Rapport n° 259 (2007-2008) de M. André LARDEUX , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 3 avril 2008

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N° 259

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 avril 2008

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à la journée de solidarité ,

Par M. André LARDEUX,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gérard Dériot, Jean-Pierre Godefroy, Mme Claire-Lise Campion, MM. Bernard Seillier, Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Annie David, vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Anne-Marie Payet, Gisèle Printz, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Gilbert Barbier, Pierre Bernard-Reymond, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mmes Isabelle Debré, Christiane Demontès, Sylvie Desmarescaux, Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Bernadette Dupont, MM. Michel Esneu, Jean-Claude Etienne, Guy Fischer, Jacques Gillot, Francis Giraud, Mmes Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, Annie Jarraud-Vergnolle, Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Mme Raymonde Le Texier, MM. Roger Madec, Jean-Pierre Michel, Alain Milon, Georges Mouly, Louis Pinton, Mmes Catherine Procaccia, Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, Patricia Schillinger, Esther Sittler, MM. Alain Vasselle, François Vendasi.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 711 , 738 et T.A. 116

Sénat : 245 (2007-2008)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées avait pour noble ambition de supprimer un jour férié, le lundi de Pentecôte, afin de dégager des ressources supplémentaires à affecter à ces deux catégories d'assurés sociaux. Annoncée dans la foulée des événements dramatiques survenus lors de la canicule de l'été 2003, la création de cette journée de solidarité a revêtu à l'origine une force symbolique importante.

Cette dimension fraternelle et solidaire n'a malheureusement pas résisté à l'épreuve des faits, à l'inverse de ce qui s'était passé en Allemagne, où une initiative similaire prise en 1994 n'avait pas suscité de problème particulier. En France, ces sept heures de travail supplémentaires par an ont fait l'objet de critiques injustes, ainsi que de nombreuses manifestations de mauvaise volonté et d'égoïsmes catégoriels dans le monde du travail. D'importants mouvements sociaux ont eu lieu le 16 mai 2005 dans le secteur public pour en demander la suppression.

Cette situation apparaît d'autant plus singulière et regrettable que le système de protection sociale a été fondé à la Libération sur le principe de solidarité. Or, la durée moyenne de travail se situe en France à un niveau nettement plus faible que dans la quasi-totalité des autres pays industrialisés. La légitimité d'un effort supplémentaire en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées ne devrait donc pas être contestée.

Le recul du temps montre que la commission des affaires sociales avait vu juste lors des débats parlementaires de 2004, lorsqu'elle soulignait que cette initiative constituait un pari car ses difficultés techniques d'institution menaçaient d'en rendre la mise en oeuvre très fragile. De fait, la journée de solidarité est confrontée aujourd'hui à d'importantes disparités entre les assurés sociaux. Une réforme est donc nécessaire.

Afin de remédier à ces problèmes, la proposition de loi déposée par Jean Leonetti et ses collègues députés vise à apporter aux entreprises du secteur marchand de nouvelles possibilités d'assouplissement, notamment en abandonnant toute référence législative au lundi de Pentecôte.

Cette solution présente le mérite de rétablir une certaine lisibilité politique pour l'opinion publique. Mais ces assouplissements représentent aussi, pour une part, un « saut dans l'inconnu » . Les débats parlementaires qui vont s'ouvrir au Sénat permettront donc de faire oeuvre de pédagogie sur un sujet qui le mérite assurément.

I. LE BILAN EN DEMI-TEINTE DE LA JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

A. UN PARI SÉDUISANT, CONFRONTÉ À DES DIFFICULTÉS PRATIQUES ET À DE NOMBREUSES MANIFESTATIONS DE MAUVAISE VOLONTÉ

1. Une démarche originale d'inspiration fraternelle

Suivant l'exemple de l'Allemagne, qui finance depuis 1994 le coût de la dépendance par les ressources tirées de la suppression d'un jour férié, la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 a retenu l'option consistant à solliciter des salariés français le sacrifice d'un peu de leurs loisirs pour permettre à leurs aînés et aux personnes souffrant d'un handicap de vivre dans de meilleures conditions.

L'institution de cette journée de solidarité avait pour objectif de renforcer les liens sociaux, dans une approche « fraternelle » , pour reprendre les termes employés par Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, du problème de la dépendance.

Ce choix original était doublement symbolique : d'abord par le renoncement à l'un des onze jours fériés existants. Ensuite parce que, pour la première fois depuis plus de vingt ans, une décision législative avait pour effet de majorer la durée du temps de travail en France.

2. Prendre en compte la grande diversité des jours chômés par les salariés français

Séduisante sur le plan des principes, l'institution de la journée de solidarité a néanmoins posé d'emblée de nombreux problèmes pratiques en raison de la grande diversité de situations des salariés français.

La loi prévoyait pourtant des modalités d'application détaillées pour prendre en compte les divers cas de figures envisageables, qu'il s'agisse des entreprises travaillant en continu ou du cas des salariés non mensualisés.

Une fois posé le principe que la journée de solidarité devait prendre la forme de sept heures de travail supplémentaires non rémunérées, le gouvernement avait souhaité éviter qu'elle ne s'applique différemment aux salariés mensualisés et non mensualisés : en effet, les premiers bénéficient de la rémunération des jours fériés chômés mais pas les seconds. La loi a donc explicitement prévu que cette journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération.

Les salariés à temps partiel ont aussi été pris en compte grâce à une procédure particulière fondée sur le principe de proportionnalité à la durée contractuelle.

Enfin, pour éviter que le salarié qui change d'employeur en cours d'année soit amené à acquitter deux fois la journée annuelle de solidarité, la loi l'autorise à choisir soit de refuser cette seconde journée soit de l'effectuer. Cette dernière hypothèse donne alors lieu au paiement d'un salaire et à l'imputation des heures sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.

3. Une loi vidée d'une bonne partie de sa substance par les résistances du monde du travail

A la complexité de la mise en oeuvre pratique de la journée de solidarité, se sont ajoutés les multiples exemples de mauvaise volonté dans le monde du travail qui ont vidé la loi d'une grande partie de sa substance. Ces réticences, qui ont pris des formes très diverses au fil du temps, persistent aujourd'hui au sein des partenaires sociaux, de bon nombre de chefs d'entreprise et d'une partie des salariés eux-mêmes.

Une proportion non négligeable des actifs s'est ainsi vu offrir sans contrepartie par son employeur le bénéfice de la journée de solidarité. L'entreprise acquitte alors la contribution prévue de 0,3 % sur la masse salariale mais dispense son personnel d'avoir à réaliser un travail supplémentaire. C'est notamment le cas dans le secteur de l'artisanat, mais aussi dans de nombreuses grandes entreprises et collectivités locales.

La journée de solidarité a également suscité, en 2005, des conflits sociaux dans les services publics : le taux moyen de grévistes était ainsi de 23 % pour l'ensemble de la fonction publique d'Etat, dont respectivement 28 % et 26 % pour les seuls effectifs des ministères des finances et de l'éducation nationale.

Certaines organisations syndicales ont cherché à entraver la mise en oeuvre de la réforme de 2004 en déposant des recours contentieux devant les tribunaux. Ce fut notamment le cas du syndicat Sud contre La Poste, pour les salariés de cette entreprise publique relevant des dispositions du code du travail. Certes, il n'y a plus aujourd'hui de contentieux juridiques de ce type en instance de jugement. Mais cette petite « guérilla » juridique témoigne d'un état d'esprit peu coopératif à l'égard d'une mesure pourtant destinée à des concitoyens fragiles.

Enfin, certaines entreprises ont utilisé au maximum les possibilités de fractionnement de la journée de solidarité sur l'ensemble de l'année, jusqu'à aboutir parfois à des résultats d'une hypocrisie caricaturale. Quel est en effet l'intérêt économique et social de faire travailler des salariés quelques minutes supplémentaires par jour ou pendant une semaine ?


Mise en oeuvre de la journée de solidarité à la SNCF - précisions complémentaires

« En l'absence d'accord collectif, le principe a été retenu d'augmenter la durée annuelle de travail de sept heures en s'orientant vers la solution d'une augmentation de la durée journalière moyenne de service (...) L'allongement de sept heures de la durée annuelle du travail est réalisé dans les conditions [suivantes] :

- Aspect « durée moyenne de travail par journée de service »

Compte tenu de l'allongement de la durée annuelle de sept heures, la durée moyenne journalière de service est relevée de deux minutes dans les établissements et d'une minute dans les directions centrales ou régionales.

