TRAVAUX DE COMMISSION
Réunie le mercredi 12 avril 2006 , sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Alain Gournac sur la proposition de loi n° 310 (2005-2006), adoptée par l'Assemblée nationale, sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise .
M. Alain Gournac, rapporteur, a rappelé que, depuis trente ans, les politiques publiques en faveur de l'emploi des jeunes ont essentiellement consisté à ajuster le coût du travail des jeunes à leur productivité. Ces politiques ont produit des résultats honorables mais le taux de chômage des jeunes demeurant très élevé, il était indispensable de tester de nouvelles formules. Le contrat première embauche (CPE) aurait pu apporter une solution à cette difficulté mais, rejeté par une large fraction de la jeunesse et du monde du travail, sa mise en oeuvre ne pouvait pas être envisagée dans le climat de sérénité indispensable.
La nouvelle rédaction proposée par l'Assemblée nationale pour l'article 8 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances tire de façon satisfaisante la leçon de cette situation. La proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise institue en effet un dispositif qui étend et approfondit deux instruments très utiles : d'une part, le contrat jeunes en entreprise (Seje), d'autre part le contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis).
M. Alain Gournac, rapporteur, a relevé les quatre principales novations apportées à ces dispositifs.
La première est l'octroi du bénéfice du Seje aux jeunes titulaires d'un Civis rencontrant des difficultés d'insertion sociale et professionnelle, indépendamment de leur niveau de formation. La proposition de loi s'inscrit ainsi dans la logique de la loi sur l'égalité des chances, qui avait d'ores et déjà étendu le dispositif Seje aux jeunes résidant dans les zones urbaines sensibles (Zus), indépendamment de leur niveau de formation.
La deuxième est la possibilité, pour les employeurs embauchant des jeunes en contrat de professionnalisation à durée indéterminée, de bénéficier du dispositif Seje en conservant le droit à l'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale auquel ils peuvent prétendre au titre du contrat de professionnalisation.
La troisième est la suppression des conditions de formation limitant actuellement le champ d'application du Civis aux jeunes de seize à vingt-cinq ans ayant un niveau de qualification inférieur ou équivalent au baccalauréat, ou de niveau bac + 2 non diplômés.
La quatrième est la possibilité de poursuivre l'accompagnement Civis pendant une année après l'accès à l'emploi.
M. Alain Gournac, rapporteur , a estimé que ces modifications favoriseront l'accès à l'emploi des jeunes entrant dans le champ d'application, ainsi redéfini, du Seje et du Civis. Il a souligné la qualité du travail accompli par les auteurs de la proposition de loi en fonction des conclusions du processus de consultation de dix-neuf organisations syndicales, patronales et étudiantes, mené sous les auspices des présidents des groupes parlementaires de l'union pour un mouvement populaire (UMP) au Sénat et à l'Assemblée nationale.
Il a rappelé par ailleurs que le Gouvernement devrait prochainement favoriser une large concertation avec les partenaires sociaux et les représentants des organisations étudiantes et de jeunesse sur l'insertion professionnelle des jeunes, et a relevé dans cette perspective le caractère crucial de la cohérence entre le système éducatif et l'emploi.
M. Alain Gournac, rapporteur, a enfin proposé à la commission d'adopter la proposition de loi dans le texte transmis par l'Assemblée nationale.
M. Alain Vasselle s'est félicité que la proposition de loi comporte des dispositions favorables à l'insertion des jeunes demandeurs d'emploi, la modification de l'article L. 322-4-17-3 du code du travail apparaissant spécialement opportune à cet égard.
Il a demandé pourquoi les zones de revitalisation rurale ne sont pas comprises dans le champ d'application du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (Seje), étendu aux Zus par la loi pour l'égalité des chances.
Il s'est aussi inquiété de la façon dont seront financées les nouvelles exonérations de cotisations sociales consenties par la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise.
