IV. LA MISE EN PLACE DE LA LOI ORGANIQUE DU 1ER AOÛT 2001 RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES
La mise en oeuvre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances participe du processus plus général de modernisation du ministère des affaires étrangères, mené sous l'impulsion du Comité de pilotage des réformes, présidé par le Secrétaire général, qui a rendu public son « Plan d'action stratégique » comprenant 107 propositions lors de la conférence des ambassadeurs d'août 2003.
La mise en oeuvre de la LOLF constitue une opportunité inespérée de traduire réellement dans la procédure et les outils budgétaires les ambitions françaises en matière de cohérence, de volume et d'efficacité de l'APD. En soumettant les politiques publiques à une logique de résultats, assortie d'objectifs et d'indicateurs de performance, la LOLF est un levier majeur de modernisation de l'administration, et pour ce qui concerne l'APD, un outil de meilleure coordination et d'efficacité d'une politique par définition interministérielle. La réflexion sur une mission interministérielle prend donc un relief particulier dans le cas de l'APD. Rappelons également que la culture de projet qui préside à l'aide au développement a depuis longtemps sensibilisé les opérateurs aux notions d'objectifs et d'indicateurs, tout comme elle implique une évaluation a posteriori des résultats des actions financées sur le terrain. La démarche de la LOLF est donc parfaitement cohérente avec les principes de gestion des actions de coopération , et peut se traduire rapidement par des gains concrets quant à la conduite de cette politique publique. La LOLF, par la réflexion qu'elle implique en amont sur les objectifs et les structures du ministère des affaires étrangères, représente également un vecteur d'amélioration de la lisibilité, de la transparence et de la clarté de la politique française de coopération, tant dans sa stricte présentation budgétaire - dont votre rapporteur souligne régulièrement la perfectibilité - que dans ses traductions opérationnelles.
Il apparaît malheureusement que l'application de la LOLF à la politique publique d'aide au développement connaît un mauvais départ.
A. UN PROJET LARGEMENT PERFECTIBLE AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
1. Organisation dédiée et calendrier
La mise en oeuvre de la LOLF est pilotée, sous l'autorité du Ministre et du Secrétaire général, par le Directeur général de l'administration, qui représente le ministère des affaires étrangères au Comité de pilotage interministériel.
Le ministère des affaires étrangères assure avoir fait le choix d'impliquer le plus possible les structures existantes dans la mise en oeuvre de la loi organique pour en faciliter l'appropriation. Pour assurer le travail de coordination transversale des travaux, un poste de chargé de mission auprès du Directeur des affaires budgétaires et financières a été créé en avril 2003, occupé par un conseiller des affaires étrangères. Celui-ci participe aux réunions du réseau et aux groupes de travail organisés par la Direction de la réforme budgétaire. Enfin, dans le cadre du renforcement du contrôle de gestion et de la détermination des objectifs et des indicateurs qui figureront dans les projets annuels de performance a été créée une cellule contrôle de gestion placée sous l'autorité du Directeur général de l'administration.
Le calendrier de mise en oeuvre de la réforme au ministère des affaires étrangères reprend et décline celui élaboré par la Direction de la réforme budgétaire : arbitrage sur les programmes et les missions en décembre 2003, validation des objectifs et des indicateurs au premier semestre 2004, rédaction d'un premier budget LOLF « en blanc » parallèle au budget traditionnel et des premiers projets annuels de performance pour le PLF 2005.
Le calendrier fixé par la Direction de la réforme budgétaire prévoit un arbitrage sur la nouvelle structuration budgétaire (missions, programmes et actions) à l'automne 2003 et une détermination des objectifs et des indicateurs qui seront inscrits dans les projets annuels de performance au printemps 2004.