- Aspect « limite de la durée de travail par journée de service »

Les journées de travail peuvent avoir des durées très diverses et variables d'une journée à l'autre : pour le personnel sédentaire en établissement, de cinq heures trente minutes minimum à neuf heures trente minutes maximum, sauf le travail de nuit limité à huit heures trente minutes. Pour les directions, le minimum est de cinq heures.

- Aspect « répartition du travail effectif »

Dans les établissements, la durée moyenne de travail par journée de service, est calculée par semestre civil. Pour les directions, la moyenne de la durée journalière de service est calculée sur cinq jours ouvrables chaque semaine (...).

Les conditions dans lesquelles ces sept heures de travail supplémentaires sont réparties ne consistent évidemment pas à augmenter chaque jour le temps de travail de deux minutes (...).

En établissement, les sept heures se répartissent en application des dispositions relatives à la répartition du travail, à raison de trois heures trente minutes par semestre.

L'utilisation concrète de ces trois heures trente minutes par semestre est organisée au plus près du terrain en fonction des besoins locaux sous la responsabilité des directeurs d'établissements. Mais l'objectif de récupérer la contribution de l'entreprise sous forme de travail effectif ne devrait pas conduire à des fractionnements d'une durée inférieure à trente minutes par jour.

Il est à noter que (...) la durée du travail ne peut être augmentée de plus de trois heures trente minutes par semestre et il ne peut y avoir de cumul d'un semestre sur l'autre. Pour les directions, qui bénéficient d'un régime de travail spécifique (....), la moyenne de la durée journalière de service est calculée sur cinq jours ouvrables de chaque semaine. L'utilisation des sept heures est donc à répartir à raison de cinq minutes sur la semaine, sans possibilité de solution alternative ou de cumul d'une semaine sur l'autre. »

Source : SNCF Note du 12 décembre 2008 (extraits)

4. Le contre-exemple allemand

En Allemagne, la suppression d'un jour férié s'est déroulée dans des conditions différentes et beaucoup plus favorables. Le choix a porté sur une fête d'origine protestante : la journée de pénitence et de prière (Buss und Bettag).

Celle-ci a été supprimée en 1994 au niveau fédéral pour l'ensemble des entreprises et administrations publiques, avec toutefois deux exceptions : l'ensemble du Land de Saxe, d'une part et la Bavière, uniquement pour les écoles, d'autre part. Dans les autres Länder, une disposition spécifique a été ajoutée à la loi relative aux jours de congés ( Feiertagsgesetz ) pour les salariés qui souhaiteraient, pour des raisons religieuses, chômer ce jour là. Ils doivent poser un jour de congé qui ne leur est pas décompté du total de leurs droits, mais qui est retenu sur leur salaire comme un jour non travaillé.

Dans la mesure où il s'agissait d'une disposition législative prise au niveau fédéral, les partenaires sociaux n'ont pas eu à engager de négociations collectives ultérieures au sujet de sa mise en oeuvre. L'uniformité de la suppression du Buss und Bettag et son intelligibilité pour l'opinion publique ont ainsi été préservées.

En outre, contrairement à la France, le principal reproche formulé à l'encontre de la réforme a consisté à souligner son insuffisance sur le plan financier. Dès l'année de son instauration, il s'est avéré que la suppression d'un jour férié ne compensait qu'à hauteur de 73 % les cotisations mises à la charge des employeurs. Une prise en charge totale du coût de la dépendance aurait donc nécessité la suppression de 1,4 jour de congé.

B. UNE RÉUSSITE PARTIELLE SUR LE PLAN MACROÉCONOMIQUE ET SOCIAL

1. La création d'un nouveau mode de financement pérenne de la protection sociale

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nombreux rapports successifs ont préconisé d'améliorer la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. Dès l'origine, le débat a porté essentiellement sur l'opportunité d'étendre les missions de la sécurité sociale à la gestion de ce risque.

Après un dispositif expérimental, c'est au Sénat qu'est finalement revenue l'initiative de confier aux départements le soin de gérer une prestation permettant aux personnes âgées disposant de revenus modestes de faire face à ce problème : la prestation spécifique dépendance (PSD). Le gouvernement de Lionel Jospin a ensuite greffé l'allocation personnalisée autonomie (Apa) sur la PSD, dont il a élargi le public visé, en assouplissant les conditions de dépendance et de ressources requises pour bénéficier du droit aux prestations.

Mais cette réforme ambitieuse n'était pas financée. Sous la précédente législature, les pouvoirs publics ont donc dû créer la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), d'une part, la journée de solidarité, d'autre part, pour dégager des moyens supplémentaires et améliorer l'allocation des ressources publiques entre les collectivités locales.

Evolution des deux principales recettes collectées
au titre de la contribution de solidarité pour l'autonomie

(en millions d'euros)

2004 (réalisation)

2005 (réalisation)

2006 (réalisation)

2007 (prévision PLFSS 2007)

CSA sur les revenus d'activité

804

1 687

1 773

1 813

CSA sur le « patrimoine »

CSA sur les placements financiers

31

100

148

170

CSA sur les revenus du patrimoine foncier

76

161

160

195

Sous-total

107

261

308

365

Produit total

911

1 948

2 081

2 178

Source : Annexes 8. PLFSS 2006 et 2007 et document remis au Conseil de la CNSA le 27 mars 2007

Plus de 2 milliards d'euros sont désormais recouvrés chaque année dans le cadre de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA). Cette ressource comprend quatre composantes distinctes dont les produits s'additionnent. Il s'agit :


• d'une contribution de 0,3 % sur la masse salariale versée par les employeurs publics et privés ;


• d'une contribution de 0,3 % sur les revenus du patrimoine et des placements. Ce prélèvement s'applique sur les patrimoines financiers à l'exception des livrets A et des livrets bleus ;


• d'une contribution de 0,1 % sur le produit des contributions sociales non déductibles ;


• d'une participation des régimes obligatoires de base de l'assurance vieillesse représentative d'une fraction des sommes qu'ils ont consacrées, en 2000, aux dépenses d'aide ménagère à domicile des personnes âgées dépendantes.

En définitive, les montants collectés grâce à la CSA ont enfin donné à la politique de la dépendance l'assise financière qui lui manquait. Mais cet apport de financements nouveaux sera insuffisant pour faire face à la croissance prévisionnelle des dépenses des prochaines décennies.

2. La préservation du pouvoir d'achat des salariés

La loi du 30 juin 2004 avait également pour objectif de préserver les revenus des ménages. De fait, si la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération supplémentaire, les salariés mensualisés, auxquels les jours fériés sont déjà payés, ne subissent aucune perte de salaire.

Au-delà de sa dimension solidaire, cette réforme soulignait également le constat qu'il n'est plus possible désormais d'augmenter la pression fiscale ou les cotisations sociales à chaque fois que des ressources doivent être trouvées. Deux autres raisons justifiaient d'ailleurs elles aussi pleinement de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires :

- la consommation qui constitue le principal moteur de la croissance française depuis le début des années 2000. Déjà pénalisé par la modération salariale qui fut une contrepartie des négociations ayant permis l'application des trente-cinq heures, le revenu des salariés ne devait pas être diminué davantage ;

- l'augmentation des charges qui se traduit par une augmentation des coûts salariaux, conduisant in fine à une perte de compétitivité de l'économie française, très largement dépendante du commerce international.

3. Un impact macroéconomique difficile à apprécier

La création de la journée de solidarité reposait sur le pari qu'il est possible de préserver les comptes des entreprises, en leur donnant les moyens de compenser les effets de la création de la CSA grâce à l'augmentation de la durée de travail des salariés de sept heures supplémentaires chaque année.

Ce pari est fondé sur l'hypothèse, élaborée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qu'un jour travaillé en plus se traduira à terme au minimum par un surcroît de valeur ajoutée dans le secteur marchand, de l'ordre de 0,3 %.

L'assujettissement du secteur public pose bien évidemment une autre question, puisque n'étant pas producteur de biens et de services marchands, celui-ci ne peut envisager de dégager des recettes supplémentaires. L'augmentation des charges pesant sur les salaires se traduit donc inévitablement par un recours accru au contribuable national et local. Il serait toutefois réducteur de limiter l'impact de la journée de solidarité à une augmentation d'impôt : dès lors que le dispositif est appliqué avec suffisamment de souplesse, il pourrait permettre de limiter la création d'emplois publics ultérieurs.

