II. LE PROJET DE LOI

Le contenu du projet de loi déposé à l'Assemblée nationale est très largement charpenté autour des propositions formulées par le Conseil d'Etat dont l'un des aspects de la mission consistait précisément à proposer des rédactions susceptibles de constituer un pré-projet de loi.

Pour l'essentiel donc, le projet de loi initial consacre les propositions d'amélioration et d'ouverture formulées par cette institution, non sans tenir compte, par ailleurs, de l'évaluation réalisée par l'OPECST.

L'Assemblée nationale n'a pas bouleversé les grandes lignes de ce projet mais a néanmoins pris un certain nombre d'initiatives. Certaines des modifications qu'elle a introduites posent toutefois de sérieuses difficultés, tantôt de forme, tantôt de fond, tantôt pour ces deux raisons cumulées et contribuent à ce qu' in fine , elles apparaissent à certains égards aventureuses.

A. LE CONTENU DU PROJET DE LOI INITIAL : LA CONSÉCRATION DES RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES

Le projet de loi, préalablement à son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, a fait l'objet d'un examen par le Conseil d'Etat et par deux organes particulièrement qualifiés en matière d'éthique : le Comité consultatif national d'éthique et la Commission nationale consultative des droits de l'Homme .

Ces institutions ont rendu des avis motivés sur le projet de loi qui leur était soumis, le 18 janvier 2001 pour le comité consultatif national d'éthique et le 25 janvier 2001, pour la Commission nationale consultative des droits de l'Homme.

Reprenant un grand nombre des propositions formulées par le Conseil d'Etat dans son étude de 1999 ainsi que des divers rapports de l'OPECST, le projet de loi déposé s'articule autour de cinq titres : quatre thématiques et un consacré aux mesures transitoires. Sont abordés successivement les droits des personnes et les caractéristiques génétiques , le don et l'utilisation des éléments et produits du corps humain , les produits de santé , et enfin, la procréation et l'embryologie .

1. Sécuriser le régime juridique des examens et identifications génétiques

Le principe de non-discrimination en raison des caractéristiques génétiques est réaffirmé par l'article premier du texte.

Ce principe figure dans la plupart des textes internationaux consacrés à ce sujet, la Convention d'Oviedo , la déclaration universelle sur le génome humain ainsi que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne .

Conscient des dérives pouvant potentiellement apparaître dans le domaine de l'emploi ou de l'assurance, du fait d'un accès plus aisé aux caractéristiques génétiques des personnes, le Gouvernement a prévu d'inscrire ce principe de non-discrimination au sein des codes civil, pénal et du code du travail.

Le projet de loi prévoit, par ailleurs, d'harmoniser les terminologies relatives à « l'examen des caractéristiques génétiques », cette dernière formule, qui figure déjà au sein du code de la santé publique, étant substituée à la notion d'étude génétique inscrite dans les codes civil et pénal.

Il est en outre précisé le régime de consentement des personnes à la réalisation d'une identification par empreinte génétique au cours d'une procédure civile d'établissement de filiation. Lorsque la personne est vivante, le consentement préalable et exprès à l'identification est requis alors qu'au contraire il est présumé dans le cas de l'identification post mortem . Il faut en effet que la personne ait fait connaître, de son vivant, son opposition à un tel examen pour que ce dernier ne puisse être réalisé après son décès.

2. Conforter et préciser les principes régissant les dons et utilisations des éléments du corps humain

Les principes généraux régissant les dons et utilisations d'éléments du corps humain ne sont pas fondamentalement modifiés par le projet de loi mais sont toutefois précisés sur quatre points :

- leur champ d'application est étendu aux activités d'exportation et d'importation, ce qui n'était jusque-là pas le cas ;

- la présomption du consentement est généralisée, qu'il s'agisse de la réutilisation, à des fins scientifiques ou diagnostiques, de produits ou tissus prélevés à des fins thérapeutiques, ou des autopsies médicales. Toutefois, dans les deux cas, le principe d'une faculté d'opposition est conservé selon des modalités différentes ;

- les règles de sécurité sanitaire sont renforcées. Les manipulations effectuées sur des éléments du corps humain, lorsqu'elles entrent dans une finalité thérapeutique, seront soumises à ces règles, et feront notamment l'objet d'un dépistage du risque de transmission des pathologies infectieuses. Les produits thérapeutiques annexes sont, pour leur part, soumis à la biovigilance exercée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ;

- l'introduction du principe préconisé par le Conseil d'Etat de la « balance risque-gain » 28 ( * ) en matière d'utilisation des produits du corps humain à des fins thérapeutiques.

