B. DES OBSTACLES JURIDIQUES À LA TRANSPOSITION
Deux dispositions, la création d'une interdiction de réadmission et l'allongement de la durée de rétention, sont susceptibles d'être contraires à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
C'est la raison pour laquelle la proposition de résolution du groupe Communiste Républicain et Citoyen (CRC) demande au Gouvernement de saisir le Conseil d'Etat pour avis.
1. Le caractère automatique de l'interdiction de réadmission
La résolution déposée par le groupe CRC considère que l'interdiction de réadmission sur le territoire de l'Union européenne serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel en raison de son caractère quasi-automatique.
En effet, dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution, et plus particulièrement à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 12 ( * ) , la disposition prévoyant que « tout arrêté de reconduite à la frontière entraîne automatiquement une sanction d'interdiction du territoire pour une durée d'un an sans égard à la gravité du comportement ayant motivé cet arrêté, sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée ».
De manière moins affirmative, la proposition de résolution déposée par M. Thierry Mariani au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale s'interroge également sur d'éventuelles difficultés d'ordre constitutionnel.
2. Vers un allongement excessif de la durée de la rétention administrative ?
Une autre difficulté juridique résiderait dans l'éventuel allongement de la durée de rétention.
Pour être exact, la proposition de directive n'impose pas un allongement de la durée de rétention. Elle fixe uniquement un délai maximal de six mois sous réserve d'un contrôle mensuel par l'autorité judiciaire.
La législation française, qui prévoit un délai maximal de rétention de 32 jours depuis l'adoption de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, ne serait donc pas tenue de s'aligner sur ce maximum de six mois.
Toutefois, l'adoption d'un tel délai dans un texte européen tendrait à en faire naturellement la norme européenne en la matière.
En effet, de nombreux Etats membres ont des délais maximum théoriques de rétention supérieurs à six mois : dix-huit mois en Allemagne, illimités au Royaume-Uni, au Danemark et aux Pays-Bas. En Belgique, la durée maximale est de cinq mois, voire huit mois lorsque la sauvegarde de l'ordre public ou la sécurité nationale l'exige.
L'adoption de la directive aurait donc pour effet mécanique de regrouper une majorité de pays autour d'un maximum de six mois.
Seules l'Espagne et l'Italie auraient des durées maximales de rétention plus proches de la notre avec respectivement 40 et 60 jours.
Dans ces conditions, il est probable que le plafond de six mois agisse comme un aimant qui placerait notre pays dans une position délicate en Europe.
En effet, le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 sur la loi du 26 novembre 2003 précitée que « l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». Certes, le Conseil n'a jamais fixé de durée au-delà de laquelle l'étranger ne pourrait plus être légalement maintenu en rétention. Mais chaque fois que le législateur a souhaité allonger la durée maximale de rétention, il l'a fait avec prudence et en invoquant des motifs précis (obstruction de l'étranger à son éloignement, impossibilité matérielle d'organiser le retour).
Dans ce contexte, un allongement de la durée de rétention jusqu'à six mois risquerait fortement d'être déclaré non conforme à la Constitution.
C'est la raison pour laquelle, en plus de son opposition de principe à tout allongement de la durée de rétention, la proposition de résolution du groupe CRC fait allusion au risque d'inconstitutionnalité en germe dans la directive.
* 12 Article 8 : La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.