4. Une insertion difficile dans le droit social

L'option d'une application uniforme de la réforme, comme en Allemagne, ayant été abandonnée dès 2004, l'institution de la journée de solidarité s'est traduite par une myriade de « microdifficultés » individuelles, notamment pour les salariés en intérim ou pour ceux relevant de statuts particuliers comme les assistantes maternelles.

Mais l'enracinement de cette innovation juridique dans notre droit social s'est également heurté aux problèmes rencontrés par les employeurs.

De nombreuses entreprises font en effet travailler leur personnel les jours fériés en échange de contreparties. Dès lors, la suppression du caractère chômé du lundi de Pentecôte n'a pas entraîné pour elles systématiquement une production supplémentaire. Cette difficulté est particulièrement nette dans le cas des entreprises travaillant en continu, notamment dans les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration ou dans les structures industrielles dont les chaînes de production fonctionnent en permanence. Non seulement l'institution de la journée solidarité n'accroît pas, ou seulement à la marge, la production, mais elle risque de rendre plus difficiles certaines convergences en augmentant la durée du travail de salariés qui effectuent déjà un nombre d'heures bien supérieur à la durée légale.

Une solution alternative, envisagée lors des travaux préparatoires de la loi du 30 juin 2004, aurait pu constituer en la suppression d'une journée de réduction du temps de travail (RTT). Mais là encore, cette option n'aurait pu revêtir un caractère simple et universel, ne serait-ce que parce que la réduction du temps de travail ne concerne que les deux tiers des salariés du secteur marchand.

En outre, de nombreux commerces sont traditionnellement fermés le lundi tandis, que beaucoup d'assurés sociaux souhaitent conserver l'habitude de passer la période de la Pentecôte en famille et posent un jour de congé à cet effet.

C. DE TROP GRANDES DISPARITÉS ENTRE LES ASSURÉS SOCIAUX

Près de quatre années après l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2004, la majeure partie des salariés effectue, sous une forme ou sous une autre, une journée de solidarité durant l'année civile. Mais le lundi de Pentecôte reste dans les faits majoritairement non travaillé.

1. Une activité ralentie du secteur marchand

Le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques publié en décembre 2007 note que la proportion de salariés « dispensés » de journée de solidarité aurait diminué entre 2005 et 2006, mais « lorsqu'il est travaillé, le lundi de Pentecôte est un jour avec des équipes de travail réduites et, finalement, [on observe] , une tendance à fonctionner « au ralenti », la productivité étant plus faible qu'à l'accoutumée ».

Deux études, la première réalisée par la direction générale du trésor et de la politique économique (DGTPE) du ministère de l'économie et des finances, la seconde par l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee) s'efforcent d'apprécier plus précisément les effets macroéconomiques de la journée de solidarité.

La DGTPE estimait en juin 2005 que la mise en place de la journée de solidarité peut entraîner à terme une hausse de l'ordre de 0,4 % de la valeur ajoutée marchande.

« La durée annuelle du travail des salariés augmenterait de 0,40 % à 0,47 % selon les situations. (...) En effet, dans le commerce de détail, les services aux particuliers, les banques, le lundi est fréquemment un jour non travaillé. Il s'agit d'usages professionnels que la loi peut difficilement remettre en question. L'Insee, qui opère une correction pour « jours ouvrables » lors de l'élaboration des comptes trimestriels, estime que la valeur ajoutée supplémentaire générée par un lundi de plus dans une année civile est inférieure de plus d'un quart à l'impact moyen d'un jour ouvrable de plus.

« Enfin, la suppression d'un jour férié a un effet moins directement mesurable sur le temps de travail des professions indépendantes auxquelles la législation sur la durée du travail n'est pas applicable et dont le temps de travail n'est pas contrôlable. En outre, de nombreux artisans ou commerçants ne travaillent pas le lundi et il est peu probable que la mise en place de la journée de solidarité modifie leurs comportements. » 1 ( * )

Dans une note établie en juin 2007, l'Insee s'est fondé sur les statistiques de consommation d'électricité pour estimer le taux d'activité des journées de solidarité. Sur cette base, il apparaît que le jour de la Pentecôte aurait été considéré comme férié par 40 % des entreprises le lundi 16 mai 2005, 60 % le lundi 5 juin 2006 et enfin 30 % le lundi 28 mai 2007 2 ( * ) .

En 2005, l'Insee avait également réalisé une enquête sur un panel représentant environ 39 % du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises industrielles de plus de vingt salariés. La capacité de production en service le 16 mai 2005 avait alors été estimée selon cette enquête à près de la moitié (49,5 %) de la capacité de production utilisée les jours ouvrés.

2. La fermeture de la plupart des services publics

Les trois fonctions publiques sont naturellement autant concernées par la journée de solidarité que les entreprises du secteur marchand. Le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques estime que cette mesure se traduit par une augmentation de dix millions du nombre global d'heures de travail effectuées par les fonctionnaires de l'Etat, sans même prendre en compte l'éducation nationale.

Mais l'assouplissement des modalités d'exercice de la réforme qui est intervenu dès le second semestre 2005 s'est traduit par une évolution sensible qui n'avait pas été initialement envisagée par le législateur : la fermeture des services publics aux usagers, puisqu' « en dehors des services indispensables à la sécurité et la santé, les salariés des trois fonctions publiques ne travaillent généralement pas le lundi de Pentecôte. »

Pour les fonctionnaires de l'Etat, la fermeture des services publics le lundi de Pentecôte est compensée par la suppression d'un jour de RTT. Dans la fonction publique territoriale, la journée de solidarité est fixée, en l'absence de délibération spécifique, au lundi de Pentecôte. Dans les services hospitaliers, chaque établissement détermine les modalités d'organisation de cette journée. Une enquête effectuée en 2007 par la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins du ministère de la santé a montré que le lundi de Pentecôte est souvent travaillé comme un dimanche ou un jour férié.

3. Un manque de lisibilité préjudiciable à la légitimité de la réforme pour l'opinion publique

La direction de l'animation et de la recherche des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail a fait réaliser une enquête d'opinion en 2007. Il en ressort que 86 % des salariés ont satisfait, sous une forme ou sous une autre, à l'obligation d'accomplir la journée de solidarité durant l'année 2007, soit quatre points de plus qu'en 2005.

Mais pour ce qui concerne le lundi de Pentecôte stricto sensu , le niveau d'activité apparaît beaucoup plus faible : 48 % seulement des Français travailleraient ce jour là. Cette moyenne recouvre des différences importantes entre les catégories socioprofessionnelles.

Taux d'activité le lundi de Pentecôte

Statut d'activité

Profession de l'interviewé

Travaille à son compte

Salariés du public

Salariés du privé

Agriculteurs, artisans, commerçants, chefs d'entreprise

Cadres, professions intellectuelles supérieures

Professions intermédiaires

Employés

Ouvriers

61 %

27 %

52 %

72 %

46 %

39 %

37 %

34 %

Source : Opinion Way (Observatoire relaxnews des loisirs 2007)

La population des salariés français est très diversement concernée par la journée de solidarité :


• 42 % d'entre eux travaillent le lundi de Pentecôte ;


• 6 % devraient travailler ce jour là mais ne le font pas, car ils posent une journée de RTT ou invoquent d'autres raisons, à l'exclusion de la grève ;


• 3 % travaillaient déjà habituellement le lundi de Pentecôte. Ces personnes participent donc à l'effort de solidarité en acquittant la contribution de solidarité pour l'autonomie ;


• 35 % accomplissent la journée de solidarité sous une autre forme (obligation de prendre une journée de RTT le lundi de Pentecôte dans 22 % des cas, fractionnement des sept heures de travail supplémentaires pour 7 % d'entre eux, abandon d'un jour habituellement chômé dans 6 % des cas).

On estime à l'inverse que 14 % des salariés seraient dispensés de la journée de solidarité. Il s'agit surtout, dans 11 % des cas, de personnes qui s'en voient accorder le bénéfice sans que leur employeur ne demande de contrepartie.

La juxtaposition de ces cas de figure différents met en évidence l'inéquité des situations qui confine parfois à l'absurdité : dans le secteur des transports routiers, les restrictions de circulation décidées par les pouvoirs publics le lundi de Pentecôte empêchent les chauffeurs de travailler dans des conditions normales.