Plusieurs articles prévoient en outre, dans le détail, les dispositions relatives au prélèvement et à l'utilisation des organes, du sang, et des autres tissus issus du corps humain.

Concernant les dons d'organes, le projet de loi commence par élargir considérablement le cercle des donneurs vivants en prévoyant que, par dérogation, des personnes ayant des liens étroits et stables avec le receveur puissent procéder à un don.

Une telle extension justifie à elle seule que les règles entourant l'expression du consentement soient renforcées : comme dans le droit existant, le consentement est exprimé au Tribunal de grande instance, non sans que le donneur n'ait au préalable reçu une information relative aux risques et conséquences du prélèvement. Le projet prévoit, en outre, le recours à un comité d'experts qui délivre une autorisation dans le cas du don dérogatoire, c'est-à-dire entre personnes n'étant pas de la même famille. Sauf sur l'initiative du magistrat précité, l'autorisation de ce comité n'est toutefois pas nécessaire dans le don intra-familial.

Quelle que soit la finalité du don scientifique ou thérapeutique, le consentement présumé est généralisé dans le cadre du prélèvement post mortem . Si le sujet décédé n'a pas exprimé, par tout moyen, son opposition au prélèvement -et le médecin doit, le cas échéant, recueillir le témoignage des proches- ce prélèvement est donc la règle. Cette présomption ne s'applique toutefois pas pour les personnes sous tutelle. Cette réaffirmation de la présomption est la contrepartie d'une amélioration de l'information à destination du public.

Afin de renforcer le contexte de protection entourant l'utilisation du corps humain, il est prévu que tout prélèvement fasse préalablement l'objet d'une information de l'Etablissement français des greffes (EFG), et que toute recherche scientifique fasse l'objet d'un protocole préalablement transmis à ce dernier.

Le projet de loi assouplit les règles relatives au prélèvement de sang sur mineurs. Les deux conditions, aujourd'hui cumulatives, -compatibilité cellulaire et urgence thérapeutique- deviennent alternatives. Sont en outre autorisés les prélèvements à des fins de recherche sous la protection des dispositions relatives à la recherche biomédicale sur personnes mineures. En outre, le projet de loi complète et précise la liste des produits dérivés du sang ainsi que le régime des importations et exportations de ces produits.

Il est enfin rappelé que le prélèvement ou la collecte des cellules, tissus et produits du corps humain ne peuvent être effectués qu'à des fins scientifiques ou thérapeutiques. Le régime du consentement du premier cas (scientifique) n'est guère détaillé tandis que le second cas (thérapeutique) prévoit une règle de principe et plusieurs exceptions.

Cette règle est que le consentement est formulé par écrit, après information complète et détaillée sur la finalité et les conséquences du prélèvement.

Toutefois, lorsque le don d'organes est effectué par un mineur ou une personne protégée apte à consentir, le consentement doit être formulé devant un magistrat et, parfois, un comité d'experts.

La règle du consentement présumé prévaut également pour le prélèvement ou la collecte post mortem .

Enfin, les règles régissant l'utilisation de ces tissus sont revues et simplifiées. La distinction entre thérapie cellulaire et autre utilisation est supprimée. Les produits cellulaires thérapeutiques relèvent, à présent, soit de la pharmacie -et sont régis par les dispositions relatives aux médicaments humains-, soit de la catégorie des préparations de thérapie cellulaire. Les établissements autorisés à travailler sur ces produits sont étendus à des établissements à caractère lucratif, sous réserve de l'autorisation de l'AFSSAPS après avis de l'EFG.

3. Elargir l'accès de l'assistance médicale à la procréation

Sans être modifiés en profondeur, les principes généraux de l'assistance médicale à la procréation (AMP) sont précisés sur divers points. La stimulation ovarienne, lorsqu'elle est réalisée dans le cadre d'une AMP, est incluse dans cette dernière et bénéficie, de ce fait, des dispositions légales afférentes.

