III. AUDITION DE M. DENYS PELLERIN, VICE-PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE (MERCREDI 9 FÉVRIER 2005)
Réunie le mercredi 9 février 2005 , sous la présidence de M. Bernard Seillier, vice-président , la commission a procédé à l' audition d e M. Denys Pellerin, vice-président de l'Académie nationale de médecin, suivie d'une table ronde sur le thème « La fin de vie à l'hôpital ».
M. Gérard Dériot a présenté cinq questions sur lesquelles il souhaite connaître le sentiment de l'Académie de médecine : la première traite des différentes définitions de l'euthanasie ; la deuxième concerne les spécificités respectives de la fin de vie d'un patient adulte et d'un patient enfant ; la troisième s'inquiète de la prévalence des pratiques d'euthanasie clandestine ; la quatrième porte sur les ambiguïtés existant entre la loi notamment pénale - et le code de déontologie médicale ; enfin, la dernière s'attache au « testament de vie » et à l'opportunité de conférer une valeur impérative aux dispositions qu'il contient.
En préambule, M. Denys Pellerin a rappelé sa qualité de vice-président de l'Académie nationale de médecine, précisant qu'il en assurerait la présidence à partir de 2006. Il a déclaré qu'il avait par ailleurs été corédacteur de l'avis formulé en 1997 par le comité national consultatif d'éthique relatif au vieillissement et la longévité et, plus récemment, en collaboration avec Henri Caillavet, de celui consacré à la fin de vie qui, malgré des positions initiales divergentes entre les deux auteurs, s'est finalement révélé consensuel. Il a ajouté qu'il avait ensuite été rapporteur d'un texte de réflexion sur la problématique de la fin de vie chez le nouveau-né.
Il a précisé enfin que son mandat au comité national d'éthique avait pris fin et que, s'il intervient en qualité de vice-président de l'Académie de médecine, il n'engagera pas, par ses propos, cette institution. La seule position officielle de l'Académie sur les questions de fin de vie figure dans son communiqué du 9 décembre 2003.
M. Denys Pellerin a ensuite rejeté la distinction proposée, ici et là, entre euthanasie passive et active. L'euthanasie a pour seule définition d'être l'acte matériel de donner la mort à un individu dans le but de soulager ses souffrances ou d'accéder à sa requête. L'Académie refuse catégoriquement la terminologie d'euthanasie passive, qui ne constitue qu'une définition impropre du refus de l'acharnement thérapeutique. Il a insisté sur le fait que l'honneur et le devoir de tout médecin exigent qu'il connaisse les limites de son art. Il s'est à ce titre félicité de l'inscription, dans la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, d'une disposition relative aux effets secondaires des traitements. Il a formellement condamné la poursuite exagérée des soins de réanimation dont il a estimé qu'elle trouve, au final, sa seule justification dans des motivations étrangères au champ médical.
M. Denys Pellerin a ensuite estimé que la fin de vie d'un patient, adulte ou enfant, est comparable lorsque le décès a pour cause une pathologie qui n'est pas, en elle-même, le résultat du vieillissement. En revanche, le nourrisson présente des problématiques différentes méritant d'être traitées séparément. Il a en outre observé qu'il n'a jamais entendu un enfant, même condamné, évoquer l'idée de sa propre mort, et a fortiori la réclamer, et a recommandé, à ce sujet, la lecture du livre « Oscar et la dame en rose » écrit par M. Éric Emmanuel Schmidt, qui évoque les douze derniers jours d'un enfant atteint d'un cancer.
Pour ce qui concerne les crimes compassionnels, il a déclaré que l'Académie de médecine avait connaissance de l'existence de prescriptions létales pratiquées avec ou sans l'accord du patient, mais a estimé que leur nombre se réduit progressivement. Il a affirmé que de tels faits devraient relever du médecin qui engage seul sa responsabilité et a considéré anormal que, dans certaines affaires, des personnels soignants ou infirmiers comparaissent en justice, quand bien même leur faute traduirait en réalité un dysfonctionnement dans l'organisation de leur service.
En la matière, l'existence d'un hiatus entre les dispositions du code de déontologie médicale et la loi, notamment pénale, nourrit un sentiment d'hypocrisie. Pour sa part, la position de l'Académie de médecine vise à affirmer simultanément que l'acte d'euthanasie est un assassinat, mais que des transgressions au respect inconditionnel de la vie peuvent être légitimées par des cas d'espèce et dans le respect des droits des malades. Il a déploré que la réflexion du comité national consultatif d'éthique ait été dénaturée sur ce sujet par l'utilisation du terme inapproprié « d'exception d'euthanasie ».
À titre personnel, il s'est interrogé sur la pertinence de la disposition de la proposition de loi qui permet au patient de refuser son alimentation pour abréger sa fin de vie dès lors qu'elle aboutit, au final, au même résultat que le recours successif à une sédation et à une euthanasie.
Il a enfin jugé d'un intérêt limité le recours à la rédaction de directives anticipées, la personne qui les rédige alors qu'elle est bien portante ne pouvant réellement présumer quels choix seront les siens lorsqu'elle sera confrontée à cette situation.
Mme Isabelle Debré a souligné la difficulté du travail du législateur sur le sujet de la fin de vie. Elle a adhéré sans réserve à la récusation du terme d'euthanasie passive, ainsi qu'à l'appel à l'honneur et au devoir du médecin tel que formulé par M. Denys Pellerin.
M. François Autain a déploré que le terme d'euthanasie ne figure pas dans le code pénal, mais a estimé nécessaire de distinguer entre différents cas de figure, qualifiables d'euthanasie active ou passive, ou encore de directe ou indirecte. Il s'est interrogé sur la capacité de la proposition de loi, dans sa version adoptée par l'Assemblée nationale, à empêcher les deux mille cas annuels d'euthanasie clandestine présumés en France.
Mme Marie-Thérèse Hermange a apprécié que M. Denys Pellerin ait soutenu le « propos du médecin » et s'est inquiétée des incidences que pourrait avoir la proposition de loi sur le traitement des anorexies mentales. Elle a enfin souhaité que soient précisées les conditions dans lesquelles devra délibérer le collège dont l'intervention est prévue avant tout arrêt de soins.
M. Jean-Claude Étienne a constaté que la proposition de loi ne saurait résoudre tous les problèmes soulevés par la fin de vie, ni traiter de tous les cas de figure auxquels la médecine peut être confrontée. Il a insisté sur l'importance du collège médical et a souhaité voir sa composition et ses procédures décisionnelles clarifiées.
M. Denys Pellerin a considéré que le recours aux directives anticipées pourrait être opportunément remplacé par une mention des souhaits du patient dans son dossier médical personnel. Les observations et les volontés d'une personne, notamment âgée ou présentant un passé thérapeutique complexe, constituent naturellement des informations méritant d'y figurer.
Il a ensuite considéré que le législateur, par cette proposition de loi, franchit un pas important en définissant dans la loi l'euthanasie comme un acte volontaire, auquel ne pourra plus désormais être assimilé le refus des praticiens de se livrer à un acharnement thérapeutique.
Il a enfin observé que l'anorexie mentale, à la différence des tétraplégies ou maladies nerveuses sévères, est guérissable et soulève de ce fait des problématiques d'un autre ordre que celles de la fin de vie.