Dans ces conditions, comment s'étonner que l'opinion publique ait une mauvaise image de la journée de solidarité ?

II. LA SOLUTION PROPOSÉE : PROMOUVOIR DAVANTAGE DE SOUPLESSE, DANS LA CONTINUITE DES AJUSTEMENTS DÉJÀ INTERVENUS DANS LE SECTEUR PUBLIC

A. LES ASSOUPLISSEMENTS INTRODUITS EN 2005

1. Une première année d'application chaotique

La première journée de solidarité, qui était encore centrée sur la date du lundi de Pentecôte, mérite rétrospectivement d'être qualifiée d'échec pédagogique. En effet, le 16 mai 2005 a été caractérisé non seulement par d'importants mouvements sociaux dans les services publics, mais également par de grandes disparités dans le secteur marchand.

Loin de la lisibilité et de l'uniformité de la réforme allemande de 1994, l'opinion publique française a eu l'impression d'assister au mieux à une certaine « pagaille », au pire à une multiplication d'égoïsmes catégoriels. Son soutien à la réforme, dont les grandes lignes avaient été annoncées à l'occasion du bilan de la canicule du mois d'août 2003, semble s'être retourné à ce moment là.

Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a alors décidé de constituer un comité de suivi et d'évaluation dont la présidence a été confiée au député Jean Leonetti. Ce comité a remis son rapport à Dominique de Villepin, son successeur, le 19 juillet 2005. Il a recommandé en particulier de promouvoir davantage de souplesse, en encourageant la fixation de la journée de solidarité un autre jour de l'année.

2. Les mesures d'ajustement retenues par le Gouvernement en 2005

Suivant ces recommandations, le gouvernement a assoupli, par voie réglementaire, les modalités d'exercice de la journée de solidarité dans le secteur public. Il s'est agi de permettre aux différentes administrations de déterminer les conditions dans lesquelles elles doivent effectuer ces sept heures de travail supplémentaires, le cas échéant en les répartissant dans l'année. La référence au lundi de Pentecôte a ainsi été de facto abandonnée.

Pour l'éducation nationale, l'arrêté du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche du 4 novembre 2005 a prévu que le travail des enseignants au titre de la journée de solidarité ne concernera plus l'accueil des élèves, mais la préparation en dehors du temps scolaire du projet pédagogique d'établissement, dans le cadre d'une ou de deux demi-journées annuelles.

B. TROIS HYPOTHÈSES D'ÉVOLUTION POSSIBLES

Loin de se limiter à une analyse rétrospective des problèmes de mise en oeuvre de la journée de solidarité, le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques présente le mérite d'étudier en détail trois pistes de réflexion pour sortir des difficultés actuelles. Il s'agit donc d'une réflexion opérationnelle, dont les conclusions ont directement inspiré la présente proposition de loi.

1. Premier scénario : le retour à une application uniforme fixée au lundi de Pentecôte ou un autre jour férié

Le rapport analyse aussi les avantages et les inconvénients d'une journée de solidarité obligatoirement et uniformément travaillée le lundi de Pentecôte, ou un autre jour férié remplaçant celui-ci, avant d'écarter cette solution :

« Cette uniformité qui aurait le mérite de la cohérence et donnerait à la journée de solidarité son relief symbolique le plus grand, avait été à l'origine voulue par les promoteurs de cette journée. Mais l'introduction dans la loi du 30 juin 2004 d'éléments de " souplesse " ayant abouti à 1a situation actuelle où 52 % des salariés français ne travaillent pas le lundi de Pentecôte, où l'école est fermée aux élèves et ou la très grande majorité des services publics ne fonctionne pas, rend aujourd'hui un tel retour en arrière difficilement envisageable et susceptible de recréer des conflits.»

2. Deuxième scénario : l'abandon de la référence au lundi de Pentecôte, accompagné du renvoi des modalités pratiques de la journée de solidarité aux entreprises

Une deuxième piste consiste à réaffirmer l'exigence de la journée de solidarité pour tous les salariés. On peut alors renoncer à faire du lundi de Pentecôte la date privilégiée de cette obligation et accorder aux entreprises et leurs salariés la liberté de choisir par la négociation, les modalités d'accomplissement de la journée de solidarité. Ce scénario permet même le fractionnement des sept heures de travail annuelles supplémentaires.

Le rapport privilégie nettement cette solution.

« Le premier avantage d'un tel scénario réside dans sa lisibilité sur le caractère férié du lundi de Pentecôte, généralement associé à un jour chômé ; il répond à la demande de souplesse maximale et de liberté d'organisation du travail exprimée très largement par les employeurs. »

3. Troisième scénario : faciliter le travail du lundi de Pentecôte pour les salariés et leurs familles

Le rapport étudie en dernier lieu comment enraciner davantage le travail du lundi de Pentecôte dans la vie économique et sociale, ce qui suppose de mettre fin aux principaux goulets d'étrangement dont se plaignent les salariés et leurs familles : l'accueil des enfants et la situation dans le secteur des transports, notamment. Il s'agit en quelque sorte de conserver l'acquis de la loi du 30 juin 2004, tout en dégageant des solutions pragmatiques pour rendre compatibles les temps passés en famille et au travail.

Le secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques n'envisage toutefois ces pistes d'amélioration de la situation actuelle que dans le cas où le second scénario ne serait pas retenu par les pouvoirs publics :

« Il conviendrait de définir les efforts nouveaux à demander au service public afin de mieux assurer la garde des enfants lors du lundi de Pentecôte. Il est légitime, a minima, de demander aux autorités publiques locales, sous l'autorité des préfets, de diffuser une information coordonnée sur les services de garde ouverts, de façon que les parents soient en mesure d'anticiper le lundi de Pentecôte. Quant au transport routier, toute décision doit être fondée sur l'impératif de sécurité sur les routes tout en veillant au respect des contraintes économiques. »

En définitive, sur la base de ces réflexions et avec l'accord du Gouvernement, la proposition de loi déposée par Jean Leonetti propose de mettre en oeuvre la seconde solution envisagée.

III. TROIS QUESTIONS MAJEURES EN SUSPENS

A. LE RAPPORT DES FRANÇAIS AU TRAVAIL, DANS UN CONTEXTE DE DÉFICITS CROISSANTS DU SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE

1. Une durée annuelle de travail inférieure de 15 % à la moyenne des pays de l'OCDE

Alors qu'au début des années soixante-dix le nombre annuel d'heures travaillées par actif occupé était dans notre pays sensiblement équivalent à celui observé à l'étranger, il est aujourd'hui inférieur d'environ 15 % à la moyenne. La France est à la fois l'un des pays où l'on travaille le moins et où travaillent le moins de personnes.

Certes, la comparaison des durées légales ou conventionnelles du travail entre les pays industrialisés ne constitue pas un exercice aisé à réaliser. Il faut en effet tenir compte de l'importance du temps partiel, des heures supplémentaires, rémunérées ou non, du nombre de salariés dont la durée de travail n'est pas décomptée de façon hebdomadaire (forfaits en jours), ainsi que des modes de décompte des heures dites d'équivalence spécifiques à certaines professions.

Toutefois, malgré ces réserves techniques, il apparaît clairement que depuis l'entrée en vigueur de la législation sur les trente-cinq heures, la France se distingue par la faiblesse de la durée légale du travail qui, dans la plupart des autres pays industrialisés, est proche de trente-huit heures. Si l'on raisonne sur une base annuelle, en tenant compte des jours de congés légaux et fériés, les Français travaillent ainsi 10 % de moins que les Espagnols, 9 % de moins que les Néerlandais et 7 % de moins que leurs voisins allemands ou italiens.

On retrouve un écart similaire pour les salariés à temps plein qui, en France en 2005, ont travaillé en moyenne 1 660 heures, contre 1 720 heures au Danemark, 1 790 heures aux Pays-Bas et 1 910 heures au Royaume-Uni.

Il convient enfin de remarquer que le volume d'heures travaillées par habitant a diminué en moyenne de 0,2 % par an en France sur la période 1995-2005, alors qu'il augmentait de 0,5 % dans les quinze pays de l'OCDE pour lesquels cette information est disponible.