Bien que le ministère annonce être en phase avec le calendrier fixé par la direction de la réforme budgétaire, votre rapporteur spécial estime que la traduction organisationnelle de la mise en place de la LOLF a été plutôt tardive. Le souci d'implication de l'ensemble des services et de sensibilisation du personnel aux enjeux et principes de la LOLF semble en outre insuffisant. De manière générale, les informations transmises par le ministère sur l'avancement de la LOLF sont quelque peu lapidaires, et en tout état de cause moins étoffées que celles communiquées par d'autres départements ministériels plus réduits.
2. Objectifs et indicateurs
La liste des objectifs et des indicateurs pour le ministère des affaires étrangères n'est pas encore définie , mais celui-ci a déjà entamé ce travail et mis en place les structures nécessaires. Ainsi qu'il a été précisé, une cellule « contrôle de gestion », rattachée au Directeur général de l'administration a été créée début septembre 2003. Dirigée par un cadre du secteur privé, elle est responsable de la mise en oeuvre du plan de développement du contrôle de gestion, assiste les directions dans la définition d'objectifs et d'indicateurs de résultats pour chaque programme et action et est appelée à terme, lors de l'entrée en vigueur de la LOLF, à se scinder en autant de cellules qu'il y aura de programmes afin d'assister les gestionnaires de programme dans leur rôle de gouverneurs des crédits et de responsables de la performance.
D'après le ministère, les directions doivent présenter début novembre les objectifs et indicateurs qu'elles souhaitent voir figurer pour chaque action et sous-action dans les projets annuels de performance. Un dialogue entre la cellule contrôle de gestion, la Direction des affaires budgétaires et financières et chaque direction, permettra, par un processus itératif, d'enrichir et de perfectionner progressivement les objectifs et les indicateurs proposés.
Votre rapporteur spécial n'a à ce stade pas lieu d'être très optimiste sur la qualité des indicateurs qui seront prochainement soumis, considérant le nombre potentiellement important d'indicateurs pour chacune des cinq catégories et le trop court délai prévu entre la mise en place de la cellule dédiée au contrôle de gestion et les premières propositions des directions. Il ne souhaite pas préjuger les résultats de cette démarche, mais constate que le manque de précisions sur les axes qui y président témoigne peut-être d'une réflexion inaboutie.
3. Une structuration en trois programmes peu satisfaisante
La Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2002, a consacré de longs développements à la mise en place de la LOLF et a déploré le niveau très inégal d'appropriation de la réforme par les ministères. Le ministère des affaires étrangères ne figure pas parmi les plus avancés, mais est néanmoins parvenu à concevoir un projet de nouvelle architecture budgétaire, comportant trois programmes 70 ( * ) :
- un programme « rayonnement et influence de la France », qui comprendrait les crédits de l'action diplomatique (directions géographiques, contributions internationales, FED, action humanitaire et de maintien de la paix, coopération de défense) ;
- un programme « coopération et action culturelle », qui regrouperait la majorité des crédits de coopération, d'action culturelle et d'action audiovisuelle extérieure ;
- un programme « réseaux et services publics à l'étranger », où seraient regroupés les crédits des activités consulaires et de gestion du ministère, ainsi que les crédits des postes et des services extérieurs.
Il ne serait donc pas prévu de « programme support », dont la mise en place est parfois recommandée par la Direction du budget, maître d'oeuvre de la LOLF. Votre rapporteur considère cependant que le principe d'une « fonction support », s'il apparaît légitimé par le fait qu'il serait complexe et artificiel de chercher à tout prix à ventiler dans des actions les rémunérations et charges de fonctionnement afférentes à certaines fonctions par nature polyvalentes (tels que celles ayant trait aux ressources humaines, à l'administration générale ou aux missions transversales), ne doit néanmoins pas devenir un « alibi » pour y loger des fonctions plus spécialisées. Le risque de ces fonctions support est en effet que la mise en place de la LOLF procède d'une démarche inversée : cette loi doit constituer un levier de modernisation de l'administration et inciter les ministères à réformer leur organisation interne, c'est-à-dire à remodeler leur directions selon les actions qu'ils auront identifiées, et non pas à figer l'existant pour en déduire une nomenclature budgétaire. En d'autres termes, c'est la réforme budgétaire qui doit impliquer la recherche de cohérence et de spécialisation des fonctions, et non la structure existante qui imprime son architecture aux actions et programmes.
