N° 348

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 mai 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur le projet de loi (urgence déclarée) relatif à la responsabilité environnementale ,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine , président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Hérisson , vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Jean Pépin, Bruno Sido, Daniel Soulage , secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Raymond Couderc, Roland Courteau, Jean-Claude Danglot, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Jean Desessard, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Charles Josselin, Mme Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Élisabeth Lamure, MM. Gérard Larcher, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jacques Muller, Mme Jacqueline Panis, MM. Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Yannick Texier.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

288 (2006-2007)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Près de trois ans après l'adoption de la directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale 1 ( * ) , le Sénat a été saisi, le 5 avril 2007, d'un projet de loi assurant sa transposition en droit français. La date limite de transposition était fixée au 30 avril 2007. Il a pourtant fallu attendre un an pour que ce texte soit enfin inscrit à l'ordre du jour, alors même que la Commission européenne avait adressé une mise en demeure à la France le 1 er juin 2007 suivie d'un avis motivé le 31 janvier 2008 . Désigné par la commission des affaires économiques dès le 22 mai 2007, votre rapporteur ne peut que regretter le retard ainsi pris, et se réjouir concomitamment de l'occasion enfin donnée au législateur d'adopter ce texte avant le début de la présidence française de l'Union européenne, le 1 er juillet prochain.

Elle-même issue d'un long parcours communautaire, la directive européenne institue l'obligation de prévenir et de réparer certains dommages graves causés à l'environnement par une activité économique et pose ainsi, pour la première fois, le principe de réparation du dommage écologique « pur », indépendamment de toute atteinte à des biens ou des personnes. Onze Etats sur 27 ont à ce jour communiqué leurs textes de transposition, l'Italie, la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, la Hongrie, l'Allemagne, la Slovaquie, la Suède, l'Espagne et Chypre, ainsi que la Belgique sauf pour ce qui est de la région de Bruxelles.

Le projet de loi n° 288 déposé sur le bureau du Sénat répond également, d'une certaine manière, à une exigence nationale , puisque la Charte de l'environnement, inscrite dans la Constitution en 2005 2 ( * ) , a posé dans son article 4, l'obligation de réparer les dommages causés à l'environnement, « fondant ainsi juridiquement la mise en place d'un régime de responsabilité applicable en matière d'environnement que le législateur est invité à mettre en place 3 ( * ) ».

Votre commission ne saurait en outre ignorer deux faits intervenus depuis le dépôt de ce projet de loi sur le bureau du Sénat. D'une part, dans le cadre du « Grenelle de l'environnement », le groupe n° 3, intitulé « Instaurer un environnement respectueux pour la santé », a estimé dans ses conclusions que « le principe pollueur payeur doit être systématisé en particulier au travers de la responsabilité environnementale, pour des raisons simultanées de protection environnementale et sanitaire et de loyauté de la concurrence. (...) Les différents collèges s'accordent à demander que les moyens des corps de contrôle des installations classées et des corps de contrôles actifs dans le domaine des substances chimiques soient significativement renforcés ». Votre commission ne peut qu'insister sur l'importance qui s'attache à ce renforcement des corps de contrôle, dont le rôle pour l'application des nouvelles dispositions sera essentiel.

D'autre part, le récent jugement relatif à la marée noire engendrée par le naufrage de l'Erika a clairement consacré pour la première fois la possibilité d'une indemnisation du préjudice résultant d'une atteinte à l'environnement, en dehors du préjudice moral et du préjudice matériel. Il a toutefois procédé à une application des principes classiques du droit de la réparation, distincte du régime de police administrative prévu par le présent projet de loi, au terme duquel l'exploitant doit réparer par des mesures concrètes les dommages subis par l'environnement. Cette réparation « sur le terrain » s'exercera indépendamment des éventuelles poursuites pénales et civiles qui peuvent être exercées en cas de survenance d'un tel dommage.

Enfin, le droit communautaire a lui-même connu des évolutions non négligeables depuis 2004 avec, notamment, l'adoption d'une proposition de directive relative aux sanctions pénales en matière d'environnement et, plus récemment, d'une directive visant à traiter la question des sols pollués en Europe .

Tout en replaçant ainsi la directive relative à la responsabilité environnementale dans un contexte communautaire et national très évolutif, votre commission estime qu'il ne faut pas mésestimer son caractère novateur . En effet, s'il existe déjà, en droit français, une obligation de remise en état applicable aux installations classées, les nouvelles dispositions vont plus loin, notamment en s'appliquant, par exemple, aux impacts graves sur l'environnement des infrastructures de transport ou encore des installations touristiques en milieu naturel (en cas de faute de l'exploitant).

Le projet de loi qui vous est soumis transpose la directive à partir de deux principes : une grande fidélité au texte communautaire et le maintien des dispositions nationales plus contraignantes . La France disposait en effet, avec sa législation sur les installations classées, d'une avance certaine pour l'application de certaines dispositions de la directive.

Le texte qui vous est présenté a lui-même fait l'objet, à l'automne 2006, d'une large consultation publique au cours de laquelle toutes les parties prenantes ont pu s'exprimer. C'est pourquoi, au terme de ce long parcours, votre commission n'a pas pour ambition de bouleverser les équilibres du texte, jugeant que celui-ci offre un compromis satisfaisant entre exigences économiques et protection des milieux naturels afin de tenir compte du caractère évolutif des progrès technologiques et des contraintes financières des exploitants.

