N° 304
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 mai 2003 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité ,
Par M. Bernard SEILLIER,
Sénateur.
Tome I : Exposé général et Commentaire des articles |
(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, André Geoffroy, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Yves Krattinger, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mmes Valérie Létard, Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.
Voir les numéros :
Sénat : 282 et 305 (2002-2003)
Action sociale et souveraineté nationale. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
« Ce projet est animé par la volonté de conjuguer la solidarité collective et la responsabilité individuelle. Il est fondé sur la valorisation du travail. Il mise sur la proximité de gestion ». 1 ( * )
Les analyses et les propositions que votre rapporteur a l'honneur de présenter entendent confirmer jusqu'à la plénitude de sa logique, dans toute sa cohérence, cette philosophie exprimée dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Conjuguer d'abord la solidarité collective et la responsabilité individuelle. L'instauration du RMI en 1988 reposait déjà sur cette conjugaison concrétisée dans la signature d'un contrat d'insertion. Autrement dit, la solidarité collective ne se bornait pas à instaurer une allocation de solidarité, mais entendait inscrire la démarche dans un échange de volontés, celle du bénéficiaire faisant effort pour s'affranchir de la bouée de sauvetage par une autonomie retrouvée, et celle de la communauté nationale appuyant l'assistance financière sur un accompagnement personnalisé et une offre d'insertion avec une double dimension : sociale et professionnelle.
Cette démarche d'insertion n'est que la traduction des principes constitutionnels solennellement affirmés dans le Préambule de 1958 reprenant celui de 1946, appuyés eux-mêmes sur la Déclaration de 1789 :
« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. (...)
« Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »
Il est impossible d'isoler dans ce texte solennel, pour la traiter à part, une seule des trois composantes de la cohésion sociale qui y est magistralement exprimée. Il est essentiel de respecter le jeu de cette dynamique existentielle, véritable clef d'une juste réciprocité entre responsabilité personnelle et responsabilité de la société dans son ensemble.
Le devoir de travailler peut, d'un côté, être rappelé à tout un chacun, quelle que soit sa condition, comme exigence de sa dignité personnelle et exigence de sa participation à la construction de la société, indispensable pour son épanouissement et le développement de la collectivité .
Mais la rigueur de l'exigence doit aussi être proportionnée à la capacité de la collectivité publique à satisfaire son obligation de fournir un emploi à qui le demande.
On comprend donc aisément que cette dialectique des devoirs réciproques entre la personne et la collectivité publique ne saurait être mise en jeu d'une manière mécanique. Si les obligations de ce type atteignent dans leur énoncé même la plénitude de leur puissance, c'est qu'elle est essentiellement d'ordre moral. Mais il en va différemment sur le plan pratique.
L'existence d'un nombre important d'offres d'emploi non satisfaites, et d'un nombre encore plus vaste de demandes d'emploi non satisfaites, prouve à l'évidence que l'ajustement entre ceux qui sont disposés à travailler et ceux qui cherchent à recruter n'est pas automatique.
Que dire au surplus de ceux qui sont dans une situation de particulière faiblesse pour faire valoir leurs qualités au coeur de cette confrontation des offres et des demandes de travail.
On se doit donc d'être encore plus attentif à la situation de ceux qui bénéficient de minima sociaux pour vivre, singulièrement du RMI, et qui sont invités à fournir la preuve de leur volonté de travailler avec une rigueur plus importante que celle qui est demandée à ceux qui ont la chance d'être titulaires d'un contrat de travail ou le privilège de bénéficier d'un statut protecteur.
Il faut, avant de commencer à considérer ce lancinant problème de l'insertion des allocataires du RMI, ne pas oublier cette caractéristique sociologique universelle qui veut que plus la situation d'une personne est précaire, plus l'exigence de la société à son égard risque d'être forte. Inversement, plus la position sociale est assurée, plus elle a de chances de bénéficier d'un crédit indiscuté et peu soumis à évaluation quant à sa légitimité.
Face à ce devoir, l'obligation qui pèse sur la collectivité de fournir un emploi, réclame également une lucidité attentive pour ne pas verser dans l'idéalisme. L'expérience des ateliers nationaux n'est plus d'actualité. Mais les recrutements imprévoyants sont une menace pour les collectivités publiques nationale ou locales. Sensés satisfaire cette obligation de fournir un emploi, ils conduisent facilement vers des difficultés économiques ruineuses à terme, en matière d'emplois.
Ces considérations ne visent pas à renoncer par avance à maintenir cette exigence de travail qui concerne le bénéficiaire d'un revenu minimum d'insertion. Elles entendent seulement rappeler qu'il ne s'agit pas, comme on pourrait être tenté de le croire, d'une contrepartie de l'allocation mais d'une exigence constitutionnelle attachée à la dignité humaine. La nuance est importante car devoir de travailler, droit d'obtenir un emploi, et droit de recevoir de la collectivité des moyens convenables d'existence en cas d'incapacité à travailler, sont trois facettes des droits de l'Homme et du Citoyen, trois facettes d'un même prisme qui est celui de la dignité humaine et de la cohésion sociale.
Il en résulte que le constat de carence dressé par tous à propos des contrats d'insertion associés à l'attribution du RMI, ne saurait conduire à des propositions simplistes stigmatisant unilatéralement les allocataires, sans mettre en cause la responsabilité des cocontractants des contrats d'insertion.
