EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. DES ENJEUX PHYSIQUES ET JURIDIQUES QUI INTERDISENT L'IMMOBILISME
Le contexte juridique et le constat physique qui peut être établi sur la question de l'eau imposent à notre pays de réviser sa législation en la matière.
A. LE MODÈLE FRANÇAIS DE GESTION DE L'EAU
1. Les impacts de la loi du 16 décembre 1964
La loi sur l'eau de 1964 a favorisé, en créant les agences de l'eau, l'introduction de l'économie dans la gestion de la ressource en eau et l'organisation d'une concertation locale entre tous les partenaires concernés (usagers, élus locaux et Etat). Les agences de l'eau ont reçu pour mission de contribuer financièrement à la réalisation des diverses actions « d'intérêt commun au bassin » qu'aucun maître d'ouvrage n'avait intérêt à réaliser pour lui-même, à son seul profit.
Les actions d'intérêt commun au bassin sont : - la collecte et la mise à la disposition de tous des connaissances générales sur l'état de la ressource ; - l'accroissement des ressources en eau (ou la réduction des prélèvements de certains usagers, au bénéfice de leurs concurrents), aux lieux et époques où elles sont insuffisantes, compte tenu des usages multiples dont elles font l'objet ; - la réduction de la pollution de la ressource ; - la maîtrise des inondations ; - l'entretien des cours d'eau et l'amélioration du milieu aquatique. Pour financer ces actions et ouvrages d'intérêt commun, la loi de 1964 a donné aux agences la possibilité de percevoir des redevances sur les divers utilisateurs de la ressource « dans la mesure où ils rendent nécessaires ou utiles les interventions des agences et dans la mesure où ils y ont intérêt ». Ces "usagers de la ressource", au sens de la loi de 1964, sont ceux qui prélèvent de l'eau dans le milieu naturel, y rejettent de la pollution ou modifient l'écoulement des eaux par des actes soumis au contrôle de la police des eaux : - les gestionnaires des services publics locaux de distribution d'eau et d'assainissement ; - les agriculteurs et les industriels qui puisent ou rejettent directement dans la ressource ; - les exploitants d'aménagements hydroélectriques ou de voies navigables ; - les utilisateurs du milieu aquatique (pêche, baignade, canoë,...) ; - ceux dont les ouvrages aggravent les risques d'inondation et ceux qui bénéficient des actions menées pour les réduire. |
S'agissant du financement de l'action publique dans le domaine de d'eau, on peut distinguer trois domaines :
- celui des services d'eau et d'assainissement, que les communes sont tenues de mettre en place, et dont tous les coûts sont couverts par leurs clients -ou abonnés- assujettis à des redevances pour services rendus ;
- celui de l'Etat qui finance, dans le cadre de son budget, alimenté par diverses fiscalités non affectées, d'une part le coût de son administration et d'autre part une redistribution de ressources, au nom de la solidarité nationale, vers les collectivités locales dont les ressources propres sont les plus faibles ;
- entre les deux, les actions d'intérêt commun au bassin, nécessaires à la satisfaction des besoins de l'ensemble des usagers du bassin posent un problème spécifique. Ceux qui rendent nécessaire ou utile la réalisation de ces actions d'intérêt commun ou qui y ont intérêt, ne sont pas liés à ceux dont on attend qu'ils réalisent ces actions, par un lien institutionnel ou contractuel les obligeant à contribuer à leur financement. Les redevances spécifiques des agences de l'eau ont été instaurées pour combler une lacune en permettant de faire contribuer tous les « usagers de la ressource » concernés. Le champ d'action des agences de l'eau est donc complémentaire de celui de l'Etat et des maîtres d'ouvrages existants.
Outre les dérives constatées et plusieurs fois dénoncées du dispositif initial vers une mutualisation des ressources et des attributions de subvention, la principale difficulté , s'agissant des agences de l'eau, tient à l'impasse juridique dans laquelle elles se trouvent du fait des incertitudes liées à la nature de leurs ressources .
En effet, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 juin 1982, a jugé que « les redevances perçues par les agences financières de bassin, établissements publics à caractère administratif, ne constituent pas des taxes parafiscales au sens de l'article 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ; que, destinées à assurer le financement des dépenses de toute nature qui incombent aux agences, elles ne constituent pas davantage des rémunérations pour services rendus visés à l'article 5 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ; qu'ainsi ces redevances doivent être rangées parmi les impositions de toute nature dont l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement » .
Comme le Conseil constitutionnel n'était saisi que sur le fondement de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, il n'a pas pu censurer les articles 14 et 14-1 de la loi de 1964. Tous les spécialistes de la question s'accordent cependant pour estimer, à juste titre, que ces articles sont contraires à l'article 34 de la Constitution car ils donnent compétence aux agences financières pour fixer l'assiette et le taux des redevances concernées.
Ceci explique le blocage juridique constaté sur le mécanisme des redevances et l'impossibilité de faire aboutir une réforme le concernant. Ainsi, la loi du 3 janvier 1992 n'a pas traité de cette question et, détail pittoresque, le Conseil d'Etat n'a pas souhaité intégrer dans le code de l'environnement l'article 14-1 de la loi du 16 décembre 1964.