n'y conserver que les dispositions réduisant de six à cinq ans le délai de prescription de l'action en responsabilité contre les comptables publics. Le délai de prescription de la gestion de fait resterait donc fixé à dix ans à compter des actes constitutifs de celle-ci.
Ce compromis paraît acceptable. Il semble en effet préférable, compte tenu de l'absence de consensus sur les dispositions adoptées par chacune des deux assemblées, que les règles relatives à la gestion de fait fassent l'objet d'un examen d'ensemble dans le cadre de la réforme annoncée des missions des juridictions financières et des règles relatives à la responsabilité des gestionnaires publics.
Les autres amendements adoptés par l'Assemblée nationale en deuxième lecture sont formels.
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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des lois a adopté sans modification le projet de loi relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes .
* 1 1 er juin 2004, Richard-Dubarry c/ France ; 12 avril 2006, Martinie c/ France ; 10 mai 2007, Tedesco c/ France ; 24 juillet 2007, Baumet c/ France.
* 2 En première lecture, l'Assemblée nationale avait ajouté trois articles aux trente et un que comportait le projet de loi initial.