EXAMEN DES ARTICLES
TITRE PREMIER - MESURES
EN FAVEUR DE L'ÉDUCATION, DE L'EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE
Section 1 - Formation
d'apprenti junior et contrat de professionnalisation
Article premier (art. L. 337-3 du code de
l'éducation)
Création de la formation d'apprenti junior
Objet : Cet article tend à créer une nouvelle formation d'apprenti à partir de l'âge de quatorze ans.
I - Le dispositif proposé
L'article premier procède à une nouvelle rédaction de l'article L. 337-3 du code de l'éducation afin de substituer le régime de la formation d'apprenti junior au dispositif actuel, qui prévoit la mention, dans les plans régionaux de développement des formations professionnelles des jeunes (PRDFP), de l'ouverture de classes d'initiation préprofessionnelle en alternance (Clipa) dans les lycées professionnels et les centres de formation d'apprentis ou dans les collèges disposant de moyens nécessaires.
Les actuelles Clipa sont ainsi supprimées et remplacées par le dispositif en deux étapes appelé « formation d'apprenti junior ». On notera que l'exposé des motifs du projet de loi annonce que les classes préparatoires à l'apprentissage (CPA), instituées par une circulaire du ministre de l'éducation nationale en date du 28 juillet 1972, seront aussi supprimées.
Les trois premiers alinéas du nouvel article L. 337-3 fixent le cadre général de cette modalité de formation en alternance
Celle-ci est destinée aux élèves ayant atteint l'âge de quatorze ans, volontaires et disposant de l'accord de leurs représentants légaux. La demande d'admission doit en effet provenir à la fois du jeune et de ses représentants légaux, ses parents dans la plupart des cas.
La formation d'apprenti junior a pour objectif l'obtention, par la voie de l'apprentissage, d'une qualification professionnelle dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail relatives au contrat d'apprentissage.
La formation d'apprenti junior comporte deux étapes : la première année consiste en un parcours d'initiation aux métiers, que suit une formation proprement dite en apprentissage. Le texte du projet de loi précise que le parcours d'initiation est effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou dans un centre de formation d'apprentis.
L'admission à la formation d'apprenti junior donne lieu à l'élaboration d'un projet pédagogique personnalisé. Il est vraisemblable que le succès de la formule et son efficacité dépendront des conditions dans lesquelles auront lieu l'élaboration de ce projet et le suivi du jeune auquel il donnera lieu. L'accompagnement personnalisé apparaît en effet de plus en plus, au vu des expériences menées dans plusieurs pays européens, comme une condition majeure de la réussite des politiques d'entrée ou de retour dans l'emploi. Il est heureux que le lancement de la formation d'apprenti junior soit d'emblée placé sous ce signe.
Enfin, il est précisé que les jeunes engagés dans ce processus peuvent, jusqu'à l'âge de la fin de la scolarité obligatoire, le quitter pour reprendre un parcours scolaire classique, avec l'accord de leurs représentants légaux.
Les quatrième et cinquième alinéas du nouvel article précisent le contenu du parcours d'initiation aux métiers
Ce parcours comporte des enseignements généraux, des enseignements technologiques et pratiques, ainsi que des stages en milieu professionnel, dont l'objectif commun est l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences mentionné à l'article L. 122-1-1 du code de l'éducation : « la scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l'acquisition d'un socle commun constitué d'un ensemble de connaissances et de compétences qu'il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société » et que « ce socle comprend : la maîtrise de la langue française ; la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ; une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ; la pratique d'au moins une langue vivante étrangère ; la maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication ». La formation d'apprenti junior est de la sorte clairement inscrite dans l'objectif éducatif que la nation assigne à l'école pour l'ensemble de la jeunesse. On ne saurait le juger sans se référer à cette exigence essentielle, à laquelle le sixième alinéa de l'article subordonne d'ailleurs la poursuite de la formation d'apprenti junior. Celle-ci institue, de ce point de vue, une sorte de « procédure d'appel » pour l'accès aux savoirs fondamentaux de certains jeunes auxquels l'enseignement traditionnel n'apporte pas une aide efficace. Inversement, l'accent mis sur l'acquisition de ces savoirs signifie que la formation d'apprenti junior ne saurait être considérée comme une voie de garage ou de relégation à l'usage de jeunes véritablement en marge. Ceux-là ne devraient pas aborder la seconde phase du processus, s'ils s'engageaient dans la première. Alors que de nombreux représentants du monde du travail ou de la production regrettent l'association implicite de ce que l'on appelle à tort « l'apprentissage à quatorze ans » aux émeutes provoquées à la fin 2005 par une jeunesse en déshérence, il est ainsi avéré que la formation d'apprenti junior sera une voie d'excellence à vocation diplômante et professionnalisante.
