ARTICLE 55

Réajustement du plafond autorisé de remise de dettes
des pays les plus pauvres

Commentaire : le présent article a pour objet de porter de 5,6 milliards d'euros à 11,1 milliards d'euros le plafond autorisé pour la remise de dettes des pays les plus pauvres, dans la perspective des importants allègements devant intervenir en 2005 et 2006.

I. LES PLAFONDS SUCCESSIFS DE REMISES DE DETTE ACCORDÉES DANS LE CADRE DU CLUB DE PARIS

En octobre 1988, les créanciers du Club de Paris 92 ( * ) ont décidé de mettre en oeuvre un nouveau mode de traitement pour la dette des pays les plus pauvres. Ce nouveau traitement, dit des « termes de Toronto », mettait en oeuvre pour la première fois une réduction d'une partie de la dette des pays pauvres, selon un niveau d'annulation défini établi à 33.33 % pour les dettes ne relevant pas de l'aide publique au développement 93 ( * ) . Vingt pays ont bénéficié des termes de Toronto entre 1988 et 1991, date à laquelle ces termes ont été remplacés par ceux de Londres.

L'article 40 de la loi de finances rectificative pour 1988 n° 88-1193 du 29 décembre 1988 a traduit les premières conséquences de ce dispositif en autorisant le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à prendre les mesures nécessaires en vue de la remise de dettes au profit de certains pays en développement, dans la limite d'un plafond de 1.250 millions de francs, soit 190,6 millions d'euros.

Ce plafond a ensuite été augmenté lors de plusieurs lois de finances rectificatives , au gré des nouveaux dispositifs d'allègements de la dette. On mentionnera ainsi, pour mémoire, les « termes de Londres » décidés en décembre 1991, le traitement dit « de Naples » décidé en décembre 1994, l'initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), approuvé lors du sommet du G7 qui s'est tenu à Lyon le 28 juin 1996, et l'« approche d'Evian » formulée en juin 2003.

Outre ces traitements dans le cadre multilatéral du Club de Paris, qui sont conditionnés par la conclusion d'un accord entre chaque créancier et le Fonds monétaire international (FMI), la France a successivement mis en place plusieurs initiatives bilatérales et additionnelles d'allègement de la dette . On mentionnera ainsi les dispositifs « Dakar I » et « Dakar II », décidées respectivement en mai 1989 et janvier 1994, ceux décidés lors des sommets de La Baule en juin 1990 et de Libreville en septembre 1992, ou les récents « contrats de désendettement-développement » (C2D), qui constituent un volet additionnel original à l'initiative PPTE, précitée.

Ces remises de dette bilatérales respectent la « doctrine d'Abidjan », qui suppose l'intervention préalable du FMI. Elles font l'objet d'un traitement budgétaire (s'agissant par exemple des C2D) ou extra-budgétaire, via les comptes spéciaux du Trésor, et sont soumises à un plafond d'engagements distinct de celui du traitement multilatéral . Ce plafond, communément appelé « compteur de Yaoundé », par référence à l'initiative décidée lors du sommet de Yaoundé en janvier 2001, est actuellement fixé à un milliard d'euros et ne devrait pas faire l'objet d'une prochaine réévaluation, n'ayant été utilisé qu'à hauteur de 200 millions d'euros.

Pour davantage de précisions sur les modalités des traitements de la dette, on se reportera utilement au rapport budgétaire relatif aux crédits d'aide au développement du projet de loi de finances pour 2005, de notre collègue Michel Charasse, rapporteur spécial des crédits d'aide au développement.

La chronologie des relèvements de plafonds depuis 1988 est ainsi la suivante :

Relèvements successifs du plafond de traitement concessionnel de la dette des pays pauvres

(en millions de francs puis en millions d'euros à compter de 1999)

Lois de finances rectificatives

Relèvement

Plafond

LFR pour 1989

 

