INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Contrairement à d'autres pans de la législation, qui font l'objet de réaménagements législatifs incessants, le droit d'auteur a jusqu'à présent joui, en France, d'une certaine stabilité.
Les grandes notions autour desquelles il s'articule ont été posées par les deux lois de référence de la période révolutionnaire -les lois de janvier 1791 et de juillet 1793. Ses principes ont été progressivement dégagés par une série de lois qui se sont échelonnées tout au long du XIXe siècle, contribuant à dessiner le profil original du droit d'auteur « à la française », face à l'autre modèle, celui du copyright anglophone, initié notamment par la loi fédérale américaine de 1790.
Cette construction législative a trouvé en France son aboutissement avec l'adoption de la grande loi du 11 mars 1957, dont les dispositions sont pour l'essentiel encore en vigueur aujourd'hui.
Elles ont été complétées par celles de la loi du 3 juillet 1985, dite « loi Lang », qui ont créé des « droits voisins » au profit des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes, et de vidéogrammes, ainsi que des entreprises de communication audiovisuelle.
Ces dispositions ont été depuis lors codifiées par une loi de 1992 dans le code de la propriété intellectuelle, dont elles constituent la première partie, la seconde étant consacrée à la propriété industrielle.
Tel est donc le corpus juridique de référence sur lequel le Parlement est invité à intervenir, à l'occasion de la discussion du présent projet de loi : il est complexe, subtil, vénérable, et, si l'on met à part quelques retouches ponctuelles, le législateur n'y revient que tous les 20 ou 30 ans, ce qui doit nous inciter à ne le modifier qu'avec circonspection.
Au demeurant, le Parlement ne jouit pas, en matière de propriété littéraire et artistique, d'une entière marge de manoeuvre. Il doit tout d'abord prendre en compte les obligations résultant d'un grand nombre de textes internationaux auxquels la France est partie : la fameuse Convention de Berne de 1886, la Convention de Rome de 1961 sur les droits voisins, et plus récemment l'accord ADPIC de 1994 et les deux conventions de l'OMPI - l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle - de 1996 qui ont pour la première fois invité les Etats à consacrer juridiquement les mesures techniques de protection - un des points les plus controversés du présent projet de loi.
Le législateur doit également respecter les obligations, plus précises encore, que lui assignent un certain nombre de directives européennes, et notamment la directive de 1991 sur les programmes d'ordinateurs, les trois directives de 1993 sur les droits d'auteur et les droits voisins, la directive de 1998 sur les dessins et modèles et, enfin, les deux directives dont le projet de loi doit assurer la transposition :
- la directive n° 2001/29 du 22 mai 2001 relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
- la directive n° 2001/84 du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.
La présence de cet encadrement juridique international est particulièrement sensible pour les dispositions du titre I er du projet de loi qui sont exclusivement consacrées -du moins dans le projet de loi initial- à la transposition de la directive du 22 mai 2001.
Cette directive, qui ne prétend harmoniser que « certains aspects » du droit d'auteur et des droits voisins, laisse cependant au législateur des marges de manoeuvre non négligeables.
Ces marges de manoeuvre paraissent aujourd'hui d'autant plus utiles que, depuis l'adoption de la directive en 2001, le contexte technique a évolué, permettant l'essor de nouvelles pratiques maintenant bien ancrées dans les moeurs. Le projet de loi de transposition, qui intervient de façon tardive, doit prendre en compte le développement de ces nouvelles formes d'échanges, que les nouvelles générations ont tendance à considérer comme des droits acquis.
Votre commission s'est attachée à exploiter les marges de manoeuvre dont elle disposait en se fixant quelques principes simples.
Le respect du droit d'auteur et des droits voisins a constitué le premier de ces fils conducteurs.
Celui-ci l'a conduite à se montrer circonspecte à l'égard des demandes de nouvelles exceptions aux droits exclusifs, et à proposer la suppression d'une partie de celles qu'avait adoptées l'Assemblée nationale. La consécration juridique des mesures techniques de protection et des informations sur le régime des droits, au demeurant imposée par la directive, contribuera également à renforcer la protection effective de ces droits exclusifs, grâce aux sanctions réprimant les atteintes qui leur seraient portées. Les sanctions pénales susceptibles d'êtres imposées aux éditeurs de logiciels contribuant délibérément aux échanges illégaux d'oeuvres protégées constituent également un signal clair de la volonté de défendre les droits exclusifs.
Le souci de faciliter l'accès du public aux oeuvres, et partant, leur diffusion, est la seconde considération qui a guidé votre commission.
C'est au nom de la diffusion des oeuvres qu'elle a accepté d'apporter quatre compléments à la liste des exceptions : tout d'abord, l'exception en faveur de personnes handicapées, dont elle tient à souligner que personne, au cours de ses très nombreuses auditions, n'a contesté la légitimité et la pertinence ; l'exception en faveur des bibliothèques, des musées et des archives, qu'elle a strictement délimitée ; l'exception en faveur de l'information destinée à remédier aux difficultés concrètes auxquelles la presse est régulièrement confrontée du fait de l'absence d'exception de citation pour les oeuvres autres que littéraires ; l'exception en faveur de l'enseignement et de la recherche, que reconnaissent déjà bon nombre de nos partenaires européens, et qui, mieux que des accords ponctuels, permettra de faire sortir un certain nombre de pratiques actuelles de la « zone grise » dans laquelle on feignait d'ignorer leur existence.
Enfin, le troisième impératif que s'est fixé votre commission était d'éviter que la consécration juridique des mesures de protection, qui est en soi positive, ne s'accompagne d'effets indésirables fragmentant l'accès aux oeuvres, ou privant le public de tout bénéfice effectif des exceptions légales.
Votre commission n'a cependant pas voulu, dans l'un comme dans l'autre de ces deux domaines, poser dans la loi des principes absolus et intangibles que l'évolution technologique risquerait de périmer rapidement. A travers la création d'une Autorité de régulation des mesures techniques de protection, qu'elle vous propose de substituer au collège des médiateurs avec la double mission de garant de l'interopérabilité et des exceptions, elle a souhaité privilégier la voie d'un dispositif souple, capable de répondre à la diversité et à la complexité des situations, et à l'évolution technologique et économique rapide d'un secteur en pleine métamorphose : celui de la diffusion des oeuvres culturelles à l'ère numérique.