LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
- Monsieur Jérôme CLEMENT, Président du Directoire d'Arte France ;
- Monsieur Jean-Paul CLUZEL, Président-directeur général de Radio France Internationale, puis en tant que Président-directeur général de Radio France ;
- Monsieur Emmanuel HOOG, Président-directeur général de l'Institut National de l'Audiovisuel ;
- Monsieur Marc TESSIER, Président-directeur général de France Télévisions.
ANNEXE :
ÉTUDE DU SERVICE DES
ÉTUDES JURIDIQUES DU SÉNAT SUR LES FONDEMENTS JURIDIQUES DE
L'ASSUJETTISSEMENT À LA TVA DE LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE, EN DROIT
INTERNE ET AU REGARD DU DROIT COMMUNAUTAIRE
La redevance pour droit d'usage des postes récepteurs de télévision a été créée en application du 2° de l'article 2 de la loi n° 49-1032 du 30 juillet 1949 portant répartition des abattements globaux opérés sur le budget annexe de la radiodiffusion par la loi n° 48-1992 du 31 décembre 1948 40 ( * ) . Elle représente l'extension à la télévision de la redevance pour droit d'usage sur les installations réceptrices de radiodiffusion, qui avait été instituée par l'article 109 de la loi de finances du 31 mai 1933 41 ( * ) .
L'article 10 de l'ordonnance n° 59-273 du 4 février 1959 relative à la radiodiffusion-télévision française, d'une part, l'a requalifiée sous le nom « redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision », et, d'autre part, a prévu que ses taux seraient fixés par décret en Conseil d'Etat. Le même article prévoyait également que « la radiodiffusion-télévision française n'est passible d'aucune imposition à raison des recettes procurées par la perception de la redevance, quelle qu'en soit l'affectation ».
Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, affirmé le caractère de taxe parafiscale de cette redevance 42 ( * ) , notamment dans ses décisions n° 60-8 DC du 11 août 1960, n° 79-111 L du 21 novembre 1979 et n° 80-126 DC du 30 décembre 1980.
La décision n° 60-8 DC du 11 août 1960, notamment, précise que la redevance , « en raison tant de l'affectation qui lui est donnée que du statut même de l'établissement en cause, ne saurait être assimilé à un impôt » et que, « eu égard aux conditions selon lesquelles elle est établie et aux modalités prévues pour son contrôle et son recouvrement, ne peut davantage être définie comme une rémunération pour services rendus ».
Le produit de cette redevance est affecté, en application de l'article 33 de la loi n° 74-1129 du 30 décembre 1974 de finances pour 1975, au compte d'affectation spéciale n° 902-15 « Compte d'emploi de la taxe parafiscale affectée au financement des organismes du secteur public de la radiodiffusion sonore et télévision », qui participe au financement de l'audiovisuel public : France Télévisions, Réseau France Outre-mer, Radio France, Radio France Internationale, ARTE-France, et l'Institut national de l'audiovisuel (INA).
Le tableau ci-dessous présente l'évolution des ressources du secteur audiovisuel public entre 2003 et 2004 :
Du tableau qui précède, il convient de déduire que le produit prévu pour 2004 de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à la redevance audiovisuelle s'établit à 53,3 millions d'euros, affectés au budget de l'Etat .
L'article 63 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances a prévu la disparition de la parafiscalité, au plus tard le 31 décembre 2003.
La redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision étant une taxe parafiscale, son statut juridique était donc appelé à évoluer. Tel a été l'objet de l'article 37 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 qui l'a transformée en « redevance audiovisuelle » ayant le caractère d'une imposition de toute nature . Ainsi se trouve véritablement assuré, s'agissant de la redevance audiovisuelle, le respect de l'article 34 de la Constitution, en vertu duquel « la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures », les taux de la redevance étant désormais fixés, pour la première fois en 2004, par le Parlement et non plus par un décret en Conseil d'Etat.
Le même article 37 a donné force de loi aux dispositions réglementaires jusqu'alors en vigueur, soit celles du décret n° 92-304 du 30 mars 1992 relatif à l'assiette et au recouvrement de la redevance pour droit d'usage des appareils récepteurs de télévision 43 ( * ) .