1.250

LFR pour 1990

+ 2.400

3.650

LFR pour 1991

+ 2.000

5.650

LFR pour 1993

+ 1.000

6.650

LFR pour 1994

+ 3.000

9.650

LFR pour 1995

+ 2.000

11.650

LFR pour 1996

+ 4.000

15.650

LFR pour 1999

+ 715

3.100

LFR pour 2001

+ 2.500

5.600

LFR pour 2004

+ 5.500

11.100

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

II. LES PERSPECTIVES JUSTIFIANT LE RELÈVEMENT DU PLAFOND

A. 2,6 MILLIARDS D'EUROS D'ALLÈGEMENTS DE DETTE POUR LES PAYS PAUVRES EN 2005

Les annulations de dette connaissent une hausse tendancielle du fait de l'amorce du traitement du « stock » de dette, après celui des échéances (intérêts et/ou principal). Le Club de Paris connaît ainsi aujourd'hui une activité importante , du fait de l'arrivée prochaine au « point d'achèvement » d'un certain nombre de pays pauvres très endettés, dans le cadre de l'initiative PPTE 94 ( * ) , et du futur traitement de l'importante dette de l'Irak. Les accords conclus par le Club de Paris avec ses créanciers, qui interviennent en général quelques semaines ou mois après l'atteinte du point d'achèvement par les pays concernés par l'initiative PPTE, ne lient pas juridiquement la France mais constituent des recommandations. Seuls les accords bilatéraux signés par la France avec chaque créancier confèrent aux allègements de dette qu'elle consent leur validité juridique et un caractère effectif.

Un volume global de 2,6 milliards d'euros d'allègements de dette - hors traitement de l'Irak - octroyé par la France est ainsi projeté en 2005 , au sein duquel on mentionnera les encours de créances suivants, qui revêtent un degré plus ou moins élevé de certitude, selon que les accords ont été déjà signés ou le seront en 2005, et en fonction la probabilité de franchissement du point d'achèvement :

- 802 millions d'euros pour le Congo-Brazzaville , qui a signé un accord avec le Club de Paris le 12 avril 2004, après que ses relations avec le Fonds monétaire international ont été longtemps interrompues ;

- 394 millions d'euros pour le Cameroun , qui devrait franchir le point d'achèvement courant 2005, signer un accord avec le Club de Paris fin 2005 puis un C2D avec la France peu après ;

- 332 millions d'euros pour Madagascar , dont l'accord bilatéral a été signé le 16 novembre 2004 suite au franchissement du point d'achèvement ;

- 284 millions d'euros au profit du Sénégal , qui a récemment franchi le point d'achèvement et a signé un accord bilatéral avec la France le 29 novembre 2004 ;

- 142 millions d'euros pour la Zambie , qui devrait atteindre le point d'achèvement en 2005 ;

- 116 millions d'euros pour le Niger , qui a signé un accord bilatéral avec la France le 27 octobre 2004, peu après l'accord multilatéral dans le cadredu Club de Paris ;

- des montants d'annulations plus réduits, mais encore substantiels, sont prévus au profit du Ghana (51 millions d'euros) et du Honduras (41 millions d'euros).

Un montant provisionnel de 165 millions d'euros est également prévu pour la Côte d'Ivoire , dont la situation politique actuelle et les controverses portant sur les comptes de la filière café-cacao ne permettent pas d'espérer un accord rapide avec le FMI puis le Club de Paris.

B. LA SITUATION PARTICULIÈRE DE L'IRAK

La dette de l'Irak fait l'objet d'un traitement distinct puisqu'elle ne s'inscrit pas dans le processus PPTE, mais dans un contexte diplomatique et économique spécifique.

La dette extérieure totale de l'Irak est aujourd'hui estimée par le FMI à 124,8 milliards de dollars, dont 34 % est détenue par les créanciers du Club de Paris , 54 % par les créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris, et 12 % par le secteur privé.

La dette des créanciers du Club de Paris envers l'Irak s'élevait, fin 2003, à 42 milliards de dollars . L'encours global du principal s'élève à 21 milliards de dollars, presque exclusivement sous forme d'arriérés résultant de crédits octroyés avant le 2 août 1990 (invasion du Koweït), et les intérêts de retard représentant un montant équivalent. Les principaux créanciers sont le Japon (4,11 milliards de dollars), la Russie (3,45 milliards de dollars après décote de 65 %), la France (2,99 milliards de dollars, hors intérêts de retard) , l'Allemagne (2,4 milliards de dollars), les Etats-Unis (2,19 milliards de dollars) et l'Italie (1,73 milliards de dollars).

Les négociations sur l'allègement de la dette irakienne ont donné lieu à des positions différenciées . Les Etats-Unis, soutenus par le Royaume-Uni, défendaient la requête de l'Irak d'une annulation dès 2004 de 95 % de l'encours ; l'Italie et le Japon s'étaient prononcés en faveur d'un taux d'annulation de 80 à 85 % et d'un traitement comprenant plusieurs phases ; l'Allemagne proposait d'accorder une première tranche d'annulation de 50 % et se déclarait prête à aller jusqu'à 67 % dans le cadre d'une seconde tranche en fonction de l'évolution de la situation du pays ; enfin la France proposait une annulation limitée à la moitié de l'encours .