Elle souhaite en priorité réduire le plus possible les incertitudes juridiques du texte afin de sécuriser les acteurs du monde économique, qui seront chargés, au premier chef, de l'application des dispositions. Un certain nombre de notions devront ainsi impérativement être précisées, comme celles de dommage « grave », d'« état initial » ou encore de « services écologiques ». Elle juge également impératif de ne pas soumettre la France à des contraintes excessives qui entraîneraient des distorsions de concurrence importantes par rapport aux autres Etats membres, l'objectif de la directive étant d'établir un cadre « harmonisé » au niveau européen.

Votre commission a par ailleurs souhaité qu'à l'occasion de ce texte, à la veille de la présidence française de l'Union européenne, la France puisse se mettre en conformité avec ses obligations communautaires en matière d'environnement . Elle vous propose donc, après avoir associé l'ensemble des groupes politiques du Sénat à sa démarche, au cours d'une réunion organisée le 14 mai dernier en présence de représentants du ministère chargé du développement durable, d'adopter des amendements assurant la complète transposition de directives actuellement en retard de transposition et pour lesquelles la France fait l'objet de procédures de mise en demeure ou d'avis motivé de la Commission européenne .

Avant d'aborder l'examen du projet de loi et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose de rappeler le contenu de la directive sur la responsabilité environnementale et le contexte communautaire et nationale dans lequel elle s'inscrit.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Comme le reconnaît un juriste, « Les atteintes à l'environnement, par leur caractère éminemment collectif et leur absence de répercussions sur les personnes, mettent à l'épreuve la notion de classique de préjudice 4 ( * ) », qui requiert un caractère personnel. La directive du 21 avril 2004 relative à la responsabilité environnementale, adoptée au terme d'un long parcours, vise à répondre à cette question en posant un principe de prévention et de réparation des dommages causés aux biens « inappropriables ».

I. UNE DIRECTIVE QUI VISE LA PRÉVENTION ET LA RÉPARATION DES DOMMAGES CAUSÉS AUX BIENS « INAPPROPRIABLES »

Contrairement à ce que son nom indique, la directive relative à la responsabilité environnementale institue, non pas un nouveau régime de responsabilité mais un régime de police administrative exercée sous le contrôle de plein contentieux du juge administratif.

Elle confère aux exploitants d'une part et à l'autorité de police d'autre part un rôle central pour mettre en oeuvre des mesures de réparation en nature qui, à défaut de rétablir le milieu naturel endommagé dans son état initial devront apporter un bienfait équivalent (mesures de réparation « primaires » et « compensatoires »). La directive fixe des obligations de prévention et de réparation et exclut totalement le droit à indemnisation des tiers sur le fondement de ses dispositions.

A. UN LONG PARCOURS

Il aura fallu une quinzaine d'années pour que la Communauté européenne se dote d'une législation relative à la responsabilité environnementale. A la suite du Livre vert sur la réparation des dommages causés à l'environnement élaboré en 1993 5 ( * ) par la Commission, le Parlement européen a adopté une résolution lui demandant de préparer une proposition législative sur ce sujet 6 ( * ) .

Publiée le 25 juin 2002, celle-ci a été élaborée dans le droit fil des orientations du Livre blanc sur la responsabilité environnementale présenté par la Commission en 2000 7 ( * ) . Adoptée, le 21 avril 2004, au terme d'un long processus législatif communautaire, la proposition d'origine a été largement amendée par les Etats membres.

Votre commission a eu l'occasion, au cours de ce processus, de faire valoir sa position, par le biais d'une proposition de résolution, adoptée en 2003 dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, sur la proposition de directive 8 ( * ) . Elle avait ainsi souligné :

- la nécessité de ne pas substituer le principe contribuable-payeur au principe pollueur-payeur et, en conséquence, de ne pas imposer l'intervention automatique des autorités publiques en cas de défaillance des opérateurs, celle-ci devant rester à l'appréciation des Etats, qui devraient se voir reconnaître la possibilité de chercher d'autres parties responsables pour prendre les mesures de sauvegarde ou de réparation nécessaires avant d'intervenir eux-mêmes ;

- le souhait de maintenir l'exemption, supprimée à l'époque par le Parlement européen, pour risque de développement ;

- l'exigence d'un lien de causalité strict entre l'exploitant et le dommage ;

- la mise en place d'un régime de responsabilité des exploitants en fonction de leur participation dans le dommage et non une responsabilité solidaire ;

- la limitation des espaces couverts aux zones Natura 2000 ;

- la nécessité de laisser du temps pour que le marché de l'assurance puisse se développer.

Votre commission ne peut que se féliciter de la reprise de l'essentiel de ses positions.

* 1 Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

* 2 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement.

* 3 Michel Prieur, Les conséquences juridiques de l'intégration de la Charte de l'environnement. Etude pour la commission des affaires économiques du Sénat (mai 2004).

* 4 Citation extraite de la chronique Dalloz, La réparation des atteintes à l'environnement par le juge judiciaire, Laurent Neyret, 2008.

* 5 Livre Vert sur la réparation des dommages causés à l'environnement, 14 mai 1993.

* 6 Résolution du 20 avril 1994.

* 7 Livre blanc sur la responsabilité environnementale, 9 février 2000.

* 8 Rapport n° 317 (2002-2003) de M. Jean Bizet, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 27 mai 2003.

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