2. Des besoins de financement croissants à moyen et long termes

D'ores et déjà, la France présente des coûts salariaux élevés et un niveau de prélèvements obligatoires nettement supérieur à celui de ses voisins. Le poids des prestations sociales dans le produit intérieur brut (Pib), qui s'inscrit au deuxième rang des pays de l'OCDE après la Suède, s'est même encore accru de presque trois points au cours des quinze dernières années.

Poids des prestations sociales dans le Pib

En points de Pib

1990

2006

Santé

9,1 %

10,3 %

Vieillesse - Survie

11,2 %

13,1 %

Maternité - Famille

2,9 %

2,7 %

Emploi

2,3 %

2,0 %

Logement

0,8 %

0,8 %

Pauvreté - Exclusion sociale

0,2 %

0,5 %

Prestations totales

26,5 %

29,4 %

Source : Drees, comptes de la protection sociale - Année 2006

Le premier rapport du conseil d'orientation des finances publiques, établi par Gilles Carrez et publié en février 2007, est consacré exclusivement à la question de l'impact à long terme du vieillissement de la population. Ce document souligne la nécessité de tirer toutes les conséquences de ce phénomène en matière de gestion publique. La plupart des travaux réalisés en France ainsi que par les institutions européennes sur cette question, évaluent à terme les besoins sociaux supplémentaires entraînés par l'évolution démographique de notre pays à l'équivalent de trois à quatre points de richesse nationale. Mais il s'agit plutôt d'un minimum :

« Dans le pire des scénarios, c'est même un surcoût supplémentaire de plus de sept points [de Pib] qui pourrait être constaté. De telles projections sont évidemment entourées d'une part d'incertitude importante, liée à la démographie, l'environnement macroéconomique et aux comportements. Mais au final, elles font consensus sur un point : le vieillissement de la population va engendrer des dépenses supplémentaires importantes et il ne faut pas compter sur la diminution du chômage ou la baisse des dépenses d'éducation, pour en absorber le coût. Par conséquent, ces projections montrent la nécessité d'agir au plus vite pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques. »

Compte tenu du niveau élevé des prélèvements obligatoires (44,4 % du Pib en 2006), notre pays ne dispose plus de marge de manoeuvre pour faire face aux besoins de financement futurs du système de protection sociale. Dans ces conditions, des redéploiements de ressources publiques et des économies seront indispensables. Les assurés sociaux devront aussi inévitablement travailler davantage et plus longtemps.

Dans ce contexte, le caractère symbolique de la journée de solidarité rappelle que l'extension, voire la simple préservation, d'un système de protection sociale généreux ne pourra être financée à long terme que par l'accroissement de la production de richesse permis par le travail.

B. LE PARI RENOUVELÉ DU DIALOGUE SOCIAL

1. Un bilan aujourd'hui bien maigre

Seulement dix-neuf accords de branche relatifs à la journée de solidarité ont été signés avec les organisations syndicales depuis 2004. Or certains de ces documents, comme dans l'industrie laitière ou le bâtiment par exemple, se bornent à renvoyer aux entreprises le choix du jour et des modalités d'accomplissement des sept heures de travail supplémentaires.

Les accords d'entreprise à ce sujet sont eux-mêmes fort rares. Les services déconcentrés du ministère du travail n'en ont par exemple recensé que trois en Indre-et-Loire, quatre dans l'Orne, onze dans les Vosges et vingt-sept en Haute-Marne. Leur portée mérite d'être relativisée ainsi que le souligne le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques :

« Ces accords sont souvent conclus dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire. Ils n'identifient pas forcément un jour précis pour l'accomplissement de la journée de solidarité mais laissent plutôt le choix aux salariés entre différentes modalités d'accomplissement, réduction du temps de travail (RTT) ou fractionnement. »

Au total, prévaut le sentiment d'une grande faiblesse du dialogue social.

2. L'hostilité de la majorité des partenaires sociaux au principe de la journée de solidarité

Depuis 2004, la quasi-totalité des syndicats de salariés a manifesté son hostilité aux modalités, sinon au principe même, de la journée de solidarité. Pour ne prendre qu'un seul exemple, la CGT estime que cette mesure contribue à la remise en cause de la durée du travail et exprime son opposition à toute forme de travail gratuit.

Au total, un large consensus défavorable à l'esprit de la réforme de 2004 semble s'être établi parmi les grandes centrales syndicales. Cette situation de départ peu propice au développement du dialogue social représente un obstacle pour la démarche que la proposition de loi appelle de ses voeux. Le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques n'élude pas non plus cette difficulté :

« L'incertitude réside dans la capacité à choisir une autre date par accord collectif afin de libérer le lundi de Pentecôte. En effet, ce scénario n'est pas sans équivoque puisque 70 % des entreprises sont actuellement ouvertes le lundi de Pentecôte. Si le Gouvernement peut ouvrir des voies, il ne peut se substituer à des partenaires sociaux qui, par ailleurs, réclament légitimement souplesse et proximité sur d'autres sujets.

Après avoir supprimé la mention selon laquelle, à défaut d'accord, la journée de solidarité est effectuée le lundi de Pentecôte, il faut trouver une autre solution à la négociation collective en cas d'échec, par exemple en y substituant la décision unilatérale de l'employeur. Plusieurs arguments plaident pour ce choix.

Une telle disposition n'incite pas moins à négocier que la rédaction actuelle. En effet, le chef d'entreprise responsable ne pourra se reporter mécaniquement vers la réponse inscrite actuellement dans la loi, et devrait faire émerger une solution adaptée au contexte local. (...)

Le chef d'entreprise n'a aucun intérêt a priori à retenir comme journée de solidarité le lundi de Pentecôte en raison du creux d'activité spécifique à cette journée. Enfin, pour les salariés ne bénéficiant pas de RTT, il serait préférable d'envisager le passage de 1 600 à 1 607 heures dans le cadre plus large de la négociation sur le temps de travail. »

En pratique, les chefs d'entreprise seront donc probablement le plus souvent conduits, comme aujourd'hui, à définir en dernier ressort les modalités de la journée de solidarité.

C. UNE RELATIVE INCERTITUDE SUR LA NEUTRALITÉ ÉCONOMIQUE POUR LE SECTEUR PRODUCTIF DES NOUVELLES MODALITÉS DE LA JOURNÉE DE SOLIDARITÉ

1. La nécessité d'un ajustement dynamique dans le secteur marchand

Dans le secteur marchand, l'économie générale de la journée de solidarité repose sur l'espérance d'un ajustement dynamique permettant aux entreprises de tirer le meilleur parti d'une journée de travail supplémentaire. Car en l'absence de production supplémentaire, l'apport de la loi du 30 juin 2004 se limiterait à une simple augmentation des prélèvements obligatoires.

La DGTPE souligne par ailleurs la difficulté à évaluer avec précision la contribution des professions indépendantes. Elle observe enfin que l'effet de la journée de solidarité sur les entreprises dépend de leur secteur d'activité et de leur position dans le cycle économique :

« En bas de cycle, les entreprises sont contraintes sur leurs débouchés et non sur leurs facteurs de production. Dans ces conditions, une augmentation de la durée annuelle du travail de chaque employé ne se traduira pas par une augmentation de la production, mais par une baisse de la productivité horaire. En haut de cycle en revanche, les entreprises sont plutôt contraintes sur leurs facteurs de production et le surcroît de ressources en main-d'oeuvre est immédiatement utilisé à produire davantage 3 ( * ) . »

Compte tenu de toutes ces incertitudes, on peut donc se demander quel pourrait être l'équilibre économique de la journée de solidarité après l'entrée en vigueur des dispositions de la proposition de loi. Davantage d'entreprises et de salariés travailleront-ils afin de compenser le surcroît de prélèvement de 0,3 % sur la masse salariale introduit en 2004 ?

2. Surmonter le problème du niveau minimum d'activité nécessaire dans les services publics

Depuis 2004, le lundi de Pentecôte est devenu une journée très compliquée pour les parents qui travaillent. Le succès de la journée de solidarité dépend en effet de la compatibilité des rythmes de la vie professionnelle, familiale et sociale. Or la fermeture des principaux services publics rend précisément difficile de concilier ces différents impératifs.

Pour être en mesure de travailler dans de bonnes conditions, les salariés ont besoin de pouvoir faire garder leurs très jeunes enfants. Or, 450 000 d'entre eux, âgés de moins de trois ans, ne trouvent pas de place dans des établissements d'accueil ou en école maternelle le lundi de Pentecôte. Le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques estime plus largement qu'environ 3 440 000 familles regroupant 4 480 000 enfants de moins de douze ans sont confrontées à un problème d'accueil dans une structure dédiée à la petite enfance ou au sein des écoles.

