B. UN SYSTÈME DE SOINS À LA DÉRIVE

Dans son rapport précité, votre commission ne pouvait « croire qu'avec près de 125 milliards d'euros, on n'a plus rien de nos jours en matière d'assurance maladie ». Elle refusait ainsi solennellement d'admettre que cette somme « ne permette pas de financer durablement un panier de soins offrant aux assurés le juste soin [c'est-à-dire] , les soins nécessaires et efficaces » sans chercher l'explication des déficits dans les dysfonctionnements du système de soins lui-même.

Les éléments, figurant tant dans le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie que dans le rapport de la Caisse nationale d'assurance maladie sur l'exécution de l'ONDAM 2003, la confortent dans ce diagnostic.

1. L'assurance maladie : une machine mal réglée

Ces travaux mettent en évidence le caractère éminemment perfectible du système de santé, tant les lacunes en termes d'utilité et d'efficience des soins distribués sont grandes.

Il ne s'agit ici ni de dresser un tableau exhaustif de ces dysfonctionnements, ni de pointer du doigt tel ou tel segment du secteur médical mais, à l'appui de la démonstration, de rappeler quelques faits désormais bien établis :

- les aberrations statistiques existent . Ainsi, la dispersion des comportements des médecins en matière de prescription révèle que 5 % d'entre eux prescrivent en moyenne 45 euros de soins divers par consultation, tandis que 10 % prescrivent plus de 110 euros sans qu'aucun élément objectif, tenant notamment à l'état de santé de leur clientèle, ne parvienne à expliquer cette différence. Votre commission constate que la multiplication des plans de maîtrise comptable fut impuissante à réduire ces écarts. Or, d'après la CNAM et sous réserve d'un état sanitaire équivalent des patients, l'économie à attendre de nouveaux comportements pourrait atteindre 2,5 milliards d'euros, dont 1,2 milliard sur les seules prescriptions de médicaments ;

- la rationalisation des suivis médicaux reste balbutiante. Les thérapeutiques mal choisies, inutiles, voire dangereuses, sont connues. Les montants des indemnisations versés par l'ONIAM témoignent de l'aspect le plus dramatique des dysfonctionnements du système : celui d'une médecine qui ne respecte plus le primum non nocere . On peut citer pêle-mêle, la surconsommation en prévention primaire de médicaments hypolipémiants (permettant de lutter contre le cholestérol) ou le recours abusif aux psychotropes hypnotiques qui entraînent, avec le recours aux cures thermales prescrites hors de toute posologie établie, un surcoût de l'ordre de 250 millions d'euros et des risques accrus pour les patients ;

- le bon usage des soins est encore insuffisant , malgré le développement d'accords en la matière (Acbus). La CNAM estime que 3 milliards de dépenses pourraient être évités sans entraîner de diminution du bien-être des patients.

Le constat formulé par la CNAM est sans appel. « Ces montants représentent 15 % des prescriptions de soins ou des biens médicaux. Si ces économies pouvaient être réalisées sur trois ans, la croissance des prescriptions serait freinée de 5 % par an et celle de l'ensemble des soins de ville de près de 3 % par an » .

Il serait toutefois inexact d'affirmer que rien n'a été fait pour améliorer cette situation. L'assurance maladie a engagé plusieurs plans d'action dès 2003, visant à améliorer l'usage du médicament, à diminuer le nombre d'arrêts de travail non justifiés médicalement, à rationaliser les prescriptions d'analyses de biologie médicale et les dépenses de transport sanitaire.

Ces plans constituent une réaction légitime du gestionnaire de l'assurance maladie, au regard de l'évolution de ces différents postes de dépenses entre 2000 et 2003 (+ 6,9 % pour le médicament, + 6,5 % pour les arrêts de travail, + 10 % pour les analyses de biologie médicale, + 8,5 % pour les dépenses de transport), mais à l'évidence ils sont insuffisants.

Les 5 milliards d'économies potentielles identifiés par la CNAM, peut-être même davantage, représentent entre 30 et 50 % du déficit de l'assurance maladie en période de faible croissance, et jusqu'à 80 % du déficit non conjoncturel de la CNAM. Il s'agit bien du sujet prioritaire que les pouvoirs publics doivent traiter, et de tout l'objet de la réforme.

Cette problématique est ancienne et connue. Sa résolution constitue la seule voie permettant de rationaliser un système mal réglé, une usine à gaz que les différents plans de redressement nourrissent en carburant sans se préoccuper d'optimiser le tirage ou de réduire les dérivations suspectes.


L'inefficience du système de santé en 1993

« (...) Une explication : la variation des pratiques médicales, c'est-à-dire la façon dont les médecins recourent à des interventions chirurgicales, des technologies, des médicaments sans cesse plus performants, plus coûteux, parfois plus dangereux. Ces variations sont pour une part attribuables au poids de la routine, à l'absence de rigueur ou d'esprit critique, à l'engouement pour l'innovation, au chant des sirènes des industriels de la santé, aux exigences de certains patients désinformés par les médias. Mais elle résulte surtout de l'absence d'évaluation de ces pratiques, de leur efficacité clinique, de leur efficience économique et de leur utilité, c'est-à-dire de leur impact sur la qualité de vie du patient.

« Il y a dix ans déjà, à l'époque où les États-Unis consacraient12 % de la richesse nationale en dépenses de santé, Wennberg a montré que si tous les citoyens de ce pays étaient soignés comme ceux de la ville de Boston, cette proportion passerait à 15 %, alors que s'ils l'étaient comme ceux de la ville de New Haven, elle redescendrait à 9 %. Ces deux villes sont pourtant voisines, leurs populations sont démocratiquement et socialement comparables, de même que leur état de santé.

« Dans notre pays, si les plans successifs de sauvetage de l'assurance maladie ont échoué, c'est qu'ils ont ignoré les pratiques médicales ».

Pr. Jean-Louis Portos, médecin conseil national de la CCMSA, 6 juillet 1993, Le Figaro

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page