Le texte du projet de loi précise par ailleurs le régime des stages en milieu professionnel. Ils se dérouleront dans les conditions de l'article L. 331-5 du code de l'éducation, qui reprend les dispositions de l'article L. 211-1 du code du travail, consacré aux conditions dans lesquelles peuvent être employés dans certains établissements et professions les mineurs de moins de seize ans, spécialement ceux qui suivent un enseignement alterné ou un enseignement professionnel. Les stages dépassant une durée fixée par décret donneront lieu au versement par l'entreprise d'accueil d'une « gratification » au montant fixé par décret. Il est précisé que cette gratification n'a pas le caractère d'un salaire au sens de l'article L. 140-2 du code du travail. En effet, le salaire au sens de l'article L. 140-2 est la rémunération versée par un employeur à un salarié en contrepartie du travail fourni par celui-ci. Or le jeune en parcours d'initiation aux métiers n'est pas engagé dans une relation de travail salarié : il reste sous statut scolaire. Il convient de noter par ailleurs la nécessité de fixer la durée à partir de laquelle la gratification sera exigible, et le niveau de celle-ci, en fonction d'une part de la nécessité d'éviter que certains jeunes ne se dirigent vers la formation d'apprenti junior avec le seul souci de recueillir un « argent de poche » sans un véritable projet de formation professionnalisante, en fonction d'autre part de la nécessité de ne pas dissuader les petites entreprises d'accueillir des jeunes stagiaires. Au demeurant, la première phase de la formation d'apprenti junior est manifestement beaucoup plus une prolongation de l'enseignement scolaire, selon des modalités adaptées aux besoins d'une partie de la jeunesse, que le prologue de la professionnalisation véritable, qui a lieu au cours de la phase suivante.
Le sixième alinéa du nouvel article fixe les principaux éléments du statut du jeune pendant la seconde phase de la formation d'apprenti junior
A partir de quinze ans, avec l'accord de son représentant légal, l'apprenti junior peut signer un contrat d'apprentissage, véritable contrat de travail, à condition, comme il a été signalé plus haut, d'être « jugé apte à poursuivre l'acquisition, par la voie de l'apprentissage, du socle commun de connaissances et de compétences mentionné à l'article L. 122-1-1 » . Cette décision sera prise par l'équipe pédagogique.
L'apprenti junior se trouve désormais soumis au droit commun de l'apprentissage, tout en continuant à bénéficier de la possibilité de retourner au collège, conformément à la disposition inscrite dans le troisième alinéa de l'article.
Il convient de relever que c'est avec cette disposition du texte qu'est véritablement opéré l'abaissement de l'âge d'entrée en apprentissage, la première phase de la formation d'apprenti junior étant tout à fait spécifique. Encore faut-il nuancer la portée de cette diminution. Actuellement, l'article L. 117-3 du code du travail prévoit que seuls les jeunes âgés de seize ans au moins au début de l'apprentissage peuvent être engagés en qualité d'apprentis. Cette limite peut cependant être assouplie puisque l'entrée en apprentissage peut actuellement avoir lieu à quinze ans dans trois cas :
- le jeune justifie avoir accompli une scolarité jusqu'en classe de troisième au collège ;
- il a effectué deux années en centre d'enseignement professionnel ou en classe préparatoire à l'apprentissage ;
- il a atteint seize ans au cours du dernier trimestre de l'année civile (il s'agit de ne pas retarder d'un an l'entrée en CFA, qui a lieu en septembre).
On notera, en ce qui concerne les actuelles classes préparatoires à l'apprentissage, qu'elles permettent à des jeunes de recevoir à partir de quatorze ans un enseignement alterné comprenant des enseignements au sein de l'établissement et des stages d'initiation ou d'application en milieu professionnel, pendant leurs deux dernières années de scolarité. Les jeunes restent sous statut scolaire et dépendent de l'éducation nationale. Ces classes sont ouvertes dans les lycées professionnels et les CFA.
