D. LE TORPILLAGE DE LA POLITIQUE D'EMPLOI DES SENIORS

1. Une politique vidée de son contenu par des accords conventionnels

Le sommet européen de Stockholm de mars 2001 avait fixé un objectif de 50 % au taux d'emploi moyen des hommes et des femmes âgés de cinquante-cinq à soixante-quatre ans à l'horizon 2010. Honorer cet engagement supposait que les pouvoirs publics français changent de politique en matière d'emploi des seniors.

La loi du 21 août 2003 a, pour la première fois, engagé une inflexion sensible de la politique publique en matière de cessation précoce d'activité :

- une partie des préretraites d'entreprise a été assujettie à une contribution spécifique afin de dissuader les employeurs d'avoir recours à cette mesure d'âge ;

- les cessations anticipées d'activité des travailleurs salariés (Cats) ont été recentrées vers les seuls salariés ayant réalisé des travaux pénibles ;

- le dispositif de la préretraite progressive a été supprimé ;

- le principe du report à soixante-cinq ans de l'âge de mise à la retraite d'office a été posé.

Mais, lors des débats parlementaires, un amendement avait été adopté, en dépit des réserves exprimées par le Gouvernement, pour créer une dérogation et permettre que la mise à la retraite d'office ait lieu, à titre dérogatoire, dès l'âge de soixante ans . Cette faculté demeurait ouverte si une convention ou un accord collectif étendu fixait des « contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle », sans autre précision.

Entre la promulgation de cette mesure et l'entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui y a mis fin à compter de 2010, pas moins de cent deux branches professionnelles, dont les plus importantes, ont conclu des accords sur cette base. Ces branches couvrent des secteurs (métallurgie, bâtiment, banque...) employant près de sept millions de salariés.

Par ses proportions, la dérogation a vidé de sa substance les dispositions générales et l'exception est devenue la règle. Huit branches professionnelles au minimum ont même conclu des accords dérogatoires en dessous de l'âge de soixante ans, ce dont votre rapporteur persiste à douter de la légalité.

2. Des dispositifs de cessation précoce d'activité fonctionnant encore à plein régime

Aujourd'hui, plus de 60 % des personnes appartenant aux classes d'âge proches de la retraite relèvent des principaux mécanismes collectifs de cessation d'activité :

- les préretraites publiques ;

- les préretraités au titre de l'indemnisation des victimes de l'amiante ;

- les préretraites d'entreprise ;

- les chômeurs dispensés de recherche d'emploi ;

- les invalides de plus de cinquante-cinq ans.

Ces départs interviennent aussi sur la base des instruments juridiques individuels de mise en cessation précoce d'activité que sont les mises à la retraite d'office (MRO) et les départs volontaires en retraite des salariés âgés visés au premier alinéa de l'article L. 122-14-13 du code du travail.

L'observation des vingt dernières années montre que les mécanismes de cessation d'activité se sont succédé au fil du temps. Les tentatives des pouvoirs publics visant à les restreindre aboutissent à des résultats le plus souvent partiels et ambigus. Les entreprises françaises continuent d'avoir recours aux mesures d'âge - et en premier chef aux préretraites.

Le taux d'emploi des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans en France est néanmoins passé de 29,3 % en 2000 à 37,9 % en 2005. Mais cette augmentation, somme toute modeste, s'explique pour partie par l'effet mécanique de l'arrivée des premières générations du baby-boom dans la tranche d'âge cinquante-cinq à cinquante-neuf ans. Il ne s'agit donc pas d'un retournement de tendance. Une fois neutralisé l'effet de la modification de la structure par âge de la population active, le taux d'emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans n'aurait augmenté que de cinq points.