Pire serait encore la tentation d'introduire des formes de contrats d'insertion de type léonin, conduisant à de véritables pièges d'exclusion durable pour la personne en difficulté, à la place d'un espoir authentique d'insertion, tandis que le cocontractant s'exonérerait à bon compte et de manière purement formelle de l'obligation de conduire à l'emploi qui pèse sur lui par mandat de la société.
Contre de telles dérives clairement écartées dès la législation créatrice du RMI et encore plus à l'occasion de la loi d'orientation du 27 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, les explications avaient été clairement fournies.
Votre rapporteur se plaît ici à rappeler les propos du rapporteur au Sénat du projet de loi portant création du RMI en 1988, son ami Pierre Louvot, dont il salue la mémoire avec une grande émotion :
« Il s'agit à terme, non point d'adoucir un malheur répandu, au risque de s'en accommoder, mais bien d'extirper patiemment et inlassablement les racines qui l'établissent et l'entretiennent.
« Il y faut avec le temps, l'engagement d'une société univoque, mais aussi celui des personnes qui sont en situation d'exclus. Elles doivent être reconnues dans la dignité, avec respect et considération, comme partenaires. Un tel partenariat est la condition même d'un progrès sur un long chemin. Car il ne s'agit pas seulement de reconnaître un droit. Encore faut-il qu'il traduise une volonté d'être et d'agir, de la part des personnes et des familles concernées par cet engagement fondamental qui conduit progressivement d'un droit révélé à une responsabilité vécue. Tel doit être l'objectif du RMI.
« Aussi bien, l'insertion ne saurait être la « contrepartie » d'un minimum de sauvegarde et de survie, mais l'expression même d'une dignité au bout du compte assumée en termes de droits et de devoirs. » 2 ( * )
Cette approche est toujours valable.
Elle a été vigoureusement rappelée en 1998, lors de l'examen de la loi de lutte contre l'exclusion. Outre la promotion de cette lutte au rang d'obligation nationale, toute l'ingénierie attachée au concept de parcours d'insertion a été précisée.
Il y a lieu d'y rester fidèle car elle est caractéristique d'une méthode universelle, qu'on observe aussi bien dans une pépinière d'entreprise que dans une démarche de lutte contre l'exclusion. Il s'agit de tirer toutes les conclusions des pratiques fructueuses expérimentées chaque fois qu'un objectif à atteindre ne peut l'être qu'avec du temps, une consolidation de la personnalité des intéressés, et un effort collectif d'accueil et d'accompagnement.
Car, qu'est-ce en définitive que l'insertion, si ce n'est la construction d'un réseau de relations source de revenus, de liens d'amitié, et d'échange ?
C'est cette ligne directrice qui inspire l'approche adoptée par votre commission dans l'examen de ce projet de loi qui doit constituer, dans une situation économique fragile, un nouvel espoir d'élargissement de l'offre d'insertion grâce à une mobilisation générale conjuguant coordination des acteurs, compétence territoriale de proximité, et accompagnement personnalisé.
I. QUINZE ANS APRÈS SA CRÉATION, LE RMI SEMBLE DANS L'IMPASSE
A. LE PARI DU RMI : UN ENGAGEMENT RÉCIPROQUE ENTRE LA COLLECTIVITÉ ET LE BÉNÉFICIAIRE
1. Un double objectif de lutte contre la pauvreté et de lutte contre l'exclusion
Lors de sa création, en 1988, le RMI devait représenter une rupture par rapport à la logique traditionnelle de l'assistance , en luttant, dans un même effort, contre la pauvreté d'une part, et contre l'exclusion sociale et professionnelle d'une frange croissante de la population d'autre part. Ce qui explique le large consensus qui a prévalu lors de son adoption, c'est bien le fragile équilibre que tentait d'instaurer le RMI entre deux principes constitutionnels : le droit à un minimum de ressources et le devoir de travailler.
La loi n° 88-1088 du 1 er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion a donc assigné deux objectifs au RMI :
- apporter une solution à la grande pauvreté en garantissant aux personnes les plus démunies un minimum de ressources et l'accès aux droits sociaux que sont la santé et le logement : à cet effet, la prise en charge par le département des cotisations d'assurance personnelle à l'assurance maladie est rendue obligatoire pour les bénéficiaires du RMI et l'accès aux aides au logement leur est facilité ;
- demander au bénéficiaire d'entrer dans une démarche d'insertion , dans laquelle la collectivité s'engage à l'accompagner, à travers un dispositif d'insertion mis en place à cet effet.
Contrairement à une logique de « workfare », où le droit à l'allocation lui-même est conditionné par la participation du bénéficiaire à une activité d'intérêt général, le droit au RMI est accordé dans le cadre d'un engagement réciproque : un engagement à proposer une offre d'insertion suffisante de la part de la collectivité, un engagement à agir de la part du bénéficiaire.
Cette philosophie originelle du RMI apparaît de manière très claire dans le rapport 3 ( * ) de notre ancien collègue, M. Pierre Louvot, sur le projet de loi relatif au RMI : « l'insertion ne saurait être la « contrepartie » d'un minimum de sauvegarde et de survie, mais l'expression même d'une dignité au bout du compte assumée en termes de droits et de devoirs ».
* 1 Exposé des motifs du projet de loi.
* 2 Rapport n° 57 présenté par M. Pierre Louvot au nom de la commission des Affaires sociales, première session ordinaire de 1988-1989.
* 3 Rapport n° 57 (1988 - 1989) de M. Pierre Louvot, sénateur, au nom de la commission des Affaires sociales.