N° 114
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 décembre 2004
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances rectificative pour 2004 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général
TOME 1 : Exposé général et examen des articles 1 er à 29 bis (nouveau)
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM.Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jegou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 1921 , 1970, 1976 et T.A. 364
Sénat : 112 (2004-2005)
Lois de finances rectificatives. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
AVANT-PROPOS
S'il n'est pas encore, comme la loi de règlement, le moment de vérité budgétaire par excellence, le projet de loi de finances rectificative de fin d'année n'en est pas moins un rendez-vous, rituel certes, mais qui a le mérite de permettre de faire le point de la politique budgétaire et économique du gouvernement.
Des prévisions aux réalisations
Le Parlement peut, d'abord, jeter un pont entre les prévisions de la loi de finances initiale et les réalités financières de la fin de l'exercice. C'est à ce moment privilégié que l'on peut mesurer la distance séparant les intentions des actes, les anticipations voire les paris ? du résultat des courses.
De ce point de vue, 2004 sera, en dépit des nuages qui semblent se profiler, l'année des bonnes surprises. Il faut bien admettre que l'équipe ministérielle précédente, MM. Nicolas Sarkozy et Dominique Bussereau, dont cette loi est un peu le bilan, vont gagner leur pari grâce à leur audace mais aussi à la prudence de leurs prédécesseurs, MM. Francis Mer et Alain Lambert.
C'est parce que ces derniers ont appliqué, et c'est suffisamment rare pour être souligné, un principe de précaution, que pour le première fois depuis longtemps la France va toucher les dividendes de la prudence budgétaire .
Le déficit budgétaire va passer de 55 milliards d'euros à un peu plus de 49 milliards d'euros. Cette amélioration du solde budgétaire résulte largement de la croissance des recettes fiscales et non fiscales consécutives, pour les premières, à l'amélioration de la conjoncture économique. Le surplus de recettes de l'Etat en 2004 par rapport aux prévisions associées à la loi de finances initiale pour 2004, de 6 milliards d'euros selon la prévision associée au projet de loi de finances initiale pour 2005, est révisé à la hausse par le présent projet de loi de finances rectificative, qui l'estime désormais à 7,5 milliards d'euros.
Nous nous trouvons face au phénomène inverse de celui constaté en 2003, année qui avait connu un tassement inattendu des recettes fiscales, largement dû au très net fléchissement des élasticités des recettes au PIB.
Mais, au-delà de ces résultats positifs, qui permettent au déficit public de passer de 4,1 % à 3,1 % du PIB, et nous remettent donc sur les rails du Traité de Maastricht, on relève des tendances moins satisfaisantes.
La règle de croissance des dépenses, dite « zéro volume », sera respectée mais en ce qui concerne les dépenses réelles, c'est-à-dire les crédits effectivement consommés au cours de l'exercice, ce qui traduit un assouplissement dont on aurait préféré qu'il ne soit pas nécessaire. Les dépenses nettes inscrites progressent, elles, de plus de 1,7 milliard d'euros, passant de 283,7 milliards d'euros à 285,5 milliards d'euros. En d'autres termes, le respect de la norme de dépenses ne pourra être observé en exécution que par des reports de crédits significatifs . On rompt ainsi avec le comportement vertueux amorcé par MM. Francis Mer et Alain Lambert, consistant à « dégonfler » les reports qui constituent une véritable « épée de Damoclès » budgétaire.
Certes, ce dépassement par rapport à la norme de crédits ouverts tient, pour une large part, à la nécessité de financer des opérations extérieures de nos armées, alors que celles-ci ne sont pas encore véritablement budgétées en loi de finances initiale.
Les écarts avec le collectif de 2003 sont assez significatifs. Celui-ci avait enregistré respectivement des ouvertures et des annulations de crédits à hauteur de 3,38 milliards d'euros et 1,72 milliard d'euros. Dans le présent collectif, on se situe à des niveaux sensiblement supérieurs avec 5,14 milliards d'euros d'ouvertures en crédits nets et 3,41 milliards d'euros d'annulations en crédits nets.
En tout état de cause, nous voyons aussi avec ce collectif les limites d'une maîtrise purement comptable de la dépense . La régulation budgétaire ne suffira pas à maîtriser la dépense publique, si elle ne peut s'appuyer sur des réformes structurelles. Tôt ou tard, il faudra revoir l'organisation de l'Etat, à commencer par les effectifs publics qui devront être redimensionnés.
Les hypothèses économiques du projet de loi de finances 2005 revisitées
En deuxième lieu, le projet de loi de finances rectificative d'automne est aussi l'occasion de se pencher, trois mois après sa première présentation, sur le contexte économique sur la base duquel a été construit le projet de loi de finances de l'année suivante. Un « collectif budgétaire », ce n'est pas seulement l'analyse anticipée de ce qui sera bientôt du passé budgétaire, c'est aussi le moment de se tourner vers l'avenir pour juger, avec de nouveaux éléments, de la pertinence des hypothèses économiques ayant présidé à la construction du projet de loi de finances.
En l'occurrence, l'embellie conjoncturelle , dont votre commission des finances s'était félicitée il y a deux mois, apparaît aujourd'hui plus incertaine et l'on peut craindre que, par suite notamment de la hausse des prix du pétrole, le temps ne se gâte à nouveau.
