2. Des pratiques à encadrer
a) Une conception élastique de la ligne de partage entre dépenses budgétaires et opérations de trésorerie
La Cour des comptes note, dans son rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'Etat pour l'exercice 2005, deux manquements aux règles de partage entre opérations budgétaires et opérations de trésorerie , portant sur le remboursement effectué par la CADES au budget général et la reprise par l'Etat de la dette du FFIPSA.
S'agissant de la CADES, la Cour des comptes note que le versement en 2005 de la CADES pour un montant de 3 milliards d'euros a été affecté aux recettes budgétaires de l'exercice , alors que la créance ainsi « remboursée » n'avait jamais été décaissée budgétairement. Il y a une absence de cohérence entre le traitement non budgétaire de la créance et le traitement budgétaire de son remboursement .
A l'inverse, en ce qui concerne la reprise de la dette du FFIPSA par l'Etat, à hauteur de 2,5 milliards d'euros, prévue par l'article 117 de la loi de finances rectificative pour 2005, il faut souligner que votre commission des finances avait exprimé des réticences sur la qualification de cette reprise de dette comme « opération de trésorerie » par la voix de son Président. En séance publique, le 19 décembre 2005, notre collègue Jean Arthuis, président de votre commission des finances soulignait : « j'ai tendance à penser que, si nous avions été sous l'empire de la LOLF, ce procédé aurait probablement constitué un manquement à la règle de sincérité. En effet, si l'on suit cette logique, il suffirait, pour subvenir à quelques dépenses publiques, de disposer de fonds périphériques, de laisser ceux-ci s'endetter et, périodiquement, de demander à l'État de reprendre une partie de la dette. De telles pratiques iraient naturellement à l'encontre des principes de sincérité et de fidélité posés par la loi organique relative aux lois de finances.(...) Ce procédé, qui consiste à ne pas constater la prise en charge des dettes par des crédits budgétaires et à s'en tenir à une substitution de débiteur, me paraît contestable. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que c'est la dernière fois que cela se produit ? À l'avenir, si l'État devait se substituer au FFIPSA afin de reprendre les dettes de celui-ci, il serait sans doute prudent d'inscrire cette reprise de dettes en charge budgétaire, plutôt que de l'inscrire directement au passif du patrimoine de l'État, sans passer par le compte de résultat ».
En réponse, M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, avait répondu : « Il s'agit en l'occurrence d'une opération de trésorerie ».
La Cour des comptes ne partage pas cette analyse. S'agissant de cette reprise de dette, elle note que « le montant du déficit du budget de l'Etat pour 2005 aurait dû être majoré du montant de cette reprise de dette, soit 2,5 milliards d'euros », relevant que « dans le cas du BAPSA et du FFIPSA, l'Etat ne pouvait se dispenser de son obligation d'assurer par des sources budgétaires l'équilibre entre charges et obligations du régime de sécurité sociale des exploitants agricoles ».
b) Les reports de charges sur la sécurité sociale
L'examen du présent projet de loi conduit également à analyser la situation des dettes de l'Etat à l'égard des régimes obligatoires de sécurité sociale.
Or ces dettes sont très importantes, puisqu'elles atteignent, au 31 décembre 2005, 3,6 milliards d'euros à l'égard du régime général et plus de 5,1 milliards d'euros à l'égard de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale . A titre de comparaison, on note que les dettes nettes au 31 décembre 2005 représentent ainsi 35 % du déficit prévisionnel 2006 du régime général (31 % du déficit constaté en 2005), comme le montre le tableau suivant :
c) L'inclusion en recettes budgétaires 2005 de la reprise de provision afférente au droit à prime d'Etat sur plan d'épargne populaire (PEP)
Une autre pratique discutable est l'inclusion en recettes budgétaires 2005 de la reprise de provision afférente au droit à prime d'Etat sur plan d'épargne populaire (PEP) , à hauteur de 652 millions d'euros.
Cette provision avait été instaurée par la loi de finances initiale pour 1990 (n° 89-935 du 29 décembre 1989), en même temps que les PEP. Elle n'avait alors pas été considérée comme une dépense, son inscription ayant uniquement pour but de pallier l'absence de provisions dans la comptabilité générale de l'Etat. Seuls les décaissements correspondant aux primes effectivement versées ont été comptabilisés comme des dépenses.
Le fait que la reprise de cette provision effectuée en 2005, qui n'a correspondu à aucune rentrée de trésorerie, ait été considérée comme une recette budgétaire, n'est pas critiquable en soi.
Ce qui est critiquable en revanche, c'est que dans la mesure où, lors de son instauration par la loi de finances initiale pour 1990, cette provision n'avait pas été considérée comme une dépense, sa reprise aurait dû, par cohérence, être considérée comme une simple recette d'ordre.
Ainsi, la Cour des comptes considère que « la reprise de provision n'est pas irrégulière au regard de l'ordonnance organique applicable pour la dernière année, mais elle porte atteinte à la bonne information du Parlement, car elle n'est pas identifiée dans le rapport financier comme une recette d'ordre sans incidence sur la trésorerie de l'Etat ».