M. André Lardeux a évoqué l'amertume qu'il ressent au vu de l'issue du débat sur le CPE. Cette disposition, sans être une réforme majeure, allait dans le bon sens, et aucune des conséquences dénoncées par la rue n'aurait résulté en réalité de son entrée en vigueur. Son seul risque aurait été d'engorger les conseils de prud'hommes. En fait, la société française a fait une nouvelle fois le choix du chômage et le scénario choisi pour la sortie de crise récompense ceux qui crient le plus fort et qui ont cherché à humilier le Parlement. Si la loi ne crée pas l'emploi, elle peut susciter les conditions favorables à son développement en modifiant un contexte juridique qui a provoqué, au fil des ans, l'émigration d'un million de jeunes en dehors de notre pays. La proposition de loi qui vient remplacer le CPE ne contient que des dispositions assez anecdotiques. Pour toutes ces raisons, M. André Lardeux a annoncé qu'il ne participerait au vote ni en commission, ni en séance publique.
M. Roland Muzeau s'est déclaré très satisfait du retrait du CPE. Notant que la majorité parlementaire a été désavouée par l'opinion publique, il a exprimé la crainte que cette absence d'écoute des attentes de nos concitoyens n'ait des conséquences de plus en plus graves. Le refus d'abroger expressément le CPE trahit une absence de courage politique et fait douter qu'un travail sérieux soit enfin entrepris pour apporter des réponses au défi de l'emploi des jeunes. Le comité d'orientation de l'emploi a lancé des chantiers sur la flexibilité, sur l'efficacité des aides publiques et sur certains autres thèmes cruciaux intéressant l'emploi des salariés. Il est regrettable que la création du CPE par voie d'amendement, sans information préalable des partenaires sociaux, ait entravé le déroulement de ce processus.
Remarquant que l'on ne peut changer le peuple quand on n'est pas d'accord avec lui, M. Roland Muzeau a rappelé qu'il avait annoncé, au moment du vote du texte au Sénat, que la mobilisation de la jeunesse contraindrait la majorité à reculer. Les résultats du référendum sur la Constitution européenne, traduisant le profond besoin de sécurité ressenti par le peuple français, permettaient de prévoir cette issue.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne déposera pas, lors de la discussion de la proposition de loi en séance publique, un grand nombre d'amendements mais il a l'intention d'aborder la question de l'apprentissage, celle du travail de nuit des apprentis, le contrat de responsabilité parentale et le contrat nouvelles embauches (CNE), dont tout laisse prévoir la modification prochaine, entre autres causes parce que les employeurs souhaitent aussi disposer d'une sécurité mieux assurée dans sa mise en oeuvre. Le groupe communiste républicain et citoyen, enfin, fera en sorte que l'abrogation du CPE ait lieu dans des conditions claires.
M. Jean-Pierre Godefroy a jugé que le manque total de concertation lors de son élaboration a vicié le CPE dès l'origine. Il est en effet impossible de réformer le code du travail sans qu'une concertation approfondie ait lieu au préalable. Dans la mesure où, en outre, les organisations patronales auditionnées par la commission s'étaient déclarées défavorables au CPE, il était évident que ce dispositif ne pourrait pas être mis en oeuvre.
Le texte de la proposition de loi ne contient guère de nouveautés hormis le fait que la durée du Seje passe de trois à deux ans, vraisemblablement pour susciter des économies. Il aurait été préférable d'abroger purement et simplement l'article 8 plutôt que de lui substituer ce faible dispositif de remplacement.
Par ailleurs, la proposition de loi a supprimé, avec l'article 2, le gage assurant le financement des dispositions étendant le champ d'application du Seje et du Civis. Les conditions dans lesquelles le dispositif de l'article premier sera financé n'ont pas été précisées au cours du débat à l'Assemblée nationale. Un report de crédit a été évoqué, sans que les actions dont les crédits vont être ponctionnés soient identifiées.
Le dialogue a été rouvert avec les syndicats. Dans ce cadre, il faudra inévitablement discuter à nouveau du contrat nouvelles embauches et de l'apprentissage junior. La mort du CNE est ainsi déjà programmée ; en ce qui concerne l'apprentissage, il est regrettable qu'un problème aussi crucial ait été occulté par le débat sur le CPE.
