B. UNE NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE
Sans refaire ici le débat sur la nature et l'ampleur du risque OGM, qu'elle a déjà analysées dans son rapport d'information de 2006, votre commission souhaite rappeler ici la dimension stratégique des OGM au plan économique, qui doit conduire à préciser sans délai le cadre légal de leur utilisation.
1. Au service d'une agriculture de production durable
Si l'agriculture doit respecter les milieux dans lesquels elle se déploie, elle doit aussi se voir donner les moyens de le faire. Parmi les outils susceptibles d'accompagner cette réorientation de l'agriculture, les OGM ne peuvent pas être écartés par principe. Si certains OGM peuvent, par nature ou par leurs conditions d'exploitation, mettre en danger l'environnement, d'autres peuvent présenter un très grand intérêt, par exemple comme alternative aux traitements phytosanitaires (plantes génétiquement modifiées résistantes aux insectes), comme outil d'adaptation aux changements climatiques (OGM économiseurs d'eau)... Une recherche ouverte sur ces potentialités, distinctes pour chaque OGM, peut seule permettre de savoir si ces promesses peuvent être tenues, à l'heure où la demande alimentaire mondiale explose chez les pays émergents .
D'ores et déjà, le rendement accru et la quasi absence de mycotoxines dans les cultures de maïs Bt ont entraîné un nombre croissant d'agriculteurs français à cultiver ce maïs OGM, sur 22.000 hectares en 2007, surtout localisés dans le Sud-Ouest.
2. Au service du pouvoir d'achat et de l'indépendance alimentaire de la France
Fixer un cadre légal à la culture d'OGM dans notre pays, c'est aussi prendre acte de la structure actuelle des échanges agricoles mondiaux.
D'une part, notre pays, comme l'Europe entière d'ailleurs, est extrêmement dépendant des importations pour l'alimentation de ses animaux d'élevage (porcs et volailles essentiellement), particulièrement depuis l'interdiction des farines animales, le 14 novembre 2000. Ainsi, l'Europe doit importer 75 % de ses protéines végétales -la France, 45 %-, en provenance des Etats-Unis, du Brésil et de l'Argentine.
Or, en 2006, les cultures transgéniques ont représenté 100 millions d'hectares dans le monde. Notamment, selon les chiffres fournis à votre rapporteur par le Gouvernement, 24 % du maïs et 60 % du soja cultivés dans le monde sont génétiquement modifiés. Le soja OGM représente même 92 % des surfaces totales de soja aux Etats-Unis et pratiquement 100 % des surfaces en Argentine 6 ( * ) .
De ce fait, 80 % des importations européennes de soja contiennent des OGM, ce qui représente en valeur absolue près de 17,8 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM et 11,2 millions de tonnes de graines de soja OGM importés chaque année par l'Europe 7 ( * ) . Pour sa part, la France importe chaque année environ 3,5 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM (sur les 5 millions que consomme son bétail).
Ce déficit français et européen en protéines végétales conjugué au développement accéléré des cultures OGM de par le monde conduit notre pays à nourrir son cheptel d'OGM.
Il n'existe donc pas aujourd'hui d'alternative économiquement viable au soja OGM. Il serait irréaliste d'imaginer une alimentation animale sans OGM, qui, dans un contexte de hausse généralisée du prix des matières premières agricoles, renchérirait encore les coûts de l'industrie agro-alimentaire et porterait les prix à des niveaux que le consommateur, déjà soucieux de son pouvoir d'achat, refuserait de payer. Les filières de viande blanche (porc et volaille) en seraient profondément déstabilisées.
Il n'est donc pas envisageable d'interdire les importations d'OGM, la clause de sauvegarde annoncée par le Gouvernement le 11 janvier 2008 sur le maïs Bt MON810 n'étant d'ailleurs destinée qu'à suspendre la culture de ce maïs sur le sol français et non sa commercialisation.
Dès lors, ne pas introduire, de manière encadrée et responsable, de cultures OGM en France serait se priver du moyen de réduire notre dépendance en protéines végétales et de préserver le pouvoir d'achat .
Par ailleurs, il convient de rappeler que la France appartient au système commercial international et se trouve soumise aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Attaquée par les Etats-Unis, l'Argentine et le Canada pour sa législation jugée protectionniste à l'égard des OGM, l'Union européenne devait se mettre en conformité avec la décision du panel de novembre 2006 avant le 11 janvier 2008. Si deux des trois plaignants ont accepté de prolonger ce délai, les Etats-Unis ont, pour leur part, enclenché le processus pouvant aboutir à des sanctions commerciales à l'encontre de l'Union européenne, et n'ont pas manqué de relever que les autorités françaises avaient annoncé l'activation de la clause de sauvegarde sur le maïs MON810 le jour même de l'expiration du délai de mise en oeuvre accordé à l'Union européenne.
Celle-ci encourt des rétorsions commerciales que la commissaire européenne à l'agriculture et au développement rural, Mme Mariann Fischer Boel, évalue à 800 millions, voire 1 milliard de dollars par an. Ces rétorsions, qui devraient entrer en vigueur avant la fin de l'année, vont prendre la forme de taxes à l'entrée des Etats-Unis pour des produits agricoles européens emblématiques, et il ne fait pas de doute que la France devrait être particulièrement ciblée, notamment à travers ses vins et champagnes, fromages AOC, foie gras... si bien que la problématique des OGM dépasserait mécaniquement la filière céréalière.
* 6 Et 55 % au Brésil.
* 7 Source Eurostat 2006.