II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UNE RÉVISION NÉCESSAIRE, CONFIRMANT LES POSITIONS ANTÉRIEURES DU PARLEMENT

Afin de surmonter les difficultés posées par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, une première tentative, inaboutie, de modification de la Constitution fut entreprise en 1999. La jurisprudence a depuis établi la compatibilité des restrictions au corps électoral avec les engagements internationaux de la France.

A. LA NECESSITÉ D'UNE DISPOSITION CONSTITUTIONNELLE INTERPRÉTATIVE

1. La décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999 et la nécessaire intervention du pouvoir constituant

Saisi par le Premier ministre de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel devait en examiner la conformité non seulement au regard de la Constitution, mais aussi au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa, y compris lorsqu'elles dérogent aux règles ou principes de valeur constitutionnelle.

Dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, le juge constitutionnel estime cependant que de telles dérogations « ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en oeuvre de l'accord ». Par conséquent, dans l'hypothèse où l'accord de Nouméa admettrait deux lectures possibles, le Conseil constitutionnel devait retenir la moins éloignée des principes constitutionnels.

Ainsi, il juge qu'il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 .

Le Conseil constitutionnel fonde cette interprétation sur l'idée « qu'une telle définition du corps électoral restreint est au demeurant seule conforme à la volonté du pouvoir constituant, éclairée par les travaux parlementaires dont est issu l'article 77 de la Constitution, et respecte l'accord de Nouméa, aux termes duquel font partie du corps électoral aux assemblées des provinces et au congrès, notamment, les électeurs qui, "inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l'élection" ».

Le juge constitutionnel fait donc prévaloir la théorie du corps électoral « glissant ». En l'absence de stipulation expresse de l'accord de Nouméa excluant la participation des Français installés en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 aux élections aux assemblées de province et au congrès, il a retenu l'interprétation la moins restrictive du corps électoral.

Pourtant , les travaux préparatoires de la loi organique mettent en évidence une interprétation inverse , celle du corps électoral « gelé », selon laquelle le corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province, prévu par l'article 77 de la Constitution, ne doit prendre en compte, pour l'application de la condition de dix ans de résidence, que les personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998.

Le tableau annexe mentionné à l'article 188 de la loi organique est donc, pour le législateur, le tableau annexe arrêté en vue de la consultation du 8 novembre 1998 . Telle est en effet la position exprimée par les rapporteurs du projet de loi organique à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Notre collègue René Dosière, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, écrit ainsi : « A quel tableau annexe fait-on référence dans l'accord de Nouméa ? Il est clair qu'il s'agit du tableau qui a été constitué en vue de la consultation référendaire de 1998. Figurent sur ce tableau -et sont donc exclues de la liste électorale spéciale- les personnes qui ne respectent pas la condition fixée par l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre ( 1988 ), c'est-à-dire celles qui n'ont pas eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de la date du référendum du ( 6 ) novembre 1988 jusqu'à la date de la consultation, qui aurait dû être celle relative à l'autodétermination, de 1998. (...) Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie, après le référendum de 1988 jusqu'à la consultation de 1998, pourront donc voter aux élections provinciales dès qu'elles auront rempli la condition de domicile. Les premières retrouveront ce droit de suffrage en 1999, les dernières à la fin de 2008. » 15 ( * )

Votre rapporteur défend une position identique dans son commentaire des dispositions du projet de loi statutaire : « l'intention sous-jacente à l'accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral « glissant », s'enrichissant au fil du temps des personnes dont l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles pourraient justifier de dix ans de résidence » 16 ( * ) .

Lors de l'examen du projet de loi organique, le Sénat avait d'ailleurs confirmé une modification adoptée par l'Assemblée nationale, afin de supprimer toute ambiguïté quant au tableau annexe visé au sein des dispositions relatives à la liste électorale pour les élections provinciales (art. 188 de la loi organique) 17 ( * ) .

En outre, lors de la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique, le 16 février 1999 au Sénat, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a confirmé cette interprétation :

« Le régime électoral pour les élections aux assemblées de province, et donc au congrès, est un autre point clé de l'accord de Nouméa.