Titulaire d'un contrat d'apprentissage, le jeune apprenti junior bénéficiera des dispositions du code du travail relatives à la rémunération et à la protection sociale de l'apprenti. On signalera en particulier qu'il aura droit à une rémunération minimale identique à celle prévue pour les apprentis de seize à dix-sept ans lors de la première année de l'exécution de leur contrat, c'est-à-dire 25 % du Smic. La progression de la rémunération minimale sera ensuite calculée, en fonction de l'âge de l'apprenti et de l'ancienneté du contrat : 37 % du Smic lors de la deuxième année puis 53 % au cours de la troisième année, selon le barème existant pour les apprentis de moins de dix-huit ans.
Le dernier alinéa du nouvel article prévoit les conditions d'ouverture des parcours d'initiation aux métiers
Cet alinéa précise en effet que « l'ouverture des parcours d'initiation aux métiers dans les lycées professionnels et les centres de formation d'apprentis est inscrite au plan régional de développement de formation professionnelle mentionné à l'article L. 214-13 ».
La rédaction actuelle de l'article L. 337-3 prévoit l'inscription des Clipa dans les PRDFP, en fonction du premier alinéa de l'article L. 214-13 du code de l'éducation, selon lequel « La région adopte le plan régional de développement des formations professionnelles et s'assure de sa mise en oeuvre. Ce plan a pour objet de définir une programmation à moyen terme des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes et de favoriser un développement cohérent de l'ensemble des filières de formation . » Les PRDFP permettent notamment d'assurer la cohérence entre les formations offertes par les lycées et celles offertes par les centres de formation d'apprentis. Ils prennent aussi en compte les contrats d'objectifs et de moyens conclus en application de l'article L. 118-1 du code du travail entre l'Etat, la région ou la collectivité territoriale de Corse, les chambres consulaires, les organisations représentatives d'employeurs et de salariés, en vue du développement de l'apprentissage.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté quatre modifications à cet article :
- elle a précisé que l'élaboration d'un projet pédagogique personnalisé intervient après l'admission dans l'apprentissage junior. Il ne pourra donc pas conditionner cette admission. Elle a aussi introduit dans l'article la mention de l'équipe pédagogique, évoquée seulement dans l'exposé des motifs, et a rendu obligatoire la désignation en son sein d'un tuteur chargé d'accompagner l'apprenti junior tout au long de son apprentissage. Au cours du débat, le ministre a indiqué que le tuteur, issu de l'équipe pédagogique, sera chargé de coordonner la formation ; il assurera le suivi de l'apprenti junior par le biais d'entretiens réguliers et sera chargé de la gestion des relations entre le collège de référence et les entreprises d'accueil ; il lui appartiendra aussi d'identifier les éventuels problèmes, pédagogiques ou sociaux, de l'apprenti junior, pour les résoudre lui-même ou avec l'ensemble de l'équipe pédagogique ;
- elle a indiqué que la reprise de la scolarité pourra avoir lieu à l'issue de chaque période de formation prévue dans le projet pédagogique. L'objectif avancé dans l'exposé des motifs de l'amendement est de ne permettre la sortie du dispositif qu'à l'issue de chaque période de formation composant le projet pédagogique de la première année. Il s'agit d'éviter « les sorties permanentes tout au long de la progression scolaire, afin de ne pas désorganiser le fonctionnement de ces classes d'apprentis juniors » ;
- elle a prévu que le retour éventuel dans l'enseignement pourrait avoir lieu dans le collège d'origine ;
- elle a enfin précisé que la gratification versée par l'entreprise au jeune stagiaire serait nécessairement en argent et non sous la forme d'avantages en nature.
III - La position de votre commission
Votre commission tient à préciser ce que n'est pas la formation d'apprenti junior, avant d'exposer ce qu'elle est et ce qu'elle apporte . Un effort de clarification est en effet indispensable, alors que le projet de loi, élaboré dans le sillage des émeutes du dernier trimestre de l'année 2005, est susceptible d'instiller dans l'opinion publique l'idée que ce dispositif a été conçu à l'intention d'une frange de la jeunesse marquée par la marginalité, réduisant à néant du même coup les efforts entrepris de longue date pour imposer la reconnaissance de l'apprentissage comme filière d'excellence choisie, et non subie, et pour mettre en valeur ses incontestables résultats en termes de formation, d'embauche et de carrière.