Evolution comparée du taux d'activité en France et en Europe

1998

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

Evolution 2003-2006

Taux d'emploi des hommes et des femmes âgés de 15 à 64 ans

- France

59,9 %

61,7 %

62,7 %

62,9 %

63,2 %

63,1 %

63,1 %

63,0 %

- 0,2 %

- moyenne UE 15*

60,8 %

63,1 %

63,9 %

64,2 %

64,4 %

64,7 %

65,2 %

- écart

- 0,9

- 1,4

- 1,2

- 1,3

- 1,2

- 1,6

- 2,1

Taux d'emploi des hommes âgés de 15 à 64 ans

- France

67,2 %

68,8 %

nd

69,6 %

69,4 %

69,0 %

68,8 %

68,5 %

- 0,9 %

- moyenne UE 15

70,5 %

72,4 %

nd

72,9 %

72,7 %

72,7 %

72,9 %

- écart

- 3,3

- 3,6

nd

- 3,3

- 3,3

- 3,7

- 4,1

Taux d'emploi des femmes âgées de 15 à 64 ans

- France

52,9 %

54,8 %

55,7 %

56,4 %

57,2 %

57,4 %

57,6 %

57,7 %

0,5 %

- moyenne UE 15

51,1 %

53,8 %

54,8 %

55,5 %

56,1 %

56,8 %

57,4 %

- écart

1,8

1,0

0,9

0,9

1,1

0,6

0,2

Taux d'emploi des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans

- France

nd

29,3 %

30,7 %

33,8 %

36,8 %

37,3 %

37,9 %

37,6 %

0,8 %

- moyenne UE 15

nd

37,5 %

38,2 %

39,8 %

41,7 %

42,5 %

44,1 %

- écart

nd

- 8,2

- 7,5

- 6,0

- 4,9

- 5,2

- 6,2

Taux d'emploi des hommes âgés de 55 à 64 ans

- France

nd

32,8 %

nd

38,1 %

40,9 %

41,0 %

40,7 %

40,1 %

- 0,8 %

- moyenne UE 15

nd

47,6 %

nd

49,8 %

51,6 %

52,2 %

53,1 %

- écart

nd

- 14,8

nd

- 11,7

- 10,7

- 11,2

- 12,4

Taux d'emploi des femmes âgées de 55 à 64 ans

- France

nd

26,0 %

26,7 %

29,6 %

32,9 %

33,8 %

35,2 %

35,2 %

2,3 %

- moyenne UE 15

nd

27,7 %

28,6 %

30,2 %

32,2 %

33,2 %

35,4 %

- écart

nd

- 1,7

- 1,9

- 0,6

0,7

0,6

- 0,2

* Belgique, Danemark, Allemagne, Irlande, Grèce, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Autriche, Portugal, Suède, Finlande et Royaume-Uni.

Source : Données issues des enquêtes européennes sur les forces de travail pour les années 1998 à 2006 (Eurostat).

Par ailleurs, aux nombreux dispositifs de cessation d'activité s'ajoutent les effets de la mesure des longues carrières si bien que jamais sans doute l'âge de cessation d'activité des salariés français du secteur privé n'a été aussi bas qu'en 2007.

3. La rupture proposée par le projet de loi de financement pour 2008

Les mises à la retraite d'office et les préretraites d'entreprise constituent le talon d'Achille de la réforme de 2003. Indépendamment des préretraites financées par l'Etat et le régime d'assurance chômage, il est en effet possible pour un employeur de mettre en oeuvre des dispositifs, couramment appelés « préretraites maison » ou « congés de fin de carrière ». Ils sont institués surtout dans les grandes entreprises et s'adressent aux salariés remplissant des conditions d'âge et d'ancienneté. Mais certains de leurs bénéficiaires ont aujourd'hui encore à peine cinquante ans... Ces préretraites d'entreprise entraînent une cessation totale d'activité jusqu'à l'âge de la retraite, l'employeur s'engageant à verser une rémunération en général supérieure à 65 % du salaire brut antérieur.

Un autre dispositif juridique est porteur de difficultés. Il résulte d'un amendement déposé, l'an dernier, par le précédent gouvernement sur les conclusions de la commission mixte paritaire constituée pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Son adoption a permis d'instituer un nouveau cas de rupture du contrat de travail pour les salariés âgés reposant « sur l'accord de l'employeur ». Le régime fiscal et social de l'indemnité de départ versée au salarié avait été aligné sur celui, très avantageux, de l'indemnité de licenciement.

Ce régime d'exonération totale de charges sociales, à l'exception de la CSG et de la CRDS, doit s'appliquer à partir du 1 er janvier 2010 et jusqu'au 1 er janvier 2014. Son coût annuel pour les finances sociales serait compris entre 600 millions et un milliard d'euros. Il s'adresse uniquement à la centaine de branches professionnelles ayant conclu une convention ou un accord collectif étendu dérogeant au principe du report à soixante-cinq ans de l'âge auquel un employeur peut mettre un salarié à la retraite d'office. Il crée un mécanisme de substitution à la mise en extinction, d'ici au 31 décembre 2009, de ces dérogations.

Votre commission s'était alors montrée très hostile à ce type de préoccupation 9 ( * ) , le Sénat votant même à l'unanimité la suppression d'une disposition d'inspiration analogue. La note de la mission conjointe sur l'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office établie par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales confirmait cette analyse 10 ( * ) . « Sur un plan général, il est en effet certain que cette possibilité mise à la disposition des employeurs favorise et encourage la culture du départ précoce, et cela d'autant plus qu'elle bénéficie d'un statut fiscal et social favorable particulièrement attrayant, et cela aussi bien pour les salariés que pour les entreprises. »

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 propose de réparer cette erreur et de pénaliser le recours aux préretraites. Il s'agit de porter de 24,15 % à 50 % le taux de la contribution créée par la loi du 21 août 2003 sur les avantages de préretraite d'entreprise et de créer une contribution similaire pour les mises à la retraite à l'initiative de l'employeur. Il convient enfin de noter qu'en première lecture, l'Assemblée nationale a adopté un amendement pour supprimer le mécanisme de départ négocié en commun prévu pour la période 2010-2014 voté l'an dernier.

* 9 Projet de loi de financement de la sécurité sociale - Rapport n° 59 (2006-2007) d'Alain Vasselle - Tome VI - Examen des articles p. 61 à 63.

Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, compte rendu intégral des débats en séance publique au Sénat (30 novembre 2006), intervention de Dominique Leclerc.

* 10 Note n° 2006-M-061-01 et M-2006-222 de la mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales, sur l'évolution de la législation relative aux mises à la retraite d'office - novembre 2006 - p. 8.

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