Votre rapporteur spécial se félicite qu'un programme soit dédié à la coopération, qui fait en effet partie intégrante de la vocation de ce ministère. Il considère néanmoins que ce projet d'architecture globale est largement perfectible et peut faire l'objet de deux principales critiques :
- le programme de coopération ne rassemble pas l'essentiel des crédits d'APD au sens du CAD , puisqu'il ne représente que 56 % des crédits que le ministère consacre à l'APD. Le programme « rayonnement et influence de la France » est constitué quasiment pour moitié de crédits d'APD, essentiellement par l'action relative aux financements multilatéraux, manifestement trop volumineuse puisqu'elle représente près du quart du budget du ministère. Le troisième programme inclut également des crédits d'APD, tels que ceux afférents au cabinet du ministre délégué à la coopération ou une partie de la dotation de l'AEFE. A contrario , le programme de coopération comporte trois actions, soit près de 30 % de son volume budgétaire prévisionnel, qui ne font partie du périmètre de l'APD. Si votre rapporteur conçoit que l'ensemble des crédits d'APD ne puissent être logés dans le programme de coopération, et qu'inversement la nature de la coopération (qui recouvre un champ géographique plus large que celui de l'APD) implique d'y inclure des crédits non comptabilisés dans l'APD , il demeure que cette architecture ne contribue pas à accroître la lisibilité et la cohérence de la nomenclature budgétaire et n'est pas suffisamment conforme à l'esprit de la LOLF. On en vient ainsi à se demander si ces trois programmes constituent vraiment un progrès par rapport aux trois agrégats 71 ( * ) actuellement retenus dans le « bleu », une nouvelle dispersion succédant à l'actuelle , et si la réflexion sur la LOLF n'a pas davantage constitué en des changements d'intitulés et des transferts entre chapitres ;
- les actions du programme de coopération sont déséquilibrées : l'action « lutter pour le développement et l'éradication de la pauvreté » - dont l'intitulé pourrait somme toute être celui du programme lui-même et dont la configuration budgétaire rappelle fortement celle du chapitre « fourre-tout » qu'est le 42-15 « coopération internationale et développement » (à la différence notable que cette action est exclusivement dédiée à l'APD) - représente près de 40 % de la masse budgétaire du programme. Les actions « coordination de la coopération administration centrale » du programme de coopération et « une organisation performante pour une diplomatie en action 72 ( * ) » (dont le libellé sonne un peu creux) du troisième programme ont également toutes les caractéristiques de fonctions support et pourraient donc être fusionnées.
