C. AUDITION DU PROFESSEUR ROLAND SAMBUC, VICE-PRÉSIDENT DU HAUT COMITÉ DE SANTÉ PUBLIQUE, ACCOMPAGNÉ DU DOCTEUR ANNE TALLEC, RAPPORTEUR GÉNÉRAL
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le professeur, madame Tallec, vous savez que ce projet est à nos yeux très important, et c'est pourquoi nous avons nommé trois rapporteurs. Beaucoup de choses sont en jeu, dont la relation médecin/malade, l'organisation des professions de santé et l'indemnisation de l'aléa thérapeutique.
Professeur Roland SAMBUC - Ce projet de loi nous a paru, dans son ensemble, très riche puisqu'il propose des avancées notables sur un certain nombre de questions sur lesquelles le Haut comité s'était penché dans ses rapports, depuis plusieurs années. Je pense en particulier au droit des malades à être informés, au droit au respect des patients, à la participation des usagers et à tous les problèmes qui touchent à la prévention et à la promotion de la santé. Nous sommes sensibles aussi aux orientations proposées au niveau de la politique de santé, tant aux niveaux national que régional, et nous saluons au passage l'effort qui est fait pour résoudre le problème de l'indemnisation des malades en cas d'aléa thérapeutique.
Mme Anne TALLEC, rapporteur général - Concernant le titre I, nous nous sommes particulièrement penchés sur les éléments qui concernent les trois premiers chapitres, et plus spécifiquement les usagers. Si le projet nous paraît dans l'ensemble extrêmement positif, nous attirons votre attention sur l'article 110-1, car il faudrait à notre avis mettre davantage l'accent sur l'égal accès à la prévention et non plus seulement aux soins. Les données dont nous disposons en termes d'analyse de l'état de santé de la population, notamment en ce qui concerne le retard de notre pays sur le plan de la mortalité prématurée évitable, nous indiquent clairement