Présentation du mécanisme de provision afférente au droit à prime d'Etat sur plan d'épargne populaire « Adopté en loi de finances pour 1990, lors de la création du PEP, à la demande de la Cour, le mécanisme de dotation aux provisions et de paiement des primes au chapitre 44.92 visait à pallier l'absence de provisions dans la comptabilité générale de l'Etat, mais ne s'est traduit par des décaissements qu'à hauteur des primes effectivement versées. Cette provision maintenue dans un compte de comptabilité générale était devenue progressivement sans objet, et la Cour en avait demandé, dans son rapport sur les comptes de 2004, sa réduction. Sa reprise en 2005 a pour effet, par symétrie avec la dotation initiale, de constater une recette budgétaire qui ne résulte d'aucun encaissement par un comptable public ». Source : rapport de la Cour des comptes sur les résultats et la gestion de 2005 |
La Cour des comptes souligne néanmoins :
- que ce procédé, pour contestable qu'il soit, est sans conséquence sur le déficit notifié à la Commission européenne, puisque les comptables nationaux ont neutralisé la recette correspondante ;
- que l'entrée en vigueur de la LOLF rendra de telles pratiques impossibles à partir de 2006. En effet, la comptabilité budgétaire ne peut être, conformément aux articles 7, 8 et 28 de la LOLF, qu'une comptabilité de gestion des autorisations d'engagement et des crédits de paiement et une comptabilité de décaissements et d'encaissements par un comptable public, les provisions ne pouvant donc plus être placées qu'en comptabilité générale.
d) L'utilisation des ressources de privatisation
Les recettes de privatisation ont atteint 10 milliards d'euros en 2005. Elles résultent essentiellement de cessions de titres France Telecom et Gaz de France, ainsi que de la fusion entre la SNECMA et SAGEM, à l'origine du groupe SAFRAN.
Les principales recettes de privatisation en 2005
(en milliards d'euros)
Débouclage de l'opération France Telecom/ERAP |
4,0 |
Gaz de France |
2,4 |
France Telecom |
1,8 |
SNECMA/Sagem |
1,0 |
Bull |
0,5 |
Divers |
0,3 |
Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
Les dépenses du compte ont concerné, pour 7 milliards d'euros, des dotations aux nouvelles agences d'investissement, d'innovation et de recherche créées à l'initiative du gouvernement :
- l'AFITF (agence pour le financement des infrastructures de transport), pour 4 milliards d'euros ;
- l'AII (agence de l'innovation industrielle), pour 1,7 milliard d'euros ;
- l'ANR (agence nationale de la recherche), pour 1,3 milliard d'euros.
En outre, le gouvernement a affecté à des fondations de recherche 65,5 millions d'euros en provenance du compte d'affectation spéciale. Certains établissements publics ont également bénéficié de subventions s'apparentant à une débudgétisation, qui, vraisemblablement, ne respectent pas les règles posées par Eurostat, permettant de ne pas comptabiliser en dépenses les dépenses en capital. L'établissement pour la maîtrise d'ouvrage pour les travaux culturels (EMOC), l'établissement public de Versailles et l'établissement public du campus de Jussieu (EPCJ) ont respectivement bénéficié sur les recettes de privatisation de 89,3, 10 et 110 millions d'euros. L'ADEME également a bénéficié de 20 millions d'euros.
Fondations ayant bénéficié de recettes de privatisations en 2005
(en euros)
Fondation Pasteur |
4.000.000 |
Fondation Supelec |
4.216.000 |
Fondation de recherche pour le développement durable et les relations internationales |
1.163.000 |
Fondation Institut des hautes études scientifiques |
2.989.000 |
Fondation Santé et radiofréquences |
2.400.000 |
Fondation Coeur et artères |
4.245.000 |
Fondation Thérèse et René Planiol pour l'étude du cerveau |
685.000 |
Fondation pour une culture de sécurité industrielle |
3.300.000 |
Fondation Bâtiment énergie |
4.000.000 |
Fondation de recherche pour l'aéronautique et l'Espace |
9.000.000 |
Institut Curie |
10.000.000 |
Fondation Pasteur |
12.000.000 |
Fondation Garches |
650.000 |
Fondation Institut des hautes études scientifiques |
150.000 |
Fondation Supelec |
1.504.500 |
Fondation Europlace |
1.394.000 |
Fondation HEC |
1.200.000 |
Fondation Rhône Alpes futur |
1.100.000 |
Fondation TUCK |
1.100.000 |
Fondation IFRAD |
420.000 |
Total |
65.516.500,00 |
Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
En application de l'article 57 de la LOLF, votre rapporteur général a souhaité obtenir des éclaircissements sur l'utilisation des fonds versés par l'Etat auprès des fondations bénéficiaires. Il s'agissait de vérifier que les crédits provenant d'un compte d'opérations en capital avaient bien été affectés à des opérations en capital des fondations, qu'il s'agisse d'une dotation au capital ou d'investissement, défini comme une formation brute de capital fixe par la comptabilité nationale. La majorité des fondations 18 ( * ) a répondu rapidement au courrier de votre rapporteur général, ainsi qu'un établissement public, l'ADEME.