L'Assemblée nationale avait néanmoins modifié de façon substantielle la rédaction de l'article 37 précité afin de limiter à l'année 2004 les nouvelles dispositions relatives à la redevance. Ainsi la discussion du projet de loi de finances pour 2005 devrait-elle être l'occasion d'engager un débat de fond sur l'avenir de la redevance audiovisuelle, notamment son éventuel adossement à la taxe d'habitation, selon les préconisations ébauchées par le rapport de M. Patrice Martin-Lalande, député du Loir-et-Cher 44 ( * ) . C'est en vue de cette réforme de plus grande ampleur que le gouvernement a constitué un groupe de travail comportant des parlementaires.
A l'occasion de la « transformation » de cette taxe parafiscale en imposition de toute nature, l'imposition à la TVA de la redevance audiovisuelle a été reconduite.
I. L'ASSUJETTISSEMENT À LA TVA DE LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE
A. LES DISPOSITIONS FISCALES FRANÇAISES
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt général sur la consommation, grevant le prix des biens livrés et des services rendus à titre onéreux dans une proportion constante quel que soit le nombre de transactions intervenues avant le règlement du prix par le consommateur final.
Certaines opérations, bien que n'étant pas imposables en raison de leur nature, sont cependant soumises à la TVA en vertu d'une disposition législative spéciale. Ainsi l'article 257 du code général des impôts dresse-t-il une liste d'opérations que le législateur a entendu soumettre expressément et obligatoirement à la TVA.
Tel est le cas de la redevance audiovisuelle, l'article 257 précité disposant que « sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée [...] 18° la redevance audiovisuelle ».
L'article 281 nonies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 37 de la loi de finances pour 2004 précitée, précise que « la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 2,1 % en ce qui concerne la redevance audiovisuelle ».
C'est l'article 67 de la loi n° 69-1161 du 24 décembre 1969 de finances pour 1970 qui, en modifiant la rédaction du premier alinéa de l'article 10 de la l'ordonnance du 4 février 1959 précitée, a assujetti la redevance à la TVA : « nonobstant le caractère de taxes parafiscales de ces redevances , leur produit en principal est soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au taux intermédiaire », étant précisé que « l'application de la taxe sur la valeur ajoutée à la redevance ne pourra entraîner une majoration de la somme due par l'usager ».
B. L'ANALYSE DE L'ADMINISTRATION FRANÇAISE : UN MÉCANISME QUI « ARRANGE TOUT LE MONDE »
L'administration française fonde l'assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle sur la notion de complément de prix , liée à la base d'imposition à la TVA, définie au 1. de l'article 266 du code général des impôts : « la base d'imposition est constituée : a) pour les livraisons de biens, les prestations de services et les acquisitions intracommunautaires, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ». Ces dispositions reprennent d'ailleurs celles du a) du 1. du A de l'article 11 de la « sixième directive » TVA.
Le produit de la TVA sur la redevance audiovisuelle est ainsi assimilé par l'administration française à une subvention directement liée au prix.
A cet égard, elle entraîne des conséquences en termes de droits à déduction. Acquittée par les sociétés du secteur audiovisuel public, elle permet à celles-ci de bénéficier de leurs droits à déduction sur leurs achats.
La direction de la législation fiscale (DLF) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a indiqué que, si les sociétés du secteur audiovisuel public n'acquittaient plus de TVA sur la redevance, seules leurs ressources propres seraient soumises à la TVA, et leurs dépenses grevées de TVA en amont 45 ( * ) . Le mécanisme de la répercussion - c'est-à-dire de compensation - ne pourrait plus fonctionner, ce qui coûterait très cher à ces sociétés.
Rappelons toutefois deux éléments :
1°) le mécanisme de la répercussion, en l'espèce, est faussé par le fait que le produit de la redevance n'alimente pas directement le budget des sociétés du secteur audiovisuel public mais un compte d'affectation spéciale et que le produit de la TVA sur la redevance bénéficie au budget de l'Etat ;
2°) bien que la TVA sur la redevance soit acquittée par les sociétés du secteur audiovisuel public, la DLF a indiqué que « la redevance était paramétrée pour inclure la TVA », ce qui signifie qu'en réalité, c'est bien le détenteur du récepteur de télévision qui la paie, sans que cela apparaisse sur son avis d'échéance.
En fait, il semble que le fondement de ce mécanisme soit plus politique que véritablement juridique. La façon dont il contribue à assurer le financement du secteur audiovisuel public « arrange tout le monde », selon l'expression de la DLF.