« Aux termes de l'article 177, peuvent participer à l'élection des assemblées de province les personnes qui remplissaient les conditions pour voter lors de la consultation du 8 novembre 1998 [...] et celles qui, inscrites au tableau annexe du 8 novembre 1998, auront, au jour du scrutin provincial, rempli la condition de dix ans de résidence, ainsi que les jeunes majeurs dont l'un des parents remplissait l'une ou l'autre condition et résidant eux-mêmes en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans à la date de l'élection .

« A mesure qu'elles rempliront la condition de résidence entre 1998 et 2008, ces personnes pourront voter à l'élection aux assemblées de province. Un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a permis de revenir à une rédaction meilleure, évitant une ambiguïté. Il a été accepté par le Sénat.

« L'accord de Nouméa ne peut en effet être interprété que d'une seule manière. Que ce soit pour les adultes ou pour les jeunes majeurs, il pose une double condition : l'inscription au tableau annexe du 8 novembre 1998 et la résidence depuis dix ans.

« L'accord de Nouméa, sur ce point, a fait l'objet de négociations longues et difficiles, aboutissant à un texte précis où chaque mot compte. Quoique complexe, la rédaction de l'article 177 est la seule qui soit exactement cohérente avec l'accord, et qui respecte ainsi la volonté clairement affirmée du législateur constituant . » 18 ( * )

Enfin, comme l'a observé notre ancien collègue Lucien Lanier dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, l'interprétation du corps électoral « glissant » ne paraît guère cohérente avec « certaines des conditions alternatives figurant à l'article 188 de la loi organique, dont le libellé reproduit pourtant fidèlement les termes de l'accord de Nouméa » 19 ( * ) .

Elle retire en particulier toute pertinence à la nécessité, définie au c) de l'article 188, pour une personne atteignant la majorité après la consultation du 8 novembre 1998, d'avoir un de ses parents inscrits au tableau annexe et de justifier d'une durée de domicile de dix ans à la date de l'élection, puisqu'il suffirait alors à cette personne de remplir le critère défini au b) 20 ( * ) afin d'être admis à participer aux élections provinciales. Le critère de l'inscription d'un parent au tableau annexe n'a de sens que si ce tableau est celui élaboré en vue de la consultation du 8 novembre 1998. En effet, une personne atteignant la majorité après la date de cette consultation ne pouvait figurer sur ce tableau. Seul le critère de l'inscription de l'un de ses parents peut alors lui permettre de participer aux élections provinciales.

Surtout, si le critère principal était de justifier d'une durée de résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date d'arrivée dans l'archipel, pourquoi les signataires de l'accord de Nouméa auraient-ils précisé que les électeurs inscrits sur les listes électorales établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 feraient partie du corps électoral pour l'élection des assemblées de province et du congrès ? Les électeurs remplissant les conditions pour participer à cette consultation satisfaisaient en effet dès 1998 à la condition de dix ans de résidence.

La référence au tableau annexe établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998 est donc la seule compatible avec l'esprit de l'accord de Nouméa.

* 15 Rapport fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie et sur le projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie par M. René Dosière, XIème législature, n° 1275, tome I, p. 190 à 193.

* 16 Rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi organique relatif à la Nouvelle-Calédonie et le projet de loi relatif à la Nouvelle-Calédonie par M. Jean-Jacques Hyest, n° 180 (1998-1999), p. 220 à 223.

* 17 L'Assemblée nationale avait en effet supprimé, au b) de l'article 17 devenu l'article 188 de la loi statutaire, la référence au tableau annexe mentionné au I de l'article 178, devenu l'article 189 de la loi statutaire, et désignant les « électeurs non admis à participer au scrutin ».

* 18 Cf Journal officiel, Débats Sénat, séance du 16 février 1999.

* 19 Rapport fait au nom de la commission des Lois du sénat par M. Lucien Lanier sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie, n° 2 (1999-2000), p. 19-20.

* 20 Soit être inscrit sur le tableau annexe et domicilié depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province.

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