Le projet de loi propose, en outre, d'inscrire dans la loi un certain nombre de pratiques ayant fait l'objet de tolérance, voire de dispositions infra-législatives : il s'agit essentiellement de l'élargissement de l'indication d'AMP aux couples sous le risque d'une infection par une maladie grave -notamment le VIH- ainsi que le recueil et la conservation de gamètes à titre conservatoire pour des personnes, même mineures, bénéficiant d'un traitement médical potentiellement attentatoire à leur fertilité.

Enfin, le projet de loi rappelle que la dissolution du couple fait obstacle au transfert de l'embryon ainsi qu'à l'insémination. La porte du transfert post mortem d'embryon n'est donc pas ouverte.

La fécondation in vitro est mise en oeuvre dans le cadre d'un « projet parental », qui se substitue, en partie, à l'ancienne expression « demande parentale ». Le projet de loi prévoit deux séries de mesures restrictives à la manipulation des embryons conçus in vitro . D'une part, ses déplacements sont réglementés par un régime d'autorisation préalable assorti de dispositions pénales pour les contrevenants. D'autre part, il est prévu que, pour pouvoir procéder à une nouvelle tentative de fécondation in vitro, les couples doivent d'abord utiliser la totalité des embryons congelés disponibles.

Les conditions de recours à un tiers donneur sont, pour leur part, considérablement élargies puisque le couple peut lui-même, en renonçant simplement à l'AMP au sein du couple, obtenir le bénéfice du tiers donneur. Sont également inscrites, dans le texte du projet de loi, des mesures destinées à améliorer l'approvisionnement des banques de gamètes : le donneur devra seulement « avoir procréé » et non plus « être en couple », et il serait en outre possible de doubler le nombre de naissances par donneur, en passant de cinq à dix enfants chacun.

Le sort de l'embryon conçu in vitro repose sur le projet parental. Tant que celui-ci est maintenu, la conservation de l'embryon est assurée dans les conditions habituelles de l'AMP. Lorsque le projet parental prend fin, les embryons n'ayant plus d'objet peuvent se trouver, selon la volonté du couple, soit accueillis par un autre couple, soit faire l'objet de recherches scientifiques ou voir leur conservation arrêtée. Au bout de cinq années, dans tous les cas de figure, cette conservation n'est plus assurée.

4. Ouvrir la recherche sur l'embryon

Le projet interdit explicitement, tant dans le code civil que dans le code pénal, le clonage humain reproductif, mais ne proscrit pas explicitement le clonage humain thérapeutique. En effet, l'autorisation de cette pratique figurait dans l'avant-projet de loi mais, à l'invitation du Conseil d'Etat, le précédent gouvernement l'aurait retirée. Dans le présent texte ne figurent désormais ni autorisation ni interdiction du clonage thérapeutique.

Les recherches scientifiques sont autorisées sur les seuls embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental et pour lesquels les couples ont consenti à ce que de telles recherches soient menées. Ces dernières doivent faire l'objet d'un protocole autorisé par le ministre de la santé après avis d'une nouvelle Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine (APEGH).

En effet, le projet de loi prévoit le remplacement de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP) par une Agence de la procréation de l'embryologie et de la génétique humaine (APEGH). Cette dernière devrait à la fois renforcer le contrôle sur les activités de recherche, que le projet de loi propose d'élargir, ainsi que rassembler diverses personnalités -médecins, chercheurs etc.- en vue d'effectuer une veille scientifique et de formuler des propositions aux pouvoirs publics dans les domaines de sa compétence. Cette Agence est dotée d'un Haut Conseil à la composition pluridisciplinaire qui peut saisir le Comité consultatif national d'éthique et établit un rapport annuel rendu public et transmis au Gouvernement et au Parlement.

Le projet de loi prévoit, en outre, que des recherches puissent être menées sur les tissus ou cellules issus d'une interruption de grossesse, embryon ou foetus sous la réserve d'un nihil obstat de la femme ayant subi cette interruption. Ces recherches, sauf lorsqu'elles sont menées afin de découvrir la cause de l'interruption de la grossesse, doivent toutefois faire l'objet d'un protocole transmis à l'APEGH.

* 28 Cf. Examen des articles, article 5.

Page mise à jour le

Partager cette page