B. UNE SITUATION DÉGRADÉE QU'IL CONVIENT DE REMETTRE EN PERSPECTIVE
Si la réalité de la crise financière de la sécurité sociale ne peut être contestée, encore convient-il de l'apprécier à sa juste mesure afin d'identifier, à moyen et long terme, les paramètres de son équilibre financier et de pouvoir définir, ainsi, les mesures de redressement appropriées.
Il apparaît donc nécessaire de remettre les comptes du régime général en perspective, que ce soit par rapport :
- aux variations de ses soldes, telles que constatées au cours de ces dix dernières années ;
- et à l'évolution tendancielle de ses recettes et de ses dépenses pendant la même période.
1. Une situation qui, pour l'instant, est sans commune mesure avec la crise financière du début des années 1990
Après trois années de croissance économique et d'excédents, le retour des déficits du régime général prévus pour 2002 et 2003, tel qu'analysé précédemment, constitue une cause légitime de préoccupation.
Toutefois, la « mise en perspective » de ces déficits avec l'évolution, au cours de ces dix dernières années, des soldes du régime général (cf. graphique ci-après) permet d'établir un double constat qui, sans diminuer la gravité de la situation présente, replace toutefois celle-ci à son juste niveau.
Evolution des soldes du régime général (1999-2003)
Source : Commission des comptes de la sécurité sociale.
a) Un solde global « tiré vers le bas » du seul fait du déficit de la branche maladie
Pendant la crise financière des années 1992-1996, les différentes branches du régime général avaient été toutes affectées, à des degrés divers, par un retournement conjoncturel particulièrement sévère (le PIB en volume ayant même été négatif en 1993).
A leur point le plus bas, les déficits des branches maladie, famille et vieillesse avaient, tous, atteint 6 milliards d'euros (soit environ 40 milliards de francs). En conséquence, le déficit global du régime général s'était élevé à plus de 10 milliards d'euros (65 milliards de francs) en 1995.
Seule la définition, à partir de 1993, de mesures de redressement, dont les effets furent particulièrement spectaculaires en ce qui concerne l'assurance vieillesse (allongement progressif de la durée de cotisations ouvrant droit à une retraite à taux plein ; création du FSV), conjuguée avec la reprise de l'activité économique, permit finalement aux comptes du régime général de retrouver l'équilibre, puis d'être excédentaires.
La situation présente est très différente. En effet, et en dépit du ralentissement du rythme d'augmentation des recettes imputable au fléchissement de l'activité économique, les soldes des branches famille, vieillesse et accidents du travail devraient encore demeurer, en 2002 et 2003, excédentaires. Leurs soldes respectifs sont d'ailleurs supérieurs aux niveaux atteints au tout début de la période considérée, soit en 1990.
La crise financière actuelle se concentre donc, pour l'instant, sur une seule branche : la branche maladie , dont le déficit passe de 2 milliards d'euros en 2001 à 8,2 milliards d'euros en 2003 (sur la base d'un ONDAM fixé à + 5,3 %) 6 ( * ) .
Comme cela a déjà été exposé précédemment, cette dégradation rapide du solde de la branche maladie « tire vers le bas » le solde global du régime général qui, encore excédentaire de 1,1 milliard d'euros en 2001, devient déficitaire en 2002 et en 2003 soit, respectivement, 3,2 milliards d'euros et 4,6 milliards d'euros (avant mesures nouvelles du projet de loi de financement de la sécurité sociale).
b) Une aggravation continue du déficit de l'assurance maladie au cours de ces dix dernières années
Plus préoccupant , l'analyse de l'évolution, sur longue période, du solde de la branche maladie fait apparaître que celle-ci, à la différence des autres branches du régime général, est restée constamment déficitaire entre 1990 et 2001 . Les recettes supplémentaires dégagées par la croissance des années 1998-2000, et la substitution de la CSG aux cotisations salariales d'assurance intervenue en 1997 et 1998, si elles ont limité, au « point haut », ce déficit à 731 millions d'euros en 1999, n'ont pas permis de rétablir l'équilibre de la branche maladie. De plus, ce déficit s'est à nouveau creusé en 2000 et 2001, en dépit des produits (recettes) de la branche qui ont progressé, respectivement, de + 4,7 % et de + 6,6 % pour les deux années considérées.
Mais il y a plus grave encore. Comme l'illustre le graphique ci-dessus, la « pente » tendancielle des déficits de l'assurance maladie est de plus en plus accentuée de 1990 à 2001. En 1990, son « point d'entrée » est de - 1,4 milliard d'euros ; en 2003, son « point de sortie » est de - 8,2 milliards d'euros. En outre, ce « point de sortie » est supérieur de 2 milliards d'euros au déficit constaté au plus fort de la crise financière du début des années 1990, soit - 6 milliards d'euros en 1995.
Ces évolutions défavorables peuvent être expliquées par deux causes principales :
- l'une structurelle, à savoir l'augmentation de la consommation de soins et des dépenses de santé dans notre pays, à l'instar de ce que l'on peut constater dans tous les pays industrialisés ;
- l'autre qui, s'agissant de ces dernières années, est plus conjoncturelle et d'ordre politique, à savoir l'inertie du précédent gouvernement qui, gaspillant l'occasion fournie par l'abondance financière des années de croissance pour engager une véritable réforme des mécanismes de régulation des dépenses d'assurance maladie, a décidé de laisser « filer les déficits » tout en s'aliénant la confiance des professionnels de santé.
Le rétablissement de l'équilibre de la sécurité sociale, passe donc, en priorité, et avant que l'arrivée à l'âge de la retraite des premières générations du « baby boom » ne fragilise les comptes de l'assurance vieillesse, par la définition et la mise en oeuvre d'une « nouvelle gouvernance » de l'assurance maladie.
Précisément, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 se propose de définir les premiers éléments de ce nouveau mode de régulation.
2. Des évolutions tendancielles de moyen et long termes que l'on ne saurait ignorer
a) Une croissance annuelle moyenne des recettes et des dépenses de l'ordre de 4 à 5 % sur longue période
Mais l'identification des voies du redressement des comptes sociaux ne peut se limiter à l'analyse des soldes de la sécurité sociale et de ses différentes branches. Elle doit également prendre en compte la « dynamique structurelle », sur le moyen et long terme de l'évolution respective de ses recettes et de ses dépenses.
A cet égard, l'exploitation des données statistiques fournies, pour la période 1990-2001, par les comptes de la protection sociale (publiés dans l'annexe G du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003) se révèle riche d'enseignements.
Taux de croissance annuel moyen des emplois
de
l'ensemble des régimes de sécurité sociale (1990 -
2001)
(en pourcentage)
2001/1990 |
1995/1990 |
2001/1995 |
|
Emplois
|
4,3 |
5,1 |
3,6 |
Prestations sociales |
4,3 |
5,0 |
3,7 |
dont prestations en espèces |
4,2 |
5,1 |
3,4 |
dont prestations en nature |
4,6 |
4,6 |
4,6 |
Prestations de services sociaux |
4,2 |
5,8 |
3,0 |
Frais de gestion |
2,9 |
4,0 |
2,0 |
Transferts |
8,7 |
10,4 |
7,3 |
Frais financiers |
18,2 |
113,3 |
- 27,7 |
Autres dépenses |
2,8 |
6,4 |
- 0,2 |
TOTAL EMPLOIS |
4,8 |
5,8 |
4,0 |
Source : comptes de la protection sociale - annexe G du projet de loi de financement de la sécurité sociale
S'agissant de l'ensemble des régimes de sécurité sociale 7 ( * ) , le tableau ci-dessus permet d'établir les constats suivants :
- entre 1990 et 2001, les emplois (dépenses) desdits régimes ont progressé au rythme moyen d'environ 5 % l'an ;
- confirmant le caractère « contracyclique » des dépenses de protection sociale, ce rythme annuel moyen d'augmentation a atteint près de 6 % au cours de la récession économique de la première moitié des années 1990 ;
- au cours de la période considérée, le taux annuel moyen de croissance des prestations sociales proprement dites est légèrement inférieur (+ 4,3 %) à celui du total des emplois ;
- en revanche, le déséquilibre des recettes et des dépenses résultant de la crise des années 1993-1995 a entraîné une forte augmentation de leurs frais financiers, c'est-à-dire de l'endettement des régimes concernés.
Des conclusions similaires peuvent être tirées de l'examen de l'évolution des emplois (dépenses) du seul régime général pendant la même période (cf. tableau ci-après) , qui ont progressé, en rythme annuel moyen, de + 4,3 % entre 1990 et 2001 (ce rythme ayant été, là encore, supérieur, pendant la crise du début des années 1990).
Taux de croissance annuel moyen des emplois du régime général (1990 - 2001)
(en pourcentage)
2001/1990 |
1995/1990 |
2001/1995 |
|
Emplois
|
4,5 |
5,3 |
3,9 |
Prestations sociales |
4,5 |
5,1 |
4,0 |
dont prestations en espèces |
4,3 |
5,1 |
3,6 |
dont prestations en nature |
5,0 |
5,1 |
4,9 |
Prestations de services sociaux |
4,7 |
6,2 |
3,4 |
Frais de gestion |
3,3 |
4,1 |
2,6 |
Transferts |
2,5 |
4,2 |
1,2 |
Frais financiers |
63,1 |
274,5 |
- 18,4 |
Autres dépenses |
2,1 |
8,0 |
- 2,7 |
TOTAL EMPLOIS |
4,3 |
5,2 |
3,5 |
Source : comptes de la protection sociale - annexe G du projet de loi de financement de la sécurité sociale
Si l'on compare l'évolution des emplois (dépenses) de l'ensemble des régimes de sécurité sociale avec celle de leurs ressources (recettes), il apparaît que :
- sur le long terme, le rythme annuel moyen de progression de ces recettes (environ + 5 %) est sensiblement équivalent à celui des emplois (cf. tableau ci-après) . Toutefois, il ne faudrait pas déduire de ce constat qu'il existe un quelconque « équilibre spontané » de la sécurité sociale. Plus simplement, cet équilibre traduit, sur le long terme, l'effet des mesures prises, tant en matière de recettes que de dépenses, afin de rétablir l'équilibre desdits comptes ;
- la croissance annuelle moyenne des cotisations sociales et, plus particulièrement, des cotisations des salariés, est relativement peu dynamique. En revanche, au sein du total des ressources, les impôts et taxes affectés à l'ensemble des régimes de sécurité sociale ont ainsi progressé au rythme annuel moyen de 25 %.
Taux de croissance annuel moyen des ressources de l'ensemble des régimes de sécurité sociale (1990 - 2001)
(en pourcentage)
2001/1990 |
1995/1990 |
2001/1995 |
|
Ressources |
|||
Cotisations |
2,4 |
2,8 |
2,0 |
Cotisations effectives |
2,1 |
2,5 |
1,8 |
dont cotisations d'employeurs |
3,1 |
2,2 |
4,0 |
dont cotisations de salariés |
0,1 |
3,5 |
- 2,6 |
dont autres cotisations |
0,2 |
1,6 |
- 1,0 |
Cotisations fictives |
4,7 |
5,3 |
4,1 |
Impôts et taxes |
25,2 |
26,0 |
24,6 |
Transferts |
7,8 |
11,6 |
4,7 |
Contributions publiques |
- 0,1 |
- 1,8 |
1,4 |
Produits Financiers |
- 9,2 |
- 11,2 |
- 7,6 |
Autres recettes |
6,2 |
24,7 |
- 7,2 |
TOTAL RESSOURCES |
5,0 |
4,9 |
5,0 |
Source : comptes de la protection sociale - annexe G du projet de loi de financement de la sécurité sociale
Là encore, des constatations similaires peuvent être effectuées pour le seul régime général (cf. tableau ci-après) , dont le total des ressources augmente de + 4,5 % en moyenne annuelle entre 1990 et 2001 . On notera, à cette occasion, la diminution des cotisations sociales des salariés, et la forte augmentation des impôts et taxes affectés au régime qui traduisent les effets, tout à la fois, de la substitution de la CSG aux cotisations salariales d'assurance maladie et de la compensation à la sécurité sociale, par des recettes fiscales, des exonérations de cotisations.
Taux de croissance annuel moyen des ressources du
régime général
(1990 - 2001)
(en pourcentage)
2001/1990 |
1995/1990 |
2001/1995 |
|
Ressources |
|||
Cotisations |
0,8 |
1,7 |
0,0 |
Cotisations effectives |
0,8 |
1,7 |
0,0 |
dont cotisations d'employeurs |
2,1 |
1,1 |
3,0 |
dont cotisations de salariés |
- 3,0 |
3,3 |
- 7,9 |
dont autres cotisations |
- 2,6 |
1,4 |
- 5,8 |
Cotisations fictives |
|||
Impôts et taxes |
28,9 |
22,2 |
34,8 |
Transferts |
17,6 |
28,9 |
8,9 |
Contributions publiques |
1,3 |
- 1,8 |
3,9 |
Produits Financiers |
8,3 |
6 5 |
9,8 |
Autres recettes |
6,7 |
19,5 |
- 2,9 |
TOTAL RESSOURCES |
4,5 |
4,1 |
4,8 |
Source : comptes de la protection sociale - annexe G du projet de loi de financement de la sécurité sociale
Pour résumer, et si l'on croit les principaux enseignements de cette analyse rétrospective, l'équilibre, nécessairement instable, des régimes de la sécurité sociale repose sur un « trend » de leurs dépenses (et de leurs recettes) d'environ 4 à 5 % en moyenne annuelle.
b) Un « déséquilibre dynamique » qu'il conviendrait probablement de réguler
Bien entendu, les évolutions précédemment mises en évidence sont des moyennes de long terme.
Une politique visant à rétablir l'équilibre financier des comptes sociaux ne peut, par ailleurs, ignorer les fluctuations conjoncturelles qui affectent nécessairement, et parfois d'un exercice sur l'autre, les recettes et les dépenses de la sécurité sociale.
Les causes de cette « sensibilité conjoncturelle » de la sécurité sociale et, plus particulièrement, de ses recettes, sont bien connues (cotisations assises sur la masse salariale ; CSG dont le produit est lié à l'évolution de l'ensemble des revenus) et l'on n'y reviendra donc pas, ici, en détail.
En revanche, il paraît important de souligner que l'impact de la conjoncture sur les recettes de la sécurité sociale entraîne un « déséquilibre dynamique » de ces comptes. En effet, les dépenses évoluant en fonction d'autres paramètres qui leur sont propres, toute fluctuation conjoncturelle des recettes se traduit par une succession d'exercices déficitaires et d'exercices excédentaires (et vice versa).
Dès lors, il serait probablement opportun d'imaginer les modalités techniques d'une régulation de ces « à-coups » conjoncturels, permettant de « lisser » davantage, d'un exercice sur l'autre, le rythme de progression des recettes sociales .
Bien entendu, cette régulation des recettes, quelles qu'en soient les formes, ne pourra jamais justifier l'absence de réformes de fond visant à maîtriser, parallèlement, l'évolution des dépenses correspondantes. Elle présenterait, néanmoins, l'intérêt de limiter l'urgence ou l'acuité de certaines crises financières et de donner ainsi, aux partenaires sociaux et aux pouvoirs publics, le recul nécessaire pour concevoir et mettre en oeuvre les remèdes appropriés.
*
* *
Face à une situation financière difficile, et compte tenu des évolutions de long terme précédemment mises en évidences, les deux axes prioritaires de l'action publique sur les comptes sociaux sont aisément identifiables. Comme le résume la Commission des comptes de la sécurité sociale dans son dernier rapport :
« - il s'agit d'abord (d') assurer la croissance moyenne des recettes de 4 à 4,5 % par an en valeur qui semble le minimum nécessaire à l'équilibre du système (...) ;
« - du côté des dépenses, l'enjeu principal est de parvenir à une évolution plus modérée des dépenses d'assurance maladie suffisamment vite pour pouvoir faire face, ensuite, à la croissance des dépenses de retraite ».
Encore convient-il que les efforts engagés sur ces bases respectent, en outre, certains principes généraux d'organisation et de gestion qui, bien que formulés il y a une dizaine d'années, n'en conservent pas moins, aujourd'hui, toute leur pertinence.
* 6 Bien entendu, personne ne peut prévoir l'ampleur du retournement conjoncturel en cours, ni affirmer que, s'il devait s'aggraver, les autres branches du régime général ne seront pas en déficit dans les toutes prochaines années.
* 7 Au sens des comptes de la protection sociale : régime général, régimes de non-salariés, régimes complémentaires et autres régimes de sécurité sociale.