Le débat sur la loi pour l'égalité des chances a également été faussé par les mesures concernant le travail de nuit. Celles-ci vont rendre difficile la réalisation de l'objectif des 500.000 contrats d'apprentissage fixé par le Gouvernement. En effet, les offres, vraisemblablement proposées majoritairement dans les professions imposant le travail de nuit des mineurs, ne seront guère attrayantes.
M. Alain Milon s'est joint aux propos de M. André Lardeux et a annoncé qu'il réserve encore la position qu'il compte prendre sur la proposition de loi. Il a estimé que le rapporteur, qui a fait un excellent travail sur la loi pour l'égalité des chances, aura des difficultés à conserver la même force de conviction pour l'enterrement du CPE.
Si, comme l'indiquait M. Roland Muzeau, on ne change pas le peuple, le peuple a la possibilité de changer ses élus et les échéances politiques à venir donneront l'occasion à la démocratie de s'exercer. Il a par ailleurs observé que le dispositif de la proposition de loi a été élaboré dans une perspective consensuelle de pré-campagne présidentielle et que le financement des nouvelles dépenses qu'elle crée risque de ne pas se faire sans problème.
M. Michel Esneu a souligné la difficulté croissante de s'orienter dans le maquis des contrats aidés et des nouvelles aides. Il a estimé que les allégements de charges sociales ne sont pas nécessairement favorables à l'emploi. Il a aussi noté que les fonctionnaires territoriaux sont en général titularisés après un stage d'une durée d'un an, éventuellement renouvelé pour une année supplémentaire, et que le maire n'est pas obligé de motiver son refus éventuel de titularisation : n'est-il pas surprenant, dans le cas particulier du CPE, que ce qui est bon pour la fonction publique ne le soit pas pour le secteur privé ?
Mme Isabelle Debré a rappelé que le CNE a permis la création de 400.000 emplois et a regretté que de jeunes enfants aient participé aux manifestations de rue, ce qui ne peut être considéré comme une forme d'expression populaire. Elle a relevé qu'une jeune fille, leader du mouvement étudiant, a manifesté sur les antennes de télévision son espoir de trouver de nouvelles lois à combattre en évoquant le plaisir que cette activité lui procurait. Elle a enfin trouvé pathétique que, selon un sondage récent, l'ambition de 65 % des jeunes soit d'entrer dans la fonction publique.
M. Claude Domeizel a estimé que les jeunes étudiants qu'il a, de son côté, croisés dans les manifestations ont délivré une magnifique leçon de démocratie. Il a fait valoir que l'apprentissage junior est tout aussi inadmissible que le CPE. Il a estimé que ce qui attire les jeunes vers le statut de fonctionnaire n'est pas le refus de travailler mais la recherche de la sécurité de l'emploi.
En ce qui concerne enfin la comparaison entre la période de consolidation du CPE et le stage avant titularisation d'un fonctionnaire territorial, il a indiqué que le maire n'a pas la possibilité de mettre fin à un stage du jour au lendemain mais doit passer devant la commission administrative paritaire, avant d'être éventuellement cité devant le tribunal administratif. Or, le CPE aurait permis de licencier sans que l'intéressé dispose du moyen de se défendre.
M. Paul Blanc a indiqué que, pour les entraîneurs sportifs, une équipe perd quand elle a perdu ses fondamentaux : une bonne défense et la capacité de ne pas faire de fautes. La France a perdu, à son sens, deux fondamentaux : le sens de la responsabilité individuelle et celui de la valeur du travail. Tant qu'ils n'auront pas été reconquis, elle ira au devant de défaites que regretteront ceux qui les auront provoquées et ceux qui les auront acceptées.