Quant à la direction du développement des médias (DDM), qui fait partie des services généraux du Premier ministre, elle a reconnu la « fragilité juridique » de l'assujettissement à la TVA de la redevance. Rappelant que, à la fin de l'année 2003, la Commission européenne avait interpellé la France sur le principe même de la redevance audiovisuelle 46 ( * ) , la DDM a estimé que, dans ce contexte, il convenait de ne pas attirer l'attention des institutions communautaires sur ce point.
En outre, l'annexe H de la « sixième directive » TVA, qui dresse la liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l'objet de taux réduits de TVA, comporte 17 catégories se référant à des produits. La catégorie 7 mentionne précisément la réception de services de radiodiffusion et de télévision. La DDM a expliqué que la France, comme d'autres Etats membres tels l'Italie, l'Autriche et la Finlande, se basait sur cette disposition pour assujettir la redevance audiovisuelle à la TVA. Elle a néanmoins reconnu qu'il s'agissait bien d'une interprétation. En effet, cette rédaction semble davantage renvoyer à une conception économique de la radiodiffusion et de la télévision que signifier que les recettes procurées par la perception de la redevance puissent faire l'objet d'une imposition.
D'ailleurs, la Commission européenne, à la même époque, avait exprimé le souhait de voir cette mention retirée de l'annexe H.
L'analyse de l'administration française, qui repose sur la notion du complément de prix, semble donc contestable sur le plan juridique. En effet, la notion du complément de prix n'est pas indépendante de celle du lien direct , dégagée par la jurisprudence ( cf. infra ).
Ainsi, dans un arrêt du 14 octobre 1997 47 ( * ) , la cour administrative d'appel de Bordeaux a estimé que les subventions publiques et les participations privées versées à une association « n'ont pas été octroyées moyennant l'obligation faite à l'association d'effectuer des prestations de services individualisées au profit des parties versantes » et que, « en l'absence d'un lien direct entre les sommes ainsi perçues par l'association et les opérations réalisées par elle, ces sommes n'entraient pas dans le champ d'application » de la TVA. La cour administrative d'appel de Bordeaux a ainsi jugé que « les subventions et participations perçues ne sauraient être regardées comme des compléments de prix entrant dans la base d'imposition à la taxe telle que définie par les dispositions [...] du a) de l'article 266-1 [du code général des impôts] ».
La même cour s'est prononcée dans un sens identique, par un arrêt du 14 mars 2000 48 ( * ) . Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie soutenait que les subventions publiques versées à une association constituaient des compléments de recettes destinés à compenser le fait que ses tarifs ne couvraient pas ses charges. Le juge, au contraire, considérant que l'association « n'a souscrit, en contrepartie de l'octroi de ces subventions, aucun engagement quant aux tarifs pratiqués à l'égard des entreprises culturelles auxquelles elle s'adresse », a estimé que ces subventions n'entraient pas dans le champ d'application de la TVA. Il s'est également appuyé, dans son analyse, sur l'absence d'un lien direct entre les cotisations versées à l'association et les prestations offertes en contrepartie aux adhérents.
Au total, il apparaît que la notion de complément de prix ne saurait, à elle seule, fonder l'assujettissement à la TVA de la redevance audiovisuelle. Il paraît également nécessaire de recourir au critère du lien direct, que la jurisprudence a élaboré afin de préciser la définition du champ d'application de la TVA.
II. LA DÉFINITION JURISPRUDENTIELLE DU CHAMP D'APPLICATION DE LA TVA
La TVA est devenue un impôt essentiellement communautaire , régi, notamment, par les dispositions de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, dite « sixième directive » .
Les dispositions de cette directive, parfois très générales, ont été interprétées et complétées par la jurisprudence, en particulier celle de la Cour de justice des Communautés européennes, reprise par le Conseil d'Etat.
A. LA JURISPRUDENCE DE LA CJCE
L'article 2 de la sixième directive précitée, repris à l'article 256 du code général des impôts, dispose que « sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : 1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ; 2. les importations de biens ».
L'existence d'une contrepartie 49 ( * ) apparaît comme une condition essentielle pour déterminer le caractère onéreux d'une opération.
Toutefois, compte tenu de l'imprécision de cette notion, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a été amenée à compléter la définition du champ d'application de la TVA, en recourant au critère du lien direct , qui s'est imposé dans la jurisprudence comme une condition essentielle permettant la qualification des opérations assujetties à la TVA.
Dans son arrêt de principe du 8 mars 1988 50 ( * ) , la CJCE, saisie d'une question préjudicielle par la Chambre des Lords britannique en application de l'article 177 du Traité, a estimé que la notion de prestations de services effectuées à titre onéreux au sens de l'article 2 de la sixième directive suppose l'existence d'un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue .
En l'espèce, il s'agissait de savoir si les ressources, en l'occurrence des cotisations des entreprises du secteur, du comité tendant à la promotion et à l'amélioration de la qualité des pommes et des poires produites au Royaume-Uni devaient ou non être soumises à la TVA. La CJCE, considérant qu'en l'espèce, « il n'existe pas de relation entre le niveau des avantages que les producteurs individuels tirent des services prestés par le council et le montant des taxes obligatoires qu'ils sont obligés de payer », a répondu que « des taxes obligatoires telles que celles imposées aux producteurs ne constituent pas une contre-valeur ayant un lien direct avec les avantages qui reviennent aux producteurs individuels à raison de l'exercice de ses fonctions par le council » : « dans ces conditions, l'exercice de ces fonctions ne constitue donc pas des prestations de services effectuées à titre onéreux » au sens de l'article 2 de la sixième directive. Dès lors, les ressources du comité susmentionné ne sont pas soumises à la TVA.
B. LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT
Le Conseil d'Etat a repris, dans sa jurisprudence 51 ( * ) , les principes dégagés par la CJCE.
Il a déterminé les critères onéreux de la prestation de services, en exigeant, d'une part, l'individualisation de la prestation - le service doit être rendu directement à un bénéficiaire - et, d'autre part, la relation nécessaire ou d'équivalence approximative devant exister entre le niveau des avantages retirés par le bénéficiaire des services qui lui sont rendus et la contre-valeur qu'il verse au prestataire.
Il a ainsi reconnu l'exigence d'un double effet direct , entre la prestation et le bénéficiaire, et entre le niveau des avantages perçus par le bénéficiaire et la contrepartie versée au prestataire.
Dans un arrêt du 28 juillet 1993 52 ( * ) , la haute juridiction administrative a considéré que des taxes syndicales versées par ses membres à une association réalisant des travaux de desséchement et de défense contre la mer avaient le caractère de redevances pour service rendu : « les taxes syndicales étant établies proportionnellement à l'intérêt que trouve chaque propriétaire à l'exécution des travaux, les associations syndicales autorisées doivent être regardées, en raison du lien direct existant entre le montant de ces taxes et les opérations qu'elles réalisent, comme effectuant de façon générale des prestations de services à titre onéreux assujetties » à la TVA. L'association syndicale était dès lors en droit de majorer de la TVA les taxes syndicales mises à la charge du requérant.
III. DES INTERROGATIONS SUR LE BIEN-FONDÉ DE L'ASSUJETTISSEMENT À LA TVA DE LA REDEVANCE AUDIOVISUELLE
A. DES INTERROGATIONS ANCIENNES ET RÉCURRENTES
Comme il a été rappelé plus haut, c'est l'article 67 de la loi de finances pour 1970 qui a assujetti la redevance à la TVA.
La rédaction de cette disposition elle-même conduisait à s'interroger, puisque le produit de la redevance était soumis à la TVA, « nonobstant » le caractère parafiscal de celle-ci.
Il s'agissait, à l'époque, d'appliquer à l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) le régime fiscal de droit commun, ce qui, par rapport à la situation existante en 1969, impliquait que la redevance soit assujettie à la TVA tout en demeurant une taxe parafiscale, que l'ORTF paie l'impôt sur les sociétés, et que son versement annuel au Trésor soit supprimé.
Commentant cette modification, M. André Diligent, rapporteur spécial des crédits de l'ORTF au nom de la commission des finances du Sénat, notait alors : « le projet de loi de finances que l'on nous propose ne fait plus état, pour la première fois, de ce versement au Trésor. Mais la solution de rechange qu'il présente n'est guère plus satisfaisante pour un esprit épris de logique ». Il rappelait que l'article 10 de l'ordonnance du 4 février 1959 précitée, confirmé par le statut de l'ORTF de 1964, signifiait que « la volonté du législateur était donc bien de soustraire la redevance à toute imposition ». Et il concluait : « l'on saute ainsi d'une incohérence à une autre : faire payer la TVA sur une taxe parafiscale revient à prélever un impôt sur un impôt » 53 ( * ) .
Soulignons également que cette disposition était antérieure à l'entrée en vigueur de la sixième directive . Ce rappel permet de nuancer l'argumentation de la DLF, selon laquelle l'assujettissement à la TVA de la redevance serait rendu quasiment obligatoire par le système commun de TVA.