Dans ces conditions, supprimer toute référence législative au lundi de Pentecôte et inciter les entreprises du secteur marchand à organiser la journée de solidarité à un autre moment de l'année, vise surtout à surmonter le problème du niveau d'activité insuffisant ce jour là dans les services publics.

3. Quelles limites au fractionnement des sept heures de travail sur le reste de l'année ?

L'analyse de la proposition de loi conduit également à se demander quels pourraient être les contours de la notion de « toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées » proposée pour la nouvelle rédaction de l'article L. 3133-8 du code du travail.

D'après les renseignements obtenus par votre rapporteur, le contenu de cette notion relèverait entièrement des termes de l'accord collectif instaurant la journée de solidarité ou à défaut de la décision de l'employeur. Les seules limites seraient que la journée de solidarité ne pourra pas avoir lieu le 1 er mai, un jour de repos hebdomadaire ou un jour de congés payés.

Le fractionnement de ces sept heures supplémentaires sera donc largement ouvert et correspondra certainement très majoritairement à un travail effectif. Mais, faute d'être davantage encadrée, cette grande latitude d'action donnée aux partenaires sociaux et aux employeurs rend envisageable que certaines entreprises du secteur marchand, jusqu'alors ouvertes le lundi de Pentecôte, ne « saupoudrent » la journée de solidarité sur le reste de l'année civile, à l'instar de la SNCF.

En définitive, la proposition de loi fait sur ce point le pari que prévaudra l'esprit de responsabilité des acteurs économiques et sociaux.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er - Assouplissement des modalités d'exercice de la journée de solidarité dans les entreprises du secteur privé
(art. L. 3133-7, L. 3133-8, L. 3133-9, L. 3133-10, L. 3133-11 et L. 3133-12 du code du travail)

Objet : Cet article propose de simplifier et d'assouplir les dispositions du code du travail relatives à la journée de solidarité ainsi que de supprimer toute référence législative au lundi de Pentecôte.

I - Le dispositif proposé

Cet article a pour objet de mettre en oeuvre l'une des trois pistes de réflexion examinée dans un rapport 4 ( * ) récemment consacré au bilan de la journée de solidarité.

Il s'agit en l'occurrence du scénario numéro 2 qui préconise d'abandonner toute référence au lundi de Pentecôte et de laisser une entière latitude aux partenaires sociaux. En cas d'échec des négociations, in fine , il appartiendra à l'employeur d'organiser, durant l'année civile, ces sept heures de travail supplémentaires.

En conséquence, l'article premier tend à modifier les dispositions du droit du travail relatives à la journée de solidarité, telles qu'elles résultent des dispositions de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, d'une part, de la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, d'autre part.

La loi du 30 juin 2004 a augmenté d'une journée de sept heures la durée annuelle de travail des salariés. En l'état actuel du droit, l'organisation de cette journée de solidarité est renvoyée prioritairement à la négociation d'une convention, d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise. Ce n'est qu'en cas d'absence ou d'échec du dialogue social que l'article L. 3133-8 du code du travail impose par défaut la date du lundi de Pentecôte. Le législateur a donc laissé un très large pouvoir de négociation dans les entreprises, d'autant plus que cette journée de solidarité est susceptible de revêtir trois formes différentes :

- le travail d'un jour férié précédemment chômé autre que le 1 er mai ;

- le travail d'un jour de RTT ;

- « toute autre modalité permettant le travail d'un autre jour non travaillé en application de dispositions conventionnelles ou des modalités d'organisation des entreprises ».

L'article L. 3133-1 du code du travail établit la liste des onze fêtes légales désignées comme des jours fériés, parmi lesquelles le lundi de Pentecôte. Conformément aux dispositions de l'article L. 3133-4 du code du travail, le 1 er mai est le seul jour férié obligatoirement chômé et payé intégralement pour tous les travailleurs. Les autres jours fériés ne sont chômés obligatoirement que pour les jeunes de moins de dix-huit ans et les apprentis employés dans les établissements industriels. Les personnes tenues de travailler le 1 er mai ont droit à une indemnité égale au montant du salaire de la journée et sont donc payées double. En revanche, aucune majoration de salaire n'est prévue par la loi pour les personnes travaillant un autre jour férié, même si les conventions collectives peuvent prévoir un régime plus favorable.

Le 1° du paragraphe I de cet article présente une portée purement rédactionnelle. Il propose de réécrire l'article L. 3133-7 du code du travail en lui apportant deux changements mineurs. La nouvelle rédaction évoque désormais « une » et non pas « la » journée de solidarité. Il est également précisé, dans le cadre d'une seule phrase, que celle-ci prend la forme d'une journée supplémentaire de travail rémunérée ainsi que de la contribution de 0,3 % sur la masse salariale introduite en 2004. En l'état actuel du droit, cette définition est presque identique, mais procède d'une énumération en deux points.

Le contenu du apparaît beaucoup plus substantiel. Il s'agit de refondre, tout en les simplifiant, dans un seul et nouvel article L. 3133-8 du code du travail, les dispositions actuellement dispersées dans deux articles distincts L. 3133-8 et L. 3133-9. Sur le fond, la nouvelle rédaction propose d'introduire quatre modifications :

- elle tend à inverser les modalités pratiques du dialogue social, en prévoyant que les conditions d'organisation de la journée de solidarité seront fixées par accord d'entreprise, ou par accord d'établissement et à défaut, en dernier ressort, par accord de branche ;

- elle supprime la clause cliquet de référence imposant qu'en l'absence d'une telle convention ou d'un tel accord, cette journée de solidarité est automatiquement fixée au lundi de Pentecôte ;

- elle abroge un ensemble de dispositions très détaillées introduites en 2004 pour ne retenir que le coeur du dispositif de la journée de solidarité. Il convient en effet de rappeler que la rédaction de l'article 2 de la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées visait un grand nombre de cas de figure différents : les entreprises travaillant en continu, les salariés non mensualisés, les salariés à temps partiel, les salariés ne travaillant pas habituellement le jour de la semaine retenu pour la journée de solidarité. Or, l'objectif consistant à prévenir les difficultés de mise en oeuvre liées à la grande diversité de la situation des salariés français n'a manifestement pas été atteint. Une simplification était donc nécessaire ;

- elle modifie enfin la définition des contours de la journée de solidarité en autorisant le recours à « toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment travaillées » , au lieu de faire référence à « toute autre modalité permettant le travail d'un autre jour non travaillé » . Ce glissement sémantique donne en fait « carte blanche » aux entreprises pour s'organiser à leur guise, tout en ouvrant largement les possibilités de fractionnement durant l'année civile de ces sept heures de travail.

Après l'entrée en vigueur des dispositions de la présente proposition de loi, les entreprises qui le souhaitent pourront toujours continuer à fixer au lundi de Pentecôte la date de la journée de solidarité. Simplement, il n'y aura plus aucune obligation législative en la matière, ni d'interdiction non plus. Pour le reste, le droit actuel ne change pas : faute d'accord collectif, l'employeur pourra définir les modalités de la journée de solidarité à condition de respecter une procédure de consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent.

Par cohérence avec les dispositions du paragraphe 2° ci-avant, le propose d'abroger l'actuel article L. 3133-9 du code du travail devenu sans objet.

Le a pour objet de tirer les conséquences de cette abrogation en renumérotant le reste de la section 3 du chapitre III du livre I er de la troisième partie du code du travail. Les actuels articles L. 3133-10, L. 3133-11 et L. 3133-12 deviennent ainsi respectivement les nouveaux articles L. 3133-9, L. 3133-10 et L. 3133-11. Leurs contenus respectifs, en revanche, ne sont en rien modifiés :

- le principe selon lequel le travail accompli, dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération est confirmé ;

- les heures effectuées à cette occasion continueront à ne pas s'imputer sur le contingent annuel d'heures supplémentaires ainsi sur le nombre d'heures complémentaires prévu au contrat de travail du salarié travaillant à temps partiel. Elles ne donneront pas non plus lieu à un repos compensateur obligatoire ;

- un salarié ayant déjà accompli, au titre de l'année en cours, une journée de solidarité, en raison d'un changement d'employeur, pourra toujours refuser d'en effectuer une seconde. S'il accepte, les heures travaillées donneront lieu à une rémunération supplémentaire, à un repos compensateur et s'imputeront sur le contingent annuel d'heures supplémentaires.

