II. LA PRÉSENCE OBLIGATOIRE DU PARQUET A L'AUDIENCE D'HOMOLOGATION : UNE HYPOTHÈQUE SÉRIEUSE POUR LE DEVENIR DE CETTE PROCÉDURE
A. L'ESPRIT DE LA RÉFORME : UNE AUDIENCE D'HOMOLOGATION TENUE EN L'ABSENCE DU PROCUREUR
La mise en oeuvre de la CRPC a soulevé une question qui n'avait pas été précisée par la loi : le ministre public doit-il être représenté à l'audience d'homologation ?
Selon votre commission, l'audience d'homologation doit être une alternative à l'audience correctionnelle classique et non en constituer le doublon. Il s'agit dès lors d'une audience sui generis revêtue du double caractère de la publicité et de la rapidité.
Cette analyse résulte tout à la fois des travaux préparatoires de la loi, de la logique même du dispositif de la CRPC et, enfin, des inconvénients qui résulteraient d'une présence obligée du parquet.
Au reste, la circulaire d'application du ministère de la justice du 2 septembre 2004 avait explicitement noté que cette présence demeurait facultative.
L'éclairage des travaux préparatoires
Si le caractère public de l'audience d'homologation a fait l'objet d'un débat entre l'Assemblée nationale et le Sénat au cours des deux lectures successives de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la représentation du ministère public à cette audience n'a pas été évoquée et aucun lien n'a été établi entre publicité de l'audience et présence du parquet.
L'Assemblée nationale avait estimé préférable de prévoir que le président du tribunal devrait statuer en chambre du Conseil (l'ordonnance étant en tout état de cause rendue publique en cas d'homologation). Le Sénat avait quant à lui défendu le principe de la publicité. Comme votre rapporteur l'avait alors souligné, le CRPC « n'a pas vocation à être une procédure secrète. S'il est important que les propositions faites par le procureur à la personne puissent demeurer confidentielles tant qu'elles n'ont pas été acceptées, il est normal que la procédure d'homologation soit publique » 6 ( * ) . Le Sénat avait donc prévu de revenir au projet de loi initial : le président entendait la personne et son avocat en audience publique mais il pouvait décider, d'office ou à la demande de la personne ou de son avocat, de statuer en chambre du conseil. Néanmoins, sur la base de l'accord général élaboré en commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion, il avait été décidé que l'homologation de la procédure se déroulerait en chambre du conseil.
Le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, annulé cette disposition. En effet, la haute juridiction a déduit de la combinaison des articles 6, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 le principe de publicité du jugement des affaires pénales pouvant conduire à une privation de liberté -sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos. Au regard de ces dispositions, le fait qu'une peine d'emprisonnement peut être proposée dans le cadre de la CRPC, impose que l'homologation de la sanction proposée et acceptée par la personne soit publique.
En revanche, le Conseil constitutionnel ne mentionne à aucun moment la présence du parquet alors même que celle-ci aurait pu être avancée soit comme l'un des motifs de la nécessaire publicité de l'audience, soit comme l'une de ses conséquences.
Selon la note de jurisprudence jointe à la décision du Conseil constitutionnel 7 ( * ) , l'exigence de publicité serait liée en effet, d'une part, à la présence de la victime (dont la demande de réparation, notamment, pourrait donner lieu à débat) et, d'autre part, au principe d'exemplarité des peines compte tenu de la gravité des sanctions susceptibles d'être homologuées.
Par ailleurs, la préférence manifestée par le Sénat en faveur de la publicité de l'audience d'homologation visait à éviter que la CRPC ne donne prise au reproche d'une justice secrète ou confidentielle. En revanche, la Haute assemblée n'a jamais estimé que la publicité impliquait la présence du parquet.