A la lecture des réponses reçues, il apparaît que les sommes reçues ont un « statut » relativement indéterminé du point de vue des organismes bénéficiaires qui, pour une part, ont assimilé ce versement spécifique à une « subvention ». Les courriers reçus du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche évoquent le plus souvent des « versements sur fonds dédiés ».
En ce qui concerne l'emploi des sommes, les affectations dépendent de la nature de l'organisme bénéficiaire.
Les fondations de recherche nouvellement créées ont ainsi considéré les sommes reçues comme des dotations en capital . Certaines ont affecté une partie du versement à de l'investissement. La fondation « Rhône Alpes futur » est en attente de répartition de la somme versée par l'Etat, le statut de celle-ci n'apparaissant pas clairement dans les comptes-rendus du conseil d'administration.
Pour les fondations plus anciennes, comme la fondation HEC, on relève des versements à des « fonds de recherche » dédiés qui, pour l'essentiel, financeront des dépenses du fonctionnement (salaires de chercheurs ou appels à projet). Il en est de même pour l'institut Pasteur qui finance à partir de la dotation du compte d'affectation spéciale un programme de recherche spécifique, dont le plan de financement repose essentiellement sur du fonctionnement). A l'inverse, l'institut Curie a bien réservé les sommes reçues à des dépenses d'équipement et d'investissement.
L'ADEME subventionnera, à partir des 20 millions d'euros reçus, des programmes de recherche.
Si la grande majorité des organismes bénéficiaires a traité les sommes versées à partir du compte d'affectation spéciale en « opérations de capital », certains l'ont traité comme une subvention de fonctionnement, finançant certes des programmes de recherche utiles. Dans ces derniers cas, il s'agit alors d'une débudgétisation manifeste.
e) La nécessaire clarification du statut de la créance de l'Etat sur l'Unedic
Le statut de la créance de l'Etat sur l'Unedic , théoriquement de 1,2 milliard d'euros , est incertain.
(1) La genèse de cette créance
A la suite de la crise financière qu'a traversée l'Unedic en 1993, la convention avec l'Etat prévoyait notamment :
a) la souscription par l'Unedic d'un emprunt de 3,35 milliards d'euros remboursable en deux tranches, la première en 1999 (1,52 milliard d'euros) et la deuxième en 2002 (1,83 milliard d'euros) ; cet emprunt a été contracté en 1994 ;
b) un soutien de l'Etat consistant en :
- une subvention d'un montant de 0,76 milliard d'euros accordée en 2002 pour participer au remboursement de la seconde tranche,
- et une subvention annuelle d'un montant de 1,52 milliard d'euros à verser de 1993 à 1996 ; en réalité, 2,94 milliards d'euros auront été versés en tout, de 1993 à 1995, en conséquence de l'amélioration de la situation financière de l'Unedic.
La forte baisse du chômage observée en 2000 a conduit à la conclusion, le 1 er janvier 2001, d'une nouvelle convention entre l'Etat et l'Unedic, qui prévoyait notamment :
a) le renoncement à la subvention de 0,76 milliard d'euros ;
b) deux versements de l'Unedic à l'Etat :
- 1 milliard d'euros en 2001 ;
- 1,2 milliard d'euros en 2002.
Cet engagement a été repris par l'article 5 de la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel.
(2) Un versement non effectué à ce jour
L'article 40 de la loi de finances initiale pour 2003 (n° 2002-1575 du 30 décembre 2002) a modifié l'article 5 de la loi précitée du 17 juillet 2001, en vue de reporter à 2003 le versement de 1,2 milliard d'euros programmé pour 2002.
Comme le soulignait à cette époque votre rapporteur général, il était peu vraisemblable que l'Unedic parvienne à honorer cette créance en 2004. Il écrivait en effet : « Il est aujourd'hui fortement probable que [l'accord entre partenaires sociaux du 19 juin 2002] sera insuffisant pour rétablir les finances de l'Unedic, et qu'en conséquence la dette reportée ne pourra être davantage honorée en 2003, sauf à recourir massivement à l'emprunt ».
L'avenir lui a malheureusement donné raison : cette somme n'a toujours pas été versée.
La Cour des comptes estime donc, à juste titre, que ce versement de 1,2 milliard d'euros doit devenir exécutoire , ou qu'à défaut une loi de finances doit en aménager l'échéancier.
* 18 N'ont pas répondu à ce jour la fondation SUPELEC, la fondation pour une culture de sécurité industrielle, la fondation « bâtiment énergie », la fondation IFRAD, ainsi que les établissements publics précités, à l'exception de l'ADEME.