EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Les conclusions de la commission des Affaires culturelles 1 ( * ) sur la proposition de loi n° 2999 (2000-2001) présentée par MM. Raymond Forni, président de l'Assemblée nationale et Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, portant création d'une Fondation pour les études comparatives, ont été approuvées par l'Assemblée nationale le 31 mai 2001.
Cette proposition de loi a été inspirée par les travaux du Professeur Antoine Lyon-Caen , chargé en 1999 par le ministre de l'Education nationale M. Claude Allègre d'effectuer une mission sur la situation du droit comparé en France et sur les perspectives de son développement 2 ( * ) .
Dès 1996, la commission d'étude sur le développement du droit comparé en France réunie par le ministre de l'Education nationale, M. François Bayrou, et présidée par notre excellent collègue, M. Robert Badinter , avait déploré la place modeste du droit comparé en France.
Or, cette situation n'affecte pas uniquement la place du comparatisme stricto sensu , en tant que discipline universitaire, mais pose également les questions connexes de l'accès aux droits étrangers et de la diffusion du droit français hors de nos frontières .
Ainsi que le soulignaient ces deux rapports, et plus récemment celui du Conseil d'Etat consacré à l'influence internationale du droit français 3 ( * ) , cette question, traditionnellement abordée sous l'angle de la recherche fondamentale par des établissements d'enseignement supérieur ou des centres de recherche, devrait désormais faire l'objet d'une approche globale.
Ils préconisaient donc l'instauration d'une Fondation pour les études comparatives.
Cet organisme, auquel participeraient les assemblées parlementaires, notamment par la mise en réseau de leurs fonds documentaires, serait compétent en matière de recherche, d'information documentaire et de formation, d'une part, mais également de coopération technique internationale, d'autre part.
Ces deux secteurs, qui font normalement intervenir des acteurs bien distincts, seraient réunis afin d'aboutir à une synergie et de pallier les insuffisances régulièrement relevées par les rapports précédents, à savoir le cloisonnement, le manque d'information et la dispersion des centres.
Par ailleurs, la création de la Fondation pour les études comparatives nécessite l'adoption d'une loi, du fait de son statut dérogatoire au droit commun des fondations d'utilité publique.
I. LE CONSTAT RÉCURRENT DE LA PLACE DE PARENT PAUVRE DÉVOLUE AUX PERSPECTIVES COMPARATIVES
Tout d'abord, il convient de rappeler que les secteurs de la formation, et de la recherche relèvent traditionnellement de centres universitaires. Leurs faiblesses sont patentes.
En ce qui concerne la coopération technique internationale, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, la situation est plus complexe.
A. EN MATIÈRE DE DROIT COMPARÉ
Il existe une tradition française brillante en matière de droit comparé, dans laquelle s'est illustré en particulier le professeur René David. Or, la place du droit français à l'étranger depuis une vingtaine d'années ne cesse de se dégrader.
1. Des centres de recherche éclatés et insuffisamment dotés
La France occupait précédemment une place majeure en matière de droit comparé, grâce à des centres de recherche comme celui de droit comparé de Lyon, qui a accompli un travail remarquable de traduction de droits étrangers avant la seconde guerre mondiale, et le Centre français de droit comparé fondé en 1951, qui regroupait la cellule spécialisée du ministère de la Justice, la Société de législation comparée et l'Institut de droit comparé de l'université de Paris.
Actuellement, la situation se caractérise, ainsi que le dénonçait le rapport Badinter, par le cloisonnement, le manque de circulation de l'information et la juxtaposition des centres de recherche universitaires.
En effet, les principaux pôles de recherche en droit comparé sont extrêmement dispersés. On compte, outre les universités de Paris I et de Paris II, les universités d'Aix-Marseille, de Bordeaux IV, de Poitiers, de Pau, de Lyon III, de Strasbourg et de Toulon-Var.
Par ailleurs, le CNRS dispose d'un laboratoire propre et soutient des unités de recherche universitaires.
La plus grosse unité de recherche est parisienne. L'UMR (unité mixte de recherche) du CNRS n° 135, installée à la fois dans les locaux de la rue Saint Guillaume et dans ceux du CNRS à Ivry, regroupe l'Institut de droit comparé (Paris II), l'Institut de recherches comparatives sur les institutions et le droit (Paris I), le Centre anglo-américain (Paris I) et la Société de législation comparée (société savante association loi de 1901).
La Société de législation comparée, fondée en 1869, regroupe essentiellement des universitaires, avocats et magistrats, et constitue un cas particulier. Elle organise des colloques, publie des monographies ainsi que la Revue internationale de Droit comparé (trimestrielle). Elle participe avec l'Institut de droit comparé de Paris (Paris II) à la gestion de la bibliothèque de droit comparé.
Cet éclatement entraîne une large méconnaissance des travaux réalisés.
La tentative menée en 1996 de dynamiser la recherche institutionnelle en droit comparé par la réunion et la restructuration au sein des universités de Paris I et de Paris II et du CNRS de l'unité mixte de recherche vouée au droit comparé (UMR n° 135), qui devait ouvrir le champ des recherches à de nouveaux domaines et permettre la création d'un diplôme d'études approfondies (DEA) et d'une école doctorale communs aux universités de Paris I et de Paris II s'est soldée par un échec.
De même, l'action du groupement de recherche ( GDR ) droit comparé, créé en 1997 entre le CNRS, diverses universités, le Centre français de droit comparé et la Société de législation comparée est restée modeste. Son directeur, M. Jean du Bois de Gaudusson, est d'ailleurs tout à fait favorable à la création d'une fondation des études comparatives.
Cette structure à vocation nationale vise à fédérer toutes les équipes françaises effectuant des études scientifiques en droit comparé (18 des 20 centres de recherche y sont rattachés), mais aussi coordonner les informations et mettre en contact les chercheurs français et étrangers.
Il s'agit de la première tentative de mise en réseau en France dans cette discipline.
Sa première mission a consisté à mettre en réseau les différents centres à des fins documentaires. Il dispose dorénavant d'un logiciel.
Néanmoins, conçu comme une structure de liaison entre équipes susceptibles de mener des recherches communes, ses moyens restés légers ne lui permettent pas de mettre en oeuvre directement de vastes projets de recherche. Or, le droit comparé requiert des moyens plus importants que pour la recherche juridique courante (notamment en raison de la mobilité indispensable des chercheurs et des enseignants).
Le rapport Badinter, regrettant le cloisonnement des disciplines, appelait également à une plus grande transversalité, intégrant la description des systèmes juridiques à une compréhension des sociétés (structures politiques, formes institutionnelles, organisations économiques).
* 1 rapport n° 3072 (2000-2001) de M. Jean-Jacques Denis au nom de la commission des Affaires culturelles
* 2 Le développement du droit comparé en France - une Fondation pour les études comparatives - droits, institutions, sociétés, rapport remis en juillet 2000 à M. Jack Lang, ministre de l'Education nationale et M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche.
* 3 Rapport du Conseil d'Etat- juin 2001 : « L'influence internationale du droit français », la Documentation française