La logique de la CRPC
L' économie du mécanisme institué par le législateur est commandé par le souci d'éviter une audience correctionnelle classique. La procédure ne peut s'appliquer qu'aux personnes qui ont reconnu les faits. Elle s'articule autour de deux étapes successives : le parquet propose la peine après avoir entendu l'intéressé, le président du tribunal contrôle la conformité de la peine au regard des critères fixés par la loi. Ces deux séquences sont complémentaires et non redondantes . Il ne doit y avoir aucune ambiguïté à cet égard. Au reste, le Sénat avait rejeté lors de l'examen en deuxième lecture de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité un amendement présenté par notre collègue M.Robert Badinter tendant à permettre au juge d'inviter le procureur à formuler une proposition nouvelle 8 ( * ) .
L'audience d'homologation n'a pas pour objet d'ouvrir un débat avec la personne intéressée. Aux yeux de votre commission, son intérêt est double : permettre au juge de contrôler l'« orthodoxie » juridique et l'adéquation de la peine et assurer à la victime la possibilité de faire valoir ses droits.
Les inconvénients pratiques d'une présence obligatoire du parquet
Si le parquet assume pleinement la charge accrue liée à la mise en place de la CRPC compte tenu du bénéfice global attendu en matière d'audiencement, l'équilibre se trouverait rompu par l'institution d'une présence obligée à l'audience. En effet, en premier lieu, la participation systématique du procureur de la République allongerait le temps consacré par le ministère public à cette procédure. En outre, dans la mesure où elle conduirait à réunir tous les « acteurs » habituels d'un procès classique, elle risquerait également de donner prise à l'ouverture d'un véritable débat contrairement à l'objectif poursuivi. Dès lors, la durée de la procédure serait considérablement allongée sans qu'aucune valeur ajoutée puisse en être attendue puisque l'audience d'homologation répliquerait la comparution devant le procureur.
Il faut ajouter que dans la plupart des tribunaux, du moins jusqu'aux récentes décisions de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat, le parquet ne participait pas à l'audience d'homologation. Cette absence n'a généralement soulevé aucune difficulté dans la mesure où la procédure a été mise en place en étroite concertation entre le siège et le parquet. Ainsi, les sanctions proposées lors de la comparution de l'intéressé devant le procureur s'inspirent étroitement de la jurisprudence du tribunal 9 ( * ) .
En revanche, certaines juridictions de taille moyenne (Toulon, Reims...) ont fait le choix d'organiser les homologations dans le prolongement des audiences correctionnelles classiques -le ministère public y participe donc naturellement sans subir de réelle surcharge. Cette organisation n'est toutefois pas adaptée pour les tribunaux dont les audiences correctionnelles sont déjà très chargées. Elle pourrait se révéler en tout état de cause difficile à maintenir dans la perspective d'une montée en puissance des contentieux traités par la voie de la CRPC.
* 6 Rapport fait au nom de la commission des Lois sur le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, Sénat (2003-2004), n° 441.
* 7 Cahier du Conseil constitutionnel n° 16.
* 8 Amendement n° 219 rectifié bis. Dans une première version, l'amendement n° 219 rectifié prévoyait que le président du tribunal invitait « les parties à négocier l'accord passé entre elles ». Votre rapporteur avait alors souligné : « la commission est totalement défavorable à l'amendement n° 219 rectifié. Il s'agirait de permettre au tribunal d'inviter les parties à renégocier l'accord. Cette proposition est tout à fait contraire à l'esprit de la nouvelle procédure que nous voulons mettre en place. Il n'y a pas de négociation ! Par conséquent, il ne peut y avoir de renégociation. Il y a une proposition du procureur, qui est ensuite soit acceptée soit refusée. Puis, dans une troisième étape, les peines proposées sont homologuées ou non par le juge (Sénat, séance du 21 janvier 2004, compte rendu intégral, p. 731).
* 9 Dans quelques cas particuliers concernant notamment le contentieux économique selon certains magistrats du siège, la présence du parquet pourrait utilement éclairer le juge sur la proposition du procureur. Rien n'interdit alors, cependant, au juge de demander au procureur d'apporter lors de son déroulement les explications nécessaires.