La formation d'apprenti junior n'est pas l'abaissement de l'âge de l'apprentissage à quatorze ans
Les jeunes s'engageant dans ce processus resteront dans le champ et sous la responsabilité de l'éducation nationale, il convient de le répéter. Et ce rattachement ne sera pas de façade puisque le jeune de quatorze ans en parcours d'initiation aux métiers sera suivi par l'équipe pédagogique de son établissement, doté d'un tuteur, formé au socle commun de connaissances. Le jeune engagé dans le parcours d'initiation aux métiers sera et restera un adolescent en formation et non un travailleur en herbe. Il est paradoxal que ceux qui assimilent le parcours d'initiation aux métiers à une sorte d'entrée précoce sur le marché du travail, au motif que les jeunes concernés suivront des enseignements pratiques et qu'ils effectueront des stages en milieu professionnel, soient souvent ceux qui mettent en cause le caractère excessivement abstrait et académique de l'enseignement français et regrettent que la diversité des talents et des intelligences soit trop souvent étouffée en France sous le poids des conformismes intellectuels.
Toutes les garanties sont prises pour que le parcours d'initiation aux métiers soit une occasion d'épanouissement de capacités inexploitées, les modifications apportées au texte par l'Assemblée nationale sont parfaitement opportunes de ce point de vue. Le reste dépendra de la qualité des équipes et de celle des candidats, des moyens que la puissance publique fournira, de l'accueil que les entreprises réserveront aux candidats apprentis.
A cet égard, votre commission, après avoir pris connaissance d'un rapport faisant état des réticences de certaines entreprises à l'égard des apprentis issus de l'immigration, du caractère non isolé de ces comportements et des pratiques de sélection que ceux-ci suscitent par voie de conséquence dans les CFA, tient à rappeler que la loi interdit et punit les discriminations ethniques à l'embauche, et soutient les initiatives qui seront menées afin de mettre fin à ces comportements.
La formation d'apprenti junior est une modalité prometteuse de relance de l'apprentissage dans la continuité des mesures mises en oeuvre depuis plusieurs années
Il convient de rappeler que les pouvoirs publics n'ont pas brutalement redécouvert les avantages de l'apprentissage à la fin de l'année 2005.
Sans vouloir remonter plus loin dans le temps, le plan de modernisation de l'apprentissage de février 2004 s'était attaché à quatre objectifs :
- la revalorisation de l'image de l'apprentissage ;
- la valorisation de l'apprenti ;
- l'accueil des apprentis par l'entreprise ;
- l'observation du dispositif.
En 2005, le plan de cohésion sociale a fixé l'objectif du passage du nombre d'apprentis à 500.000 d'ici 2009, s'attachant en conséquence à améliorer l'attractivité de la formule à travers une large gamme de mesures, dont en particulier :
- la création de la carte nationale d'apprenti assortie d'avantages comparables à ceux de la carte d'étudiant ;
- l'organisation d'une filière intégrée de l'apprentissage, avec le maintien de la rémunération dans le cadre de l'ensemble du cursus de formation ;
- un avantage fiscal pour le calcul de l'impôt sur le revenu ;
- l'évaluation des compétences ;
- l'introduction d'une souplesse dans la durée de formation ;
- la création d'un crédit d'impôt de 1.600 ou 2.200 euros par apprenti ;
- le lancement du fonds de développement et de modernisation de l'apprentissage issu, en application de la loi du 18 janvier 2005, de l'ancien fonds de péréquation de la taxe d'apprentissage.
Les premiers résultats, rappelés dans l'exposé général du présent rapport, sont encourageants.
Par ailleurs il avait été prévu d'associer les branches professionnelles à une politique concertée de l'apprentissage dans le cadre de contrats d'objectifs et de moyens entre l'Etat, les régions et les organismes consulaires. La quasi-totalité des contrats ont été signés. Ils prévoient, outre l'amélioration du statut de l'apprenti, une ouverture à la formation linguistique et culturelle, une ouverture européenne et des dispositions relatives à l'accès au logement. Ce dernier volet est essentiel pour résoudre des situations très difficiles dans certaines zones. Les contrats d'objectifs et de moyens prévoient par ailleurs l'augmentation du nombre de places en centres de formation des apprentis et dans les lycées professionnels, entre 20 % et 40 %, en fonction des besoins des régions. Sur ces bases, on peut s'attendre à ce que les prévisions d'entrée en apprentissage pour 2006, en augmentation de 6 %, soient réalisées.
Le budget de 2006 a prévu par ailleurs la conclusion de 160.000 contrats de professionnalisation jeunes, contre 120.000 l'an passé.
Les crédits associés à ces actions d'insertion professionnelle des jeunes s'élèveront en 2006 à 1,3 milliard d'euros, dont 846 millions pour l'apprentissage.
Tel était au début de cette année le tableau des mesures engagées par l'Etat et les régions en faveur de l'apprentissage. Dans une perspective identique, la formation d'apprenti junior complétera cet effort.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.