EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

« Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »- A l'initiative du Président de la République, la représentation nationale est appelée à consacrer dans la Constitution une disposition dont la portée dépasse les limites du titre VIII relatif à l'autorité judiciaire dans laquelle le projet de loi constitutionnelle propose de l'inscrire. Car la prohibition de la peine de mort est la traduction dans notre texte fondamental du premier des droits de l'homme dans une démocratie, celui sans lequel aucun autre n'est effectif, le droit au respect de la vie de la personne humaine.

La révision constitutionnelle est la consécration de l'oeuvre engagée dans notre pays par l'abolition, voulue par le Président François Mitterrand, le 9 octobre 1981, de la peine de mort et confortée ensuite par les engagements internationaux souscrits par notre pays. Elle réalise ainsi le voeu de Victor Hugo « L'abolition pure, simple et définitive ».

Le combat, gagné en France, doit désormais se poursuivre hors de nos frontières. Le droit de toute personne à la vie est un droit universel. La justice peut disposer de la liberté, de la fortune, de l'honneur d'un homme qui a violé la loi, pourvu qu'elle observe rigoureusement toutes les garanties du procès équitable. Mais sa puissance s'arrête à l'intégrité physique de celui qu'elle condamne. Parce que nul ne saurait légitimement priver un homme ou une femme de ce qui le constitue en être humain, sa vie même. Et cette exigence première vaut pour toute l'humanité.

Depuis 1981, l'abolition progresse constamment dans le monde. Il n'est pas indifférent que la présente réforme constitutionnelle ait pour motif immédiat la nécessité d'accorder notre Constitution avec les dispositions d'un accord international, le deuxième protocole au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à conférer un caractère irréversible à l'abolition de la peine de mort. Les instruments juridiques internationaux sont ainsi un puissant facteur de l'abolition.

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Aussi votre rapporteur présentera-t-il la marche en avant de l'abolition et la part qu'y a prise le droit international, d'abord en France (I), ensuite en Europe (II) et, enfin, dans le monde (III).

I. EN FRANCE : « L'ABOLITION PURE, SIMPLE ET DÉFINITIVE » (VICTOR HUGO)

La révision constitutionnelle répond à la décision du Conseil constitutionnel du 13 octobre 2005. Sa portée s'étend bien au-delà cependant car elle parachève un processus engagé avec détermination voici plus de vingt-cinq ans.

A. LES MOTIFS JURIDIQUES DE LA RÉVISION

Sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel avait été saisi le 22 septembre 2005 par le Président de la République pour apprécier la compatibilité à la Constitution de deux engagements internationaux relatifs à l'abolition de la peine de mort :

- le deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques , visant à abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989 ;

- le protocole additionnel n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à l' abolition de la peine de mort en toutes circonstances , adopté par le Conseil de l'Europe à Vilnius le 3 mai 2002.

Le premier de ces textes ne laisse aux Etats la faculté de déroger à l'abolition de la peine de mort qu'« en temps de guerre à la suite d'une condamnation pour un crime de caractère militaire d'une gravité extrême commis en temps de guerre ». Encore cette faculté leur est-elle donnée à la condition de formuler une réserve lors de la ratification ou de l'adhésion et de fonder une telle demande sur une disposition de leur législation prévoyant l'application de la peine de mort en temps de guerre.

Le protocole n° 13 prévoit, quant à lui, l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances .

En revanche tandis que ce texte peut être dénoncé dans les conditions fixées par l'article 58 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales 1 ( * ) , le protocole de New York ne mentionne aucune possibilité de dénonciation .

Conformément à sa jurisprudence traditionnelle, le Conseil constitutionnel a vérifié si l'un ou l'autre de ces deux engagements comportaient une clause contraire à la Constitution, mettaient en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portaient atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

En 1985, saisi du protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort, le Conseil constitutionnel avait reconnu la conformité de ce texte avec la Constitution sur la base d'un double constat :

- le protocole n° 6 prévoyait la possibilité d'appliquer la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ;

- il pouvait être dénoncé dans les conditions prévues par l'article 65 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Il en avait alors déduit que « cet engagement international n'est pas incompatible avec le devoir pour l'Etat d'assurer le respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la Nation et la garantie des droits et libertés des citoyens ».

Vingt ans plus tard, après avoir relevé que les deux protocoles « ne contiennent aucune clause contraire à la Constitution et ne mettent pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis », le Conseil constitutionnel s'est interrogé sur le respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté au regard des seules modalités de dénonciation du traité .

Le protocole n° 13, bien qu'il ne prévoie, contrairement au deuxième protocole de New York, aucune réserve à l'abolition de la peine de mort, est déclaré conforme à la Constitution dans la mesure où il peut être dénoncé .

En revanche, le Conseil constitutionnel a estimé le deuxième protocole de New York, qui ne comporte aucune faculté de dénonciation, contraire aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale puisqu'il implique une abolition irrévocable.

Sans doute, selon l'article 56 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 -qui, si elle n'a pas été ratifiée par la France, définit le droit commun des traités- l'absence de clause expresse de dénonciation n'interdit pas néanmoins un droit de dénonciation si celui-ci déduit de la nature du traité ou s'il était dans la commune intention des parties de l'admettre.

Le Comité des droits de l'homme, organe habilité à « recevoir et examiner les plaintes émanant des particuliers qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés dans le Pacte » et d'adresser aux Etats « toutes observations générales qu'il jugerait appropriées » a examiné l'impossibilité de fonder le droit de dénonciation du protocole de New York sur l'un ou l'autre de ces deux critères.

Dans une « observation générale » du 29 octobre 1997, il relève, d'une part, que si les Etats parties ont introduit une clause de dénonciation pour le premier protocole additionnel au Pacte adopté le même jour que celui-ci, ils ne l'ont retenu ni pour le Pacte lui-même, ni pour le deuxième protocole facultatif « d'où toute clause de dénonciation a été délibérément omise » et, d'autre part, que le « Pacte n'est pas le type de traité qui, en raison de sa nature, implique un droit de dénonciation ». En effet, dans la mesure où il codifie les droits de l'homme universels, il « n'a pas le caractère provisoire caractéristique des instruments dans lesquels un droit de dénonciation est réputé être admis, nonobstant l'absence d'une clause explicite en ce sens ».

La France pourrait-elle cependant invoquer la souveraineté nationale pour s'affranchir du droit des traités et dénoncer un engagement ? Le caractère constitutionnel de la règle « pacta sunt servanda » s'y opposerait.

La ratification du protocole de New York suppose donc nécessairement la révision de la Constitution . Telle est la motivation la plus immédiate du présent projet de loi constitutionnelle.

* 1 L'article 5 du protocole renvoie en effet à toutes les stipulations de la convention notamment à l'article 58 qui donne aux parties une faculté de dénonciation moyennant un préavis de six mois après l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la convention à leur égard.

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