III. DES CHANTIERS QUI RESTENT OUVERTS
A. LA QUESTION DU RECEL DU SECRET DE L'INSTRUCTION
A la suite d'un amendement du rapporteur de la commission des lois, l'Assemblée nationale a complété l'article premier du projet de loi afin d'inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet qu'une personne poursuivie pour diffamation puisse, pour les besoins de sa défense, établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires en produisant des pièces couvertes par le secret de l'enquête ou le secret de l'instruction sans encourir par la suite de poursuite pour recel de violation du secret de l'instruction.
Bien que la Cour européenne des droits de l'homme n'ait pas eu à se prononcer jusqu'à présent sur le cas d'un journaliste poursuivi pour diffamation et ne pouvant produire pour sa défense des documents couverts par un secret, il fait peu de doute que sa jurisprudence irait dans le même sens que celle de la Cour de cassation au nom du respect des droits de la défense.
Par cohérence, votre commission vous soumet un amendement prévoyant que le prévenu peut produire pour sa défense, outre des pièces couvertes par le secret de l'enquête ou de l'instruction, des pièces couvertes par le secret professionnel.
Au cours de ses auditions, votre rapporteur a également été sensibilisé par de nombreux représentants de journalistes ou d'entreprises de presse ainsi que par le syndicat de la magistrature à la question du recel de violation du secret de l'instruction. De nombreux journaux et journalistes sont en effet poursuivi pour recel de violation du secret de l'instruction, lorsqu'ils publient par exemple à l'appui de leur article la reproduction d'une pièce couverte par le secret de l'instruction.
Légitimes en elles-mêmes, ces poursuites deviennent paradoxales à partir du moment où, en matière de diffamation, l'on peut exciper de sa propre turpitude pour sa défense. Dans un cas, le produit de la violation du secret de l'instruction justifie des poursuites pour recel, dans un autre, il est un moyen de défense.
Cette situation déséquilibrée conduit nécessairement à s'interroger sur la cohérence de l'infraction de recel de violation d'un secret protégé par la loi.
Cela est d'autant plus justifié que la Cour européenne des droits de l'homme a déjà condamné la France dans plusieurs arrêts portant sur des condamnations pour recel de violation du secret professionnel 12 ( * ) ou du secret de l'instruction 13 ( * ) . Dans ces arrêts, la Cour de Strasbourg a considéré en l'espèce que ce type de condamnation remettait en cause la nature et la précision de l'information en laissant planer une menace de sanction à l'encontre des journalistes qui la détiennent. Elle rappelle aussi qu'un journaliste qui publie une information doit pouvoir justifier d'une base factuelle solide, ce qui suppose la possibilité de détenir et publier des documents couverts par le secret de l'instruction ou professionnel.
Toutefois, votre rapporteur juge qu'il ne serait pas opportun de supprimer à l'occasion de ce projet de loi le délit de recel de violation du secret de l'instruction ou professionnel. En effet, une telle disposition aurait pour effet de signer en pratique la fin du secret de l'instruction, puisqu'aucun frein ne pourrait plus y être opposé. Certes, d'ores et déjà, le secret de l'instruction est très affaibli. Mais l'existence du délit de recel a malgré tout pour effet d'obliger les journalistes à adopter une attitude responsable et à ne pas céder systématiquement à la facilité de publier des pièces protégées par le secret de l'instruction.
En tout état de cause, la suppression du délit de recel ne pourrait intervenir que dans le cadre d'une réforme d'ensemble du secret de l'instruction.
B. AVANCER VERS LA CRÉATION D'UN CONSEIL DE LA PRESSE ?
Au cours de ses auditions, votre rapporteur a interrogé systématiquement les personnes entendues sur la possibilité de mieux organiser le respect de la déontologie par les journalistes et les entreprises de presse.
En effet, ce projet de loi tendant à reconnaître de nouveaux droits et à faire bénéficier les journalistes de procédures dérogatoires au droit commun habituellement réservées à des professions réglementées, il n'est pas illégitime d'envisager des contreparties garantissant que les journalistes n'abuseront pas de ces nouveaux droits.
Plusieurs arguments ont été opposés à la création d'une sorte de conseil français de la presse. De fait, chaque organe de presse assurerait en interne le respect de la déontologie, des débats permanents et quotidiens animant les rédactions. En outre, le droit à la liberté d'expression supposerait le libre accès à la profession de journaliste, c'est-à-dire l'absence d'une obligation d'agrément. Enfin, traditionnellement et historiquement, la presse française serait opposée à toute tentative d'organisation de la profession.
Votre rapporteur tient ici à lever tout malentendu sur ses réflexions. La création d'un conseil de la presse ne consisterait pas à placer sous la tutelle de l'Etat la profession de journaliste. Cette instance comme la commission de la carte professionnelle qui est chargée de délivrer la carte de journaliste serait composée exclusivement de représentants des journalistes et des entreprises de presse.
S'inspirant des exemples étrangers, notamment belges, suisses ou québécois, qui démontrent d'ailleurs qu'il peut y avoir un conseil de la presse dans une société démocratique, on pourrait également imaginer que soit représenté au sein de ce conseil les lecteurs.
Quant aux missions et pouvoirs de cette instance, plusieurs solutions sont évidemment possibles : organe simplement consultatif, pouvoir de sanction, auto-saisine...
Le consensus n'existe pas aujourd'hui pour créer un conseil français de la presse. Mais il semble important à votre rapporteur de relancer cette réflexion à l'occasion de ce texte.
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Au bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le projet de loi .
* 12 Arrêt Fressoz et Roire c/ France du 21 janvier 1999 précité.
* 13 Arrêt Dupuis et autres c/ France du 7 juin 2007.