Le paragraphe II de cet article prévoit une entrée en vigueur le 2 mai 2008, soit dix jours avant la date du prochain lundi de Pentecôte. Ce délai très court, résulte des contraintes du calendrier parlementaire du premier semestre 2008.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté trois amendements qui ne modifient guère le texte initial de la proposition de loi :

- le premier d'entre eux apporte une simple précision rédactionnelle ;

- le deuxième tend à préserver la spécificité du droit local dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, en prévoyant que la journée de solidarité ne peut intervenir ni le jour de Noël, ni le 26 décembre, ni le Vendredi Saint ;

- le troisième amendement vise à sécuriser la situation des employeurs qui, en l'absence d'un accord, auraient décidé d'accomplir cette année la journée de solidarité à la date du lundi de Pentecôte, c'est-à-dire le 12 mai 2008. Compte tenu de la brièveté des délais, il est peu probable en effet que des négociations s'engagent dans de nombreuses entreprises dès la parution de la loi au Journal officiel et aboutissent à un accord en l'espace de quelques jours seulement. Pour éviter toute ambiguïté, l'Assemblée nationale a réaffirmé le pouvoir de l'employeur de fixer les modalités de la journée de solidarité, sous réserve du respect de la procédure préalable de consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent. Au passage, la réécriture de cet alinéa conduit à abandonner la date d'entrée en vigueur initialement fixée au 2 mai 2008, pour revenir à la règle de droit commun fondée sur la publication de loi au Journal officiel.

En définitive, il ne faut sans doute pas attendre de modifications substantielles des modalités d'exercice de la journée de solidarité dans le monde du travail avant 2009.

III - La position de votre commission

Votre commission partage globalement l'économie générale de cette proposition de loi. Elle se félicite toutefois que l'Assemblée nationale ait adopté un article additionnel tendant à ce que son champ d'application ne soit pas limité aux seuls salariés du secteur privé, alors que les principaux problèmes se concentrent dans les services publics.

Votre commission regrette en effet l'importance et le caractère persistant des facteurs de blocage entraînant la fermeture de la plupart des administrations publiques le lundi de Pentecôte. Le rapport du secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques souligne d'ailleurs fort justement les problèmes que rencontrent les parents pour la garde des enfants de moins de trois ans ainsi que l'absence d'accueil des élèves ce jour-là dans les établissements de l'éducation nationale, auxquels s'ajoutent les effets de la fermeture de la plupart des services de la fonction publique d'Etat.

Votre commission souhaite surtout que la liberté accordée aux entreprises pour organiser cette journée ne les conduise pas à des modalités de mise en oeuvre qui feraient perdre de vue le ressort solidaire initialement envisagé. Elle considère que la démarche de solidarité est aussi importante que la recherche de ressources. Or, le fractionnement des sept heures de travail sur l'ensemble de l'année par exemple - certaines entreprises le pratiquent - est de nature à faire perdre la conscience du geste fraternel qui avait inspiré la loi. En conséquence, votre commission propose, par voie d'amendement, que le fractionnement de la journée de solidarité ne puisse s'appliquer qu'en deux périodes au maximum, le cas échéant d'inégale durée si l'organisation du travail dans l'entreprise le justifie.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

Article 2 - Organisation de la journée de solidarité dans la fonction publique
(article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées)

Objet : Cet article tend, par cohérence avec le précédent, à étendre aux trois fonctions publiques les mêmes modalités d'organisation de la journée de solidarité que dans le secteur privé.

I - Le dispositif proposé

A l'initiative de son rapporteur, Jean Leonetti, la commission chargée des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel à la présente proposition de loi. Son objectif consiste à clarifier, dans les trois fonctions publiques, les modalités d'application de la loi du 30 juin 2004, tout en leur transposant les mêmes modifications que celles proposées ci-avant pour le secteur privé.

En l'état actuel du droit, l'organisation de la journée de solidarité dans les trois fonctions publiques relève de l'article 6 de la loi du 30 juin 2004. Il convient de remarquer, d'une part, que ces dispositions n'ont pas été codifiées, d'autre part, que la rédaction choisie par le législateur de 2004 procède à un renvoi à l'article L. 212-16 de l'ancienne version du code du travail.

Le paragraphe I du présent article de la proposition de loi propose de réécrire l'ensemble de l'article 6 de la loi du 30 juin 2004, tout en lui apportant quelques modifications limitées.

La première d'entre-elle est d'ordre formel. Il s'agit d'actualiser la référence au code du travail, pour tenir compte de l'entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail. On procède donc désormais à un renvoi à l'article L. 3133-7.

La deuxième modification consiste à supprimer la clause prévoyant qu'en l'absence de décision de l'autorité administrative ou politique compétente, la journée de solidarité est fixée par défaut au lundi de Pentecôte.

La dernière modification proposée consiste à redéfinir les contours de cette journée qui est susceptible de prendre trois formes différentes :

- le travail d'un jour férié précédemment chômé autre que le 1 er mai ;

- le travail d'un jour de RTT ;

- toute autre modalité permettant le travail de sept heures précédemment non travaillées, à l'exclusion des jours de congé annuel.

Ces termes sont quasiment identiques à ceux utilisés à l'article précédent pour les entreprises du secteur privé.

Pour le reste, la nouvelle rédaction proposée pour l'article 6 de la loi du 30 juin 2004 confirme que le pouvoir de fixation de la journée de solidarité appartient au directeur de la structure ou à l'élu de la collectivité concernée. Elle reprend ne variatur les termes actuels.

Le paragraphe II se borne à prévoir que les dispositifs d'application de l'article 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 en vigueur à la date du 2 mai 2008 et qui sont conformes aux dispositions du paragraphe I demeurent en vigueur.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté deux amendements d'inspiration identique à ceux votés à l'article précédent :

- le premier apporte une précision rédactionnelle en abandonnant, dans le paragraphe II, la référence à la date d'entrée en vigueur initialement envisagée du 2 mai 2008 ;

- le second prend en compte la spécificité du droit local dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, en prévoyant que la journée de solidarité ne peut intervenir ni le jour de Noël, ni le 26 décembre, ni le Vendredi Saint.

III - La position de votre commission

Votre commission ne peut qu'approuver cette harmonisation des dispositions juridiques relatives à la journée de solidarité entre les trois fonctions publiques, d'une part, et les entreprises du secteur marchand relevant du code du travail, d'autre part. Elle note toutefois que ce rapprochement ne devrait en pratique revêtir qu'une portée limitée. Depuis 2006 en effet, la quasi-totalité des services publics sont fermés le lundi de Pentecôte. Par ailleurs, une grande liberté d'organisation des modalités de la journée de solidarité existe déjà pour les trois fonctions publiques.

Cet article ne fait donc qu'aligner le droit sur la pratique administrative. Mais cette position « réaliste » conduit également à se résigner à la difficulté à faire évoluer le fonctionnement des services publics le jour du lundi de Pentecôte.

Par cohérence avec les dispositions proposées pour l'article premier, votre commission souhaite limiter sur deux jours au maximum les possibilités de fractionnement de la journée de solidarité.

Elle vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

*

* *

En conséquence, votre commission vous demande d'adopter cette proposition de loi dans la rédaction qu'elle vous soumet.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le jeudi 3 avril 2008 sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. André Lardeux sur la proposition de loi n° 245 (2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, relative à la journée de solidarité .

M. André Lardeux, rapporteur , a rappelé que la décision de supprimer un jour férié, en l'occurrence le lundi de Pentecôte, afin de dégager des ressources supplémentaires destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées, a été prise dans le contexte tragique de la canicule de l'été 2003. Quelques mois plus tard, la loi du 30 juin 2004 a créé le mécanisme de la journée de solidarité qui a pris la forme, en définitive, d'une majoration de sept heures de la durée annuelle de travail des salariés.

Cette initiative a revêtu, à l'origine, une force symbolique importante, mais qui a rapidement disparu à l'épreuve des faits. Alors que la suppression d'un jour férié était intervenue dans le même objectif en Allemagne, en 1994, sans susciter de problème particulier, la mise en oeuvre de la journée de solidarité a fait l'objet, en France, de nombreuses critiques injustes et d'une certaine dose de mauvaise volonté dans le monde du travail. En dépit des déclarations de principe sur le fondement solidaire du système de protection sociale, de nombreux acteurs économiques et sociaux renâclent à fournir, en faveur des plus fragiles, un effort limité de sept heures supplémentaires chaque année dans un pays où la durée moyenne du travail est l'une des plus faibles au monde.

