2. L'entretien : des charges de plus en plus lourdes, des arbitrages difficiles pour les matériels vieillissants
Par suite de l'insuffisance des crédits du titre V qui ont été amputés chaque année pendant la précédente loi de programmation militaire d'environ 2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale, le matériel de nos armées a tragiquement vieilli .
Les frégates actuellement en service ont vingt ans d'âge, les chars, de la génération antérieure aux Leclerc, ont un âge moyen de 25 ans ; quant aux C160 Transall, ils ont trente ans d'âge.
Un certain nombre de rapports parlementaires ont souligné le triste état de certains équipements et les conséquences qui en résultent du point de vue de la disponibilité de nos forces armées.
Le sacrifice d'une année de titre V au cours de la précédente loi de programmation s'est accompagné d'une série de dérives structurelles qui rendent plus difficile, voire presque impossible, une gestion rationnelle des équipements.
Le phénomène le plus spectaculaire est sans doute le manque de pièces détachées , qui immobilise des pourcentages, parfois très importants, des parcs de matériels, étant noté que, depuis le milieu des années 90, l'on ne cherche plus à assurer une disponibilité technique opérationnelle de 100 %, mais seulement de 80 % pour les matériels terrestres et de 80 % pour les matériels aériens.
Pour illustrer ces difficultés, on se contentera de citer les cas des chars Leclerc et des hélicoptères Gazelle. Tandis que le taux de disponibilité opérationnelle des premiers a pu descendre jusqu'à 35 % en 2001 avant de remonter fortement cette année, les seconds ont été cloués au sol à la suite d'un accident dû à une pièce du rotor, pour laquelle aucun rechange n'était disponible. Le sous-traitant anglais de la pièce ayant cessé de la produire, il a fallu trouver les moyens de relancer la fabrication, ce qui ne pouvait être que long et coûteux.
L'usure des matériels trop intensément sollicités -lorsqu'ils marchent- pour permettre à la France d'être présente sur tous les théâtres d'opération, est une manifestation moins visible mais non moins dangereuse, car porteuse, à terme, de « ruptures capacitaires ».
Le cas des C 160 Transall est l'exemple même de ces matériels à bout de souffle, à force d'être mis à contribution de façon quasi ininterrompue. Or, il faudra bien commencer à les retirer du service à partir de 2005, même si le gros porteur destiné à les remplacer ne sera pas disponible, ou du moins pas disponible en quantité suffisante, pour faire face aux besoins.
Le taux de disponibilité opérationnelle de ces appareils, qui approchait les 70% en 1997, tourne aujourd'hui autour de 55%, alors même que les coûts de maintenance ont augmenté en 5 ans de près de 50%, pour atteindre 180 M € par an.
A l'usure prématurée, correspondent des durées d'immobilisation de plus en plus importantes . Tel est le cas, en particulier, des bâtiments de la flotte, dont la disponibilité, en moyenne de 50 %, pâtit de la durée et du nombre des IPER -indisponibilités périodiques d'entretien et de réparation.
Le fonctionnement du service des pièces de rechange, dont la DCN avait jusque là la charge s'étant révélé défectueux, la marine a été amenée à en assurer elle-même la maîtrise à travers le Service du soutien de la Flotte (SSF) créé à cet effet en juin 2000 1 ( * ) .
Mais les effets indirects les plus négatifs à moyen terme consécutifs aux restrictions de crédits d'équipements, qu'ont dû subir les armées au cours de la précédente loi de programmation, tiennent à l'allongement des durées d'utilisation et au vieillissement du parc des équipements, source d'une série d'effets pervers.
Lorsque la livraison d'un matériel s'étale sur plusieurs dizaines d'années, et c'est le cas du Rafale, l'on va avoir à gérer des séries différentes, ce qui ne facilite pas l'entretien.
Ensuite, il faudra conserver des stocks de pièces détachées hors d'âge, ou, sinon, risquer des ruptures capacitaires. Les industriels ne manquent pas de faire payer le maintien de structures de gestion des composants, tandis que la pratique de la cannibalisation, devenue monnaie courante, est révélateur de l'état de forces armées contraintes trop souvent à faire avec les moyens du bord.
A cet égard, le nouveau code des marchés publics est fréquemment mentionné comme particulièrement inadapté à l'approvisionnement en pièces de rechange, dans la mesure où il est très difficile de prévoir à l'avance la quantité et la nature des pièces nécessaires et où il n'apporte guère de solutions aux situations fréquentes dans lesquelles un fournisseur se trouve en situation de monopole.
Enfin, on va être conduit à privilégier la remise à niveau par rapport à l'achat de matériels neufs. Faut-il à enveloppe financière égale commander davantage d'hélicoptères NH 90 ou rénover des Puma ou des Cougar, dont certains ont déjà plus de tente ans d'âge ? La question mérite d'être posée, même si, compte tenu de l'urgence et de la continuité des besoins comme des délais de fabrication, c'est assez logiquement que l'armée de terre fait le choix de la rénovation et non celui de l'achat de nouveaux matériels.
Quant aux nouveaux matériels, leur prix considérable n'a d'égal que leur coût d'entretien élevé . Un seul exemple : la maintenance d'un char Leclerc coûte quatre fois plus cher que celle de l'AMX 30 auquel il a succédé.
* 1 Sur la base d'un partage des tâches à terme entre le commissariat à la marine, qui assurera le magasinage, la comptabilité et la délivrance des pièces, et le SSF qui conservera en propre leur gestion, ainsi que les achats et la responsabilité d'ordonner leurs mouvements.