Certes, nous ne sommes pas les seuls dans cette situation.
On peut rappeler qu'en Allemagne le collectif budgétaire, adopté fin novembre par le Bundestag, prévoit un déficit fédéral de 43,5 milliards d'euros, contre seulement 29,3 milliards d'euros dans le projet de loi de finances initiale, ce qui dépasse le « précédent record » établi en 1996 avec un déficit de près de 40 milliards d'euros 1 ( * ) .
Pour 2005, le gouvernement allemand espère ramener le déficit budgétaire à 22 milliards d'euros, grâce à des ressources exceptionnelles procurées par des opérations de privatisations - qui devraient rapporter plus de 17 milliards d'euros - et grâce à une opération complexe de titrisation des créances liées aux retraites des salariés de Deutsche Telekom et de la Poste.
La Grande-Bretagne, qui est à certains égards le bon élève des grands pays européens, devrait, elle aussi, connaître un déficit qui pourrait dépasser les 3 % du PIB, à en croire les prévisions de l'OCDE. Les faits sont têtus mais ils savent parfois se plier à la volonté des gouvernements déterminés. Ainsi, la croissance britannique devrait bien atteindre 3,25 % en 2004, comme l'avait prédit M. Gordon Brown, chancelier de l'échiquier, alors même que beaucoup d'experts n'anticipaient qu'une croissance de 2,5 %.
C'est dire, en ce qui nous concerne, que la prévision associée au projet de loi de finances pour 2005, si ambitieuse soit-elle, n'est pas hors de portée.
Votre commission estime qu'il n'y a pas lieu d'en changer dès lors que les prévisions de recettes sont établies sur une base suffisamment prudente pour qu'un aléa conjoncturel ne remette pas en cause l'équilibre budgétaire. Telle est le principe que votre commission tient à défendre face au nouveau ministre de l'économie, des finances et de l'industrie pour souhaiter qu'il sache combiner volontarisme et ambition dans les objectifs, et prudence et réalisme dans sa gestion budgétaire et financière.
Les questions de méthode législative
En dernier lieu, le collectif budgétaire de fin d'année constitue traditionnellement « le dernier train » permettant aux administrations et à leurs ministres de faire avancer des réformes qui, parce qu'elles sont trop urgentes ou trop ponctuelles, ne peuvent trouver place dans les textes inscrits dans l'agenda gouvernemental.
Le présent texte ne fait pas exception à la règle. Aux 60 articles du projet de loi initial, se sont adjoints 42 articles additionnels. Inutile de dire que le Parlement ne peut pas, en l'espace d'un week-end, analyser dans des conditions convenables, une telle avalanche de mesures nouvelles, parfois d'une grande technicité, et parfois révélatrices de demandes administratives récurrentes et non filtrées par le passage en Conseil d'Etat.
Il y a là une question de méthode sur laquelle votre commission des finances veut attirer l'attention. On ne peut pas transformer, à l'issue d'un marathon budgétaire déjà éprouvant, le projet de loi de finances rectificative en « voiture-balai » de toutes les mesures d'importance inégale qui se trouvent dans les tiroirs de l'administration.
Il semblerait plus opportun d'examiner ces mesures dans des textes relevant de la catégorie des projets de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (DDOEF), qui pourraient être soumis au Parlement au printemps, à un moment où l'ordre du jour des assemblées, et spécialement des commissions des finances, leur permettent d'étudier de telles mesures avec toute l'attention et le soin qu'elles méritent.
Ainsi, pourrait-on le faire de façon d'autant plus légitime que beaucoup de ces mesures s'inscrivent, en fait, dans le processus de modernisation de l'Etat auquel le gouvernement, comme les commissions des finances, est particulièrement attaché.
I. RECETTES : LES DIVIDENDES DE LA PRUDENCE
A. UNE CROISSANCE DU PIB SUPÉRIEURE DE PLUS DE 0,5 POINT AUX PRÉVISIONS
1. L'art difficile de la prévision économique
Depuis 1999, la croissance du PIB s'est nettement écartée chaque année du consensus des conjoncturistes et de la prévision du gouvernement, comme l'indique le graphique ci-après.
La croissance du PIB de l'économie française : prévision et croissance effective
(en %)
(1) Commission économique de la Nation (en 1999, commission des comptes économiques de la Nation).
(2) Consensus des conjoncturistes (Consensus Forecasts, novembre 2004).
Sources : projets de lois de finances ; Consensus Forecasts ; Insee
En comparaison, l'écart entre la prévision du gouvernement et celle du consensus des conjoncturistes semble négligeable.
Ce phénomène provient de la difficulté des économistes à anticiper les retournements de conjoncture , et de leur tendance à privilégier les scénarios où la croissance s'écarte peu de son taux potentiel. Ainsi, la croissance du PIB, en 2003, a été nettement plus faible que ce que laissaient penser les indicateurs conjoncturels à l'été 2002, ce qui s'explique en particulier par l'appréciation de l'euro et l'impact du conflit irakien, largement sous-estimé par tous les prévisionnistes, malgré de très nombreuses mises en garde...
* 1 On relève qu'avec un tel déficit pour 2004 on se situe à plus de 19 milliards d'euros au-dessus des investissements inscrits dans le budget, ce qui est prohibé par la loi fondamentale, sauf en cas de perturbations de l'équilibre économique général du pays.