De fait, en 2007, la majorité des salariés n'a pas travaillé le lundi de Pentecôte. La proposition de loi vise à améliorer ce bilan peu flatteur en apportant de nouveaux assouplissements techniques à la loi du 30 juin 2004.

Le bilan de la journée de solidarité apparaît aujourd'hui mitigé en raison d'importantes difficultés pratiques résultant de la diversité des jours chômés accordés aux salariés français.

M. André Lardeux, rapporteur , a déploré qu'à ces problèmes de mise en oeuvre se soit ajouté un certain nombre de manifestations de mauvaise volonté aboutissant in fine à vider la loi d'une grande partie de sa substance. Ni les grèves intervenues en 2005 dans les services publics, ni les recours contentieux déposés par les organisations syndicales, ni l'attitude de certaines entreprises du secteur privé offrant cette journée à leurs salariés sans contrepartie, n'ont été conformes à l'esprit de la loi. La pratique consistant à fractionner la journée de solidarité sous la forme de quelques minutes de travail supplémentaires chaque jour en est l'illustration la plus caricaturale.

A l'actif de cette mesure, on peut inscrire le fait qu'un nouveau mode de financement pérenne a été créé pour un montant annuel de 2,1 milliards d'euros, dont 1,85 milliard versés par les employeurs privés et publics, auxquels s'ajoute une contribution sur les revenus du capital produisant 350 millions d'euros de recettes supplémentaires ; de même, le pouvoir d'achat des salariés a été effectivement préservé.

En revanche, l'insertion de la journée de solidarité dans le droit social s'est avérée très difficile et la neutralité économique de cette mesure n'est pas entièrement assurée.

En outre, la disparité de situations individuelles entre les assurés sociaux sape aujourd'hui la légitimité de la journée de solidarité auprès de l'opinion publique. Si, dans le secteur privé, 70 % des entreprises sont ouvertes et 48 % des salariés travaillent le lundi de Pentecôte, la plupart des services publics sont fermés. Certes, 86 % des salariés au total se conformeraient à la loi, d'une façon ou d'une autre, durant l'année civile, mais cette contribution est susceptible de prendre des formes diverses de fractionnement ou de renoncement à un jour de RTT.

M. André Lardeux, rapporteur , a estimé que la solution exposée dans la proposition de loi s'inscrit dans la continuité des démarches déjà engagées dans le secteur public. Il s'agit à nouveau, cette fois dans le secteur privé, de promouvoir davantage de souplesse dans l'organisation de la journée de solidarité.

Le texte propose en substance de donner « carte blanche » aux entreprises pour aménager au mieux, durant l'année civile, ces sept heures de travail supplémentaires. Il se fonde sur le rapport publié en décembre 2007 par le secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, qui a mis à l'étude trois hypothèses d'évolution du cadre juridique actuel :

- le premier scénario consistait à revenir à une application uniforme fixée au lundi de Pentecôte ;

- le deuxième scénario impliquait l'abandon de toute référence au lundi de Pentecôte et le renvoi des modalités pratiques à des négociations avec les partenaires sociaux et in fine, en cas d'échec, aux employeurs ;

- le dernier scénario visait à mettre fin aux principaux goulets d'étranglement empêchant l'enracinement de la journée de solidarité dans la vie économique et sociale le lundi de Pentecôte, notamment en améliorant l'accueil et la garde des enfants, ainsi que la situation dans le secteur des transports.

C'est la deuxième piste qui a été retenue. M. André Lardeux, rapporteur, a observé que la version initiale de la proposition de loi ne concernait paradoxalement que les salariés relevant du code du travail, alors que les principaux problèmes se situent dans les services publics. Mais un article additionnel adopté en première lecture par l'Assemblée nationale a opportunément réparé cet oubli. En conséquence, il a proposé à la commission de ne pas modifier le texte voté par l'Assemblée nationale, tout en observant que trois questions majeures demeurent en suspens.

La première porte sur le rapport des Français au travail, dans un contexte de déficit structurel croissant du système de protection sociale. On observe que le nombre annuel d'heures travaillées par actif occupé est en France inférieur d'environ 15 % à la moyenne des pays de l'OCDE.

La deuxième est relative au dialogue social souhaité par la proposition de loi mais qui peut ne pas produire les effets escomptés dans la mesure où la quasi-totalité des organisations syndicales a manifesté son hostilité au principe même de la journée de solidarité, parfois qualifiée de « corvée ». Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, que seulement dix-neuf accords de branche aient été signés depuis 2004 entre les partenaires sociaux à ce sujet. Les chefs d'entreprise seront donc probablement le plus souvent conduits, comme aujourd'hui, à définir en dernier ressort les modalités de la journée de solidarité. Enfin, compte tenu des délais très courts entre la date prévisionnelle d'entrée en vigueur de la proposition de loi et le prochain lundi de Pentecôte, (12 mai 2008), les effets des nouvelles dispositions ne seront guère perceptibles avant 2009.

La troisième question porte sur la réelle neutralité économique de la journée de solidarité pour le secteur productif. En effet, faute d'une augmentation durable de 0,4 % de la quantité de travail produite par l'ensemble de l'économie française, l'apport de la loi du 30 juin 2004 se bornerait à la création d'un prélèvement obligatoire. Un processus d'ajustement dynamique dans les entreprises est donc indispensable pour leur permettre de faire travailler leurs salariés davantage. Mais l'introduction, pour le secteur privé, de davantage de souplesse ne risque-t-elle pas, à l'instar de ce qui s'est déjà produit dans les services publics, de vider la loi du 30 juin 2004 d'une partie de sa substance ?

Il faut espérer qu'en autorisant plus largement « toute autre modalité » pour effectuer la journée de solidarité, la loi n'incite pas au développement du schéma de fractionnement journalier des sept heures de travail supplémentaires.

En conclusion, M. André Lardeux, rapporteur , a proposé l'adoption du texte dans la rédaction votée à l'Assemblée nationale, qui a du moins le mérite d'une plus grande lisibilité pour l'opinion publique. Il aurait néanmoins été tout autant concevable de conserver l'acquis du lundi de Pentecôte, tout en améliorant l'accueil des enfants dans les crèches et les écoles et l'organisation des transports publics et privés afin de le rendre plus facilement applicable.

Quoi qu'il en soit, cette proposition de loi ne résout pas à elle seule le problème du financement de la politique de la dépendance. Ce sera l'objet du projet de création d'un cinquième risque de protection sociale, auquel le Gouvernement travaille actuellement et que le Parlement examinera probablement d'ici à la fin de l'année.

M. Bernard Seillier a indiqué qu'il partage les observations formulées par le rapporteur ainsi que sa déception de voir le principe de solidarité vidé d'une partie de sa substance par les pesanteurs du monde du travail.

M. Nicolas About, président, a jugé que certaines pratiques sont effectivement choquantes au regard de ce principe. Il a proposé en conséquence que la commission adopte un amendement visant à encadrer les modalités de fractionnement de la journée de solidarité.

M. André Lardeux, rapporteur , a approuvé cette initiative visant à éviter que ces sept heures annuelles de travail ne soient effectuées sous la forme d'un allongement de quelques minutes du temps de travail quotidien.

A l'article premier (assouplissement des modalités d'exercice de la journée de solidarité dans les entreprises du secteur privé), la commission a adopté un amendement tendant à interdire les possibilités de fractionnement de la journée de solidarité supérieur à deux demi-journées.

A l'article 2 (organisation de la journée de solidarité dans la fonction publique), elle a adopté un amendement répondant au même souci pour la fonction publique.

La commission a alors adopté la proposition de loi ainsi amendée.

* 1 DGTPE - Conséquences économiques de la journée de solidarité - juin 2005.

* 2 Note Insee du 12 juillet 2007 - Evaluation de l'impact économique de la journée de solidarité.

* 3 Etude de la direction générale du Trésor et de la politique économique : Conséquences économiques de la mise en place de la journée de solidarité - juin 2005.

* 4 La journée de solidarité - rapport du secrétariat d'Etat à l'évaluation et la prospective - décembre 2007.

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