Un compromis a finalement été trouvé au sein du Club de Paris le 21 novembre 2004, portant sur un taux d'annulation global de 80 % et un traitement en trois phases , durant lequel l'Irak ne remboursera aucun montant à ses créanciers du Club de Paris :

- une première tranche consistant en l'annulation immédiate de 30 % de l'encours de créances, soit 70 % des intérêts de retard ;

- une deuxième tranche portant sur l'effacement de 30 % des créances, après approbation d'un « accord standard » avec le FMI, attendu pour mi-2005 ;

- enfin, un troisième allègement portant sur le solde de 20 % sera concédé après la mise en oeuvre d'un programme triannuel élaboré conjointement avec le FMI, soit en principe au second semestre de 2008.

La dette globale de l'Irak à l'égard de la France s'élève à environ 5,1 milliards de dollars , dont 2,1 milliards de dollars d'intérêts de retard. Le montant prévisionnel d'annulations consenties en 2005, au titre de l'accord précité, s'élèverait à un peu moins de 2,9 milliards d'euros . Cumulé avec les annulations au profit des pays pauvres, précédemment mentionnées, ce montant justifie le relèvement du plafond à hauteur de 11,1 milliards d'euros, que prévoit le présent article.

L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur général est favorable à cet important relèvement du plafond de remises de dette, le plus important qui ait été jusqu'à présent demandé, considérant les engagements pris par la France et les justifications apportées sur les perspectives d'allègements en 2005. Il rappelle néanmoins que les annulations de dette peuvent constituer un préalable au développement des pays pauvres mais n'en sont pas le facteur déterminant. En outre la hausse de 10 % de l'aide française au développement en 2005 reposera essentiellement sur ce vecteur d'aide, dont la lisibilité et la transparence pour le citoyen et le Parlement doivent encore être améliorées , compte tenu des montants en jeu et du traitement majoritairement extra-budgétaire dont ces annulations font l'objet.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.

* 92 Rappelons que le « Club de Paris » désigne un groupe informel de 19 créanciers publics dont le rôle, depuis sa première réunion en 1956, est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement des Etats endettés. Les créanciers du Club de Paris conviennent de rééchelonner les dettes qui leur sont dues. Les rééchelonnements sont un moyen d'apporter un allègement de dette en reportant et, dans le cas des rééchelonnements concessionnels, en annulant des échéances dues sur la dette.

Depuis 1983, le montant total de dette couverte par ces accords s'élève à 428 milliards de dollars (répartition par année). En dépit de cette forte activité, le Club de Paris est resté strictement informel . Bien que le Club de Paris n'ait pas d'existence légale ni de statuts, les accords suivent un certain nombre de principes et règles dont conviennent les pays créanciers, ce qui permet d'accroître l'efficacité dans la perspective d'un accord.

* 93 Pour les « créances APD », un mécanisme d'allègement était également prévu, consistant en un rééchelonnement à un taux au moins aussi favorable que le taux concessionnel initial qui s'appliquait à ces prêts, avec une période de remboursement de 25 ans dont 14 de grâce. Ce rééchelonnement entraînait généralement une réduction de la valeur actuelle nette des créances dans la mesure où le taux concessionnel initial était inférieur au taux approprié de marché.

* 94 Le point de décision est la date à partir de laquelle les institutions financières internationales décident de l'éligibilité d'un pays aux allègements de dette prévus par l'initiative PPTE. Le point de décision est atteint si les mesures traditionnelles de réduction du stock de la dette ne suffisent pas à ramener cette dernière à un niveau soutenable et après que le pays a suivi un programme du FMI pendant trois ans, et rédigé un Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP), ou du moins un document intérimaire.

Répondant à la nouvelle approche du FMI et de la Banque mondiale des pratiques de prêt, qui veut favoriser un processus d'appropriation de leur stratégie de réduction de la pauvreté par les pays concernés, le DSRP doit être rédigé après consultation et avec la participation de la société civile. Les documents finaux sont soumis à l'approbation de la Banque mondiale et du FMI. Un pays doit mettre en oeuvre les stratégies définies dans son DSRP pendant une durée minimale d'un an et le programme du FMI pendant au moins six mois pour atteindre le point d'achèvement . A cette date, le pays bénéficie de l'ensemble des allègements de dette convenus dans le cadre de l'initiative (90 % d'allègement du stock de la dette pré-date butoir), sans qu'il ait à remplir d'autres conditions.

La période comprise entre le point de décision et le point d'achèvement est appelée période intérimaire.

L'IPPTE renforcée, ayant pour objectif d'accélérer le processus d'annulation, a assoupli le calendrier : le point d'achèvement et la période intérimaire, initialement fixée à trois ans, sont devenus flottants en fonction des « performances » des pays.

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