M. Guy Fischer a rappelé que le CPE avait été introduit dans la loi pour l'égalité des chances par amendement, le 19 janvier dernier, sans aucune concertation avec les partenaires sociaux, les ministres concernés étant eux-mêmes pris de court par cette initiative du Premier ministre. Face à ces méthodes, le mouvement des semaines passées a réuni toutes les générations, l'ensemble des Français se sentant concerné.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale ne crée rien de nouveau pour les jeunes les plus touchés par la précarité. Le Seje n'est que rarement utilisé - 75.000 contrats par an - et le Civis est l'un des contrats les moins souscrits. Il est en effet extrêmement difficile de le faire fonctionner, la mise en place d'un accompagnement étant une véritable gageure.
En ce qui concerne la loi pour l'égalité des chances, les dispositions concernant le travail de nuit et le travail dominical des apprentis restent aberrantes, à son sens, et ne résolvent en rien les véritables problèmes, en particulier le fait qu'être diplômé ne soit pas aujourd'hui suffisant pour trouver un emploi. La mobilisation contre le CPE traduit l'angoisse devant l'avenir que provoquent de telles réalités.
Quant au CNE, son avenir paraît fort compromis, dans la mesure où tout le monde se trouve actuellement d'accord pour le faire disparaître.
M. Nicolas About, président, a estimé que le dispositif instituant le CPE n'était pas forcément mauvais et qu'il aurait pu permettre des embauches. Mais le manque de concertation lui a été fatal : si les partenaires sociaux avaient été consultés, si leur accord avait été recherché, le CPE n'aurait sans doute pas suscité de tels mouvements de rue. En outre, si le droit d'amendement des parlementaires avait pu s'exprimer plus librement, des améliorations sensibles auraient pu être apportées à ce texte et, peut-être, modifier le cours des choses.
C'est dans ce souci qu'il avait lui-même déposé des amendements sur le projet de loi pour l'égalité des chances, même si certains ont pu s'émouvoir de son initiative, car se priver de son droit d'amender les projets de loi revient, pour le parlementaire, à nier sa raison d'être.
La loi pour l'égalité des chances ayant été défaite par la rue, il convient de répondre à cette situation, à quoi s'emploie la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale sans autre modification que la suppression de l'article 2, où figurait le gage du financement de la dépense nouvelle, ainsi qu'une formule inadéquate normalement introduite dans les textes de loi au moment de leur promulgation.
En réponse aux intervenants, M. Alain Gournac, rapporteur , a indiqué que les jeunes issus des zones de revitalisation rurale ne sont pas éligibles au Seje parce que l'intégration des jeunes issus des zones urbaines sensibles à ce dispositif a été opérée par la loi pour l'égalité des chances, élaborée à l'issue de la crise des banlieues à l'intention des publics touchés par la précarité dans ces zones. Il a rappelé que les modalités de financement de la proposition de loi seront précisées par le Gouvernement. Il a fait valoir que, lorsque des mesures de bon sens sont repoussées par ceux à qui elles sont destinées, il convient de tenir compte de cette réalité. Mettre fin à une situation détestable n'est pas forcément facile mais certainement nécessaire. La poursuite des désordres présentait en outre un certain nombre de risques graves qu'il était indispensable de prévenir. Il a ensuite souligné l'intérêt des entreprises pour le CNE, puisque 400.000 contrats ont été d'ores et déjà signés, et admis que l'absence de concertation sur le CPE a constitué effectivement la faiblesse de la loi sur l'égalité des chances.
Il a confirmé que les maires ont la possibilité de ne pas titulariser les fonctionnaires stagiaires au bout de deux années d'essai. L'année de stage renouvelable un an est, de fait, assez comparable à la période de consolidation de deux ans instituée par le CPE.
Puis M. Alain Gournac, rapporteur , a indiqué que des enfants ont en effet participé aux manifestations contre le CPE : devant sa propre permanence parlementaire, des enfants de l'école maternelle de sa commune ont manifesté à ce sujet sous la conduite de la directrice et de deux institutrices.
Il a enfin déclaré s'être senti blessé par le fait que le président de la commission ait présenté des amendements à la loi pour l'égalité des chances sans l'en informer à l'avance.
La commission a ensuite adopté la proposition de loi dans le texte transmis par l'Assemblée nationale.