Structure « LOLF » envisagée pour le ministère des affaires étrangères - Simulation sur les crédits 2003 (en millions d'euros) |
|||
Programme |
Actions |
Crédits gérés |
Dont crédits d'APD au sens du CAD |
Rayonnement et influence de la France |
1. Coordonner l'action diplomatique et politique de la France |
28,6 |
|
2. Partager, communiquer, convaincre |
9,2 |
|
|
3. Réguler la mondialisation à travers les instances multilatérales |
953,6 |
598,9 |
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4. Veiller à la sécurité internationale |
231,9 |
5,1 |
|
5. Développer la coopération militaire et de défense |
101,4 |
|
|
Sous-total |
1.324,8 |
604 |
|
Part du total |
32,6 % |
32,2 % |
|
Coopération et action culturelle |
6. Coordination de la coopération administration centrale |
15,9 |
|
7. Promouvoir l'usage du français et la diversité culturelle |
226,5 |
|
|
8. Renforcer les échanges scientifiques et universitaires |
53,9 |
|
|
9. Coopération non gouvernementale |
52,3 |
52,3 |
|
10. Permettre l'accès des pays en développement à la diversité culturelle |
213,3 |
213,3 |
|
11. Favoriser le développement par la coopération universitaire et technique |
140,7 |
140,7 |
|
12. Lutter pour le développement et l'éradication de la pauvreté |
525,4 |
525,4 |
|
13. Participer aux débats sur les enjeux globaux et participer aux dispositifs multilatéraux d'APD |
77,8 |
77,8 |
|
14. Protéger les populations touchées par les crises |
44,9 |
44,9 |
|
Sous-total |
1.350,7 |
1.054,4 |
|
Part du total |
33,2 % |
56,3 % |
|
Réseau et services publics à l'étranger |
15. Anticiper et piloter l'action européenne et extérieure de la France |
36,2 |
4,1 |
16. Animer des ambassades ouvertes et pluridisciplinaires |
561,5 |
108,5 |
|
17. Garantir aux Français de l'étranger un service public de qualité |
141,5 |
|
|
18. Service public d'enseignement scolaire à l'étranger |
351,6 |
102 |
|
19. Maîtriser les flux migratoires |
72,8 |
|
|
20. Une organisation performante pour une diplomatie en action |
232,3 |
|
|
Sous-total |
1.395,9 |
214,6 |
|
Part du total |
34,3 % |
11,5 % |
|
TOTAL |
4.071,4 |
1.873 |
|
Source : ministère des affaires étrangères |
4. Mise en place du progiciel ACCORD
Le ministère des affaires étrangères fait partie de la dernière vague de mise en place du progiciel ACCORD, prévue pour un démarrage en 2004. Le service à compétence nationale ACCORD a décidé début 2003 de mettre en route une version 1 bis du progiciel, offrant un environnement technique de type intranet. Cette version est en cours de développement, et le démarrage se fera au mieux le 1 er avril 2004. Cette version permettrait d'expérimenter de manière étendue l'organisation budgétaire envisagée dans le nouveau cadre de la LOLF dès 2005.
L'appel d'offres portant sur le raccordement à ACCORD 2 n'est pas encore défini, mais le périmètre fonctionnel du projet ACCORD 2 recouvre en partie ceux des nouveaux logiciels en cours de déploiement à l'étranger (COREGE pour la gestion et la comptabilité des ordonnateurs secondaires et ambassadeurs, ASTER pour les trésoriers et comptables publics). Le ministère paraît redouter la mise en place d'ACCORD 2 , et souligne que le logiciel COREGE, outil de la réforme comptable lancée en 1997, permet déjà un mode de gestion intégré dans les postes à l'étranger, pour les crédits de tous les ministères, et offre des capacités de gestion allant au delà du périmètre de ACCORD 2. Il s'agit également du seul logiciel capable d'assurer l'expérimentation du budget-pays. Le déploiement de ACCORD 2 pour les utilisateurs à l'étranger se heurterait aux mêmes difficultés que COREGE : particularités du Fonds se solidarité prioritaire et de la gestion comptable à l'étranger, lenteur des formations d'utilisateurs répartis à la surface du globe, coût et fiabilité discutable des liaisons réseaux de données entre la France et environ un tiers des pays dans le monde.
* 70 Alors qu'aux termes de la LOLF, les programmes doivent découler des missions , on constate que c'est l'inverse qui se produit, ce qui montre bien l'impossibilité culturelle des ministres et de leurs services à concevoir quelques grandes actions globales d'où découlent une série de détails d'application constituant les programmes. La LOLF est-elle viable si on met « la charrue avant les boeufs », pour ne pas aller jusqu'à dire si on la construit « cul par-dessus tête ». La réponse à ces questions simples et logiques ne tardera guère !
* 71 Personnel, moyens et équipement des services ; éducation et solidarité ; coopération et interventions internationales.
* 72 Qui regroupe la gestion des ressources humaines, la formation professionnelle, les affaires budgétaires et financières, l'immobilier, les archives, le réseau de communication et le service intérieur.