L'article 37 de la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 portant loi de finances pour 1991 a ramené ce taux de TVA de 5,5 % à 2,1 %, suscitant, à l'époque, une fois encore, les critiques de la commission des finances du Sénat.
Rappel de la position de la commission des finances sur l'assujettissement de la redevance audiovisuelle au taux super-réduit de TVA
Dans le rapport qu'il avait établi sur le projet de loi de finances pour 1991, M. Roger Chinaud, alors rapporteur général de la commission des finances, écrivait : « cette mesure n'a pas pour objet de diminuer le tarif de la redevance acquittée par les propriétaires d'un appareil récepteur de télévision. Elle vise seulement à augmenter le produit total des ressources affecté aux organismes du secteur public de l'audiovisuel , grâce à la diminution du prélèvement au profit des recettes du budget général 54 ( * ) ».
Cette mesure se traduisait par l'élargissement de la catégorie des produits bénéficiant d'un taux super-réduit.
Surtout, comme le notait M. Roger Chinaud, « l'application d'un taux de TVA de 2,1 % différencie particulièrement la France de ceux de ses partenaires européens qui pratiquent un système de redevance. Ou bien ceux-ci ne prélèvent pas de TVA sur la redevance (Belgique, Irlande, Pays-Bas, RFA, Royaume-Uni), ou bien ils l'assujettissent au taux normal (Danemark, Italie, Portugal) ».
A l'époque, cette mesure avait inspiré plusieurs remarques à la commission des finances :
« - la première conduit à s'interroger sur le bien-fondé du principe qui consiste à assujettir la redevance à la TVA, mécanisme qui revient en quelque sorte à asseoir un « impôt sur l'impôt » ;
« - la deuxième amène à regretter l'introduction d'un nouveau produit dans la catégorie du taux « super-réduit » de TVA, qui reste contraire aux principes d'harmonisation définis par la sixième directive européenne TVA [...] ».
Enfin, M. Roger Chinaud rappelait que, « s'agissant du taux réduit, la Commission [européenne] n'avait préconisé son application que pour les produits suivants : produits alimentaires ; produits énergétiques par le chauffage et l'éclairage ; livraisons d'eau ; produits pharmaceutiques ; livres, journaux, périodiques ; transport de personnes. La redevance pour droit d'usage d'un appareil de récepteur de télévision n'y figure pas. Lorsqu'assujettissement à la TVA il y a, il est effectivement fixé au taux normal dans les pays concernés ».
La commission des finances avait ainsi proposé de supprimer cette disposition.
Source : Sénat, rapport n° 85 (1990-1991)
B. LE STATUT JURIDIQUE DE LA REDEVANCE JUSQU'EN 2003
Sont en principe placées hors du champ d'application de la TVA les activités financées directement par des taxes fiscales ou parafiscales, étant rappelé que cette règle ne s'applique pas aux redevances pour services rendus 55 ( * ) .
Or, dès 1960, la redevance audiovisuelle a été définie par le Conseil constitutionnel, comme il a été précisé plus haut, comme une taxe parafiscale : elle ne peut être assimilée ni à un impôt ni à une rémunération pour service rendu, ce qui ne devrait pas permettre son assujettissement à la TVA.
C. UN LIEN DIRECT TRÈS TÉNU
Dans plusieurs arrêts du 1 er avril 1999 56 ( * ) , la cour administrative d'appel de Paris a eu à se prononcer sur la conformité au droit communautaire d'une taxe parafiscale et de son assujettissement à la TVA. Elle a appliqué le raisonnement juridique développé par la CJCE et le Conseil d'Etat, rappelé plus haut.
Selon ce raisonnement, il peut paraître paradoxal que la redevance audiovisuelle soit soumise à la TVA, étant donné que son caractère de prestation de service à titre onéreux n'apparaît pas évident au regard du critère de lien direct défini par le juge communautaire et par le Conseil d'Etat. En effet, peut-on affirmer que la redevance audiovisuelle correspond à une prestation de service individualisée et qu'il existe un lien direct entre son montant et les avantages dont bénéficient les contribuables à cette imposition ?
D. POURQUOI UN TAUX SUPER-RÉDUIT ?
Il convient également de s'interroger sur les raisons d'un taux de TVA « super réduit » de 2,1 % applicable à la redevance audiovisuelle .
A cet égard, la CJCE, dans un arrêt du 3 mai 2001 57 ( * ) , a jugé que la France, en instituant et en maintenant en vigueur le taux de 2,1 % pour les médicaments remboursables par la sécurité sociale (article 281 octies du code général des impôts), alors que les autres médicaments sont taxés au taux de 5,5 %, n'a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 12 de la sixième directive.
La Commission européenne estimait que la législation française soumettait deux produits semblables à des taux de TVA différents, ce qui est contraire aux principes d'uniformité de cette taxe, de neutralité fiscale inhérente au système commun de TVA et d'élimination des distorsions de concurrence.
La CJCE n'a pas fait cette analyse. S'interrogeant sur la finalité du taux réduit de TVA, elle a rejeté l'argument de la Commission pour qui le taux de 2,1 % n'a pas été institué pour des raisons d'intérêt social bien définies et en faveur du consommateur final. Le juge communautaire a ainsi estimé que « l'application d'un taux réduit de TVA sur les médicaments remboursables, d'une part, revêt de toute évidence un intérêt social dans la mesure où elle entraîne nécessairement un allégement des charges de la sécurité sociale et, d'autre part, profite au consommateur final dont elle réduit les dépenses de santé ».
Le même raisonnement pourrait-il être tenu pour l'application d'un taux de TVA de 2,1 % à la redevance audiovisuelle plutôt que du taux réduit de 5,5 %, notamment en termes d'intérêt social ?
* 40 Cette loi du 31 décembre 1948 portait fixation du budget général de l'exercice 1949 (dépenses ordinaires civiles).
* 41 Cette redevance a été supprimée par la loi de finances pour 1977.
* 42 Rappelons que l'article 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances définit les taxes parafiscales de la manière suivante : « les taxes parafiscales, perçues dans un intérêt économique ou social au profit d'une personne morale de droit public ou privé autre que l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs, sont établies par décret en Conseil d'Etat, pris sur le rapport du ministre des finances et du ministre intéressé. La perception de ces taxes au-delà du 31 décembre de l'année de leur établissement doit être autorisée chaque année par une loi de finances ».
* 43 Ce décret a été abrogé par l'article 9 du décret n° 2004-505 du 7 juin 2004 relatif aux modalités de contrôle et de recouvrement et au contentieux de la redevance audiovisuelle.
* 44 Assemblée nationale, rapport d'information n° 1019, XII ème législature, juillet 2003.
* 45 La neutralité de la TVA suppose que la TVA payée en amont ne puisse être déduite par l'assujetti que si la taxe a grevé des biens ou services ayant effectivement concouru à la réalisation d'opérations taxées en aval.
* 46 En effet, TF1 a porté plainte auprès de la Commission européenne, estimant que la redevance constituait une aide d'Etat, prohibée par le Traité. La redevance entraînerait donc une distorsion de concurrence au bénéficie des sociétés du secteur audiovisuel public, s'agissant, notamment, des recettes publicitaires.
* 47 Arrêt Ministre de l'économie et des finances c/ association des amis du festival de Rodez et du Parvis.
* 48 Arrêt Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie c/ association « Premier Acte ».
* 49 La notion de contrepartie est visée, en termes très généraux, au a) du 1. du A de l'article 11 de la sixième directive.
* 50 Arrêt Apple and Pear Development Council c/ Commissioners of Customs and Excise.
* 51 Notamment dans les arrêts Comité économique agricole des producteurs de plants de pommes de terre de la région Nord de la France et du bassin parisien, du 9 mai 1990, CODIAC, du 6 juillet 1990, et Groupement pour le développement de la coiffure, du 17 mars 1993.
* 52 Arrêt M. Bernadet.
* 53 Rapport général de M. Marcel Pellenc sur le projet de loi de finances pour 1970 n° 56, tome IV, annexe n° 37 (Sénat ; 1969-1970).
* 54 M. Roger Chinaud estimait à 247 millions de francs, soit 37,65 millions d'euros, pour 1991, le supplément de ressources dégagées pour le secteur audiovisuel, et donc la perte de recettes de TVA pour le budget général.
* 55 Le non assujettissement à la TVA de ces opérations se justifie par le mode de calcul de ces taxes, les exemptions qui s'y attachent et leur mode de recouvrement, lesquels sont incompatibles avec l'existence d'un paiement en rapport avec le service rendu.
* 56 Arrêts Comité national interprofessionnel de l'horticulture (CNIH) c/ Mme Casadei, CNIH c/ M. Jouvet, et CNIH c/ société Guigue.
* 57 Arrêt Commission des Communautés européennes c/ République française.