AUDITION DE MME THÉRÈSE GREGOGNA,
PREMIER
SUBSTITUT
ET MME ROSELYNE
CRÉPIN-MAURIÈS,
VICE-PRÉSIDENT AU TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE DE PARIS
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Mme Roselyne Crépin-Mauriès a tout d'abord indiqué qu'elle avait à connaître des questions relatives au nom patronymique dans le cadre des contentieux liés d'une part aux changements de prénoms, d'autre part aux changements de nom des enfants naturels.
Observant que la proposition de loi tendait à mettre fin à la discrimination actuelle consistant à attribuer systématiquement à l'enfant d'un couple marié le nom de son père, Mme Roselyne Crépin-Mauriès a fait valoir qu'il convenait de faire prévaloir prioritairement l'intérêt de l'enfant sur celui des parents. Elle s'est demandé si la liberté laissée aux parents pour le choix du nom de leur enfant ne risquait pas d'avoir pour conséquence une incertitude des lignées familiales et une difficulté pour l'enfant de retracer ses origines.
Rappelant que, dans le cas d'enfants légitimes, la déclaration de naissance était le plus souvent faite par le père, elle a noté que la situation inverse prévalait en général pour la déclaration des enfants naturels. Elle s'est interrogée sur les moyens permettant à l'officier d'état civil de s'assurer du consentement des deux parents sur le choix du nom déclaré par le parent présent.
Mme Roselyne Crépin-Mauriès a ensuite souligné que, dans les couples en rupture, certaines femmes, en particulier celles qui subissaient une rupture non souhaitée, avaient un comportement très possessif à l'égard de leurs enfants. Elle a estimé que la loi ne devait pas encourager un tel comportement au moment même où d'autres initiatives ou textes législatifs tendaient à renforcer le rôle et la présence des pères.
Mme Roselyne Crépin-Mauriès a souligné que la proposition de loi créait une situation d'inégalité entre les enfants naturels et les enfants légitimes. Elle a en effet observé que ce texte n'abrogeait pas la disposition du code civil permettant de demander le changement de nom d'un enfant naturel, sans pour autant faire bénéficier d'une disposition similaire l'enfant légitime.
M. Henri de Richemont, rapporteur, a exprimé la crainte que le système inscrit dans la proposition de loi ne provoque des conflits entre parents. Il a souligné que le recours à l'ordre alphabétique en cas de désaccord ne pouvait qu'être source de frustrations. Evoquant l'intérêt de l'enfant, il s'est demandé si le système de choix par les parents ne risquait pas de conduire l'enfant à remettre davantage en cause le nom qui lui avait été donné. Il a interrogé Mme Roselyne Crépin-Mauriès sur l'hypothèse d'un maintien de la dévolution automatique du nom du père assorti d'une possibilité pour l'enfant de changer de nom à sa majorité.
Mme Roselyne Crépin-Mauriès a alors souligné que la résolution du conflit par l'ordre alphabétique pouvait effectivement paraître contestable. Elle s'est déclarée favorable à la possibilité pour l'enfant de porter les deux noms et a estimé que l'idée d'un choix pour l'enfant à compter d'un certain âge était séduisante. Elle a toutefois noté qu'un tel système pourrait poser des difficultés pratiques d'enregistrement.
Mme Thérèse Gregogna a tout d'abord indiqué qu'elle exerçait les fonctions de substitut du procureur à la section civile du parquet de Paris et qu'à ce titre elle intervenait dans les contentieux liés au nom. Elle a rappelé que le parquet était garant des actes d'état civil.
Estimant qu'il n'était pas anormal que le législateur recherche les moyens d'appliquer le principe d'égalité entre hommes et femmes à la question du nom, Mme Thérèse Gregogna a toutefois noté que la fiabilité des actes d'état civil supposait une certaine stabilité. Elle a observé que le choix laissé aux parents pour l'attribution du nom à l'enfant impliquait un consentement des parents que l'officier d'état civil devrait vérifier, ce qui pourrait susciter des difficultés importantes. Elle a ainsi évoqué successivement le cas d'un accouchement difficile causant une incapacité temporaire de la mère, celui d'un accident empêchant de recueillir le consentement du père ou encore de la situation où l'un des parents serait sous tutelle. Elle a ajouté que, dans de nombreux cas, la déclaration était faite à l'hôpital, où il faudrait sans doute, si la proposition de loi était adoptée, recueillir des pouvoirs de la part des déclarants.
Mme Thérèse Gregogna a ensuite fait valoir que la loi française n'avait vocation à s'appliquer qu'aux enfants français et non aux enfants étrangers nés en France. Elle en a déduit que les officiers d'état civil devraient opérer une distinction entre enfants français et enfants étrangers lors des déclarations.
Mme Thérèse Gregogna a relevé que, si la proposition de loi était adoptée, il conviendrait de respecter l'égalité entre enfant légitime et enfant naturel, soit en supprimant l'article 334-3 du code civil qui autorise les demandes de changement de nom de l'enfant naturel, soit en étendant cette procédure aux enfants légitimes. Elle a exprimé la crainte d'une multiplication des déclarations avant la naissance pour les enfants naturels, évoquant également des déclarations de complaisance simplement destinées à bénéficier d'avantages liés à la qualité de père d'un enfant né en France.
Mme Thérèse Gregogna a rappelé qu'actuellement les femmes qui demandaient le changement du nom de leur enfant avaient pour objectif de couper tout lien entre le père et l'enfant. Elle s'est interrogée sur l'opportunité de permettre l'élimination immédiate du nom du père au moment de la naissance.
Mme Roselyne Crépin-Mauriès a alors observé que, dans la quasi-totalité des demandes de changement de nom soumises au juge des affaires familiales, l'objectif était de faire disparaître le nom du père. Elle a noté au cours de la période récente, une seule procédure de changement de nom engagée au profit du nom du père, afin de permettre à l'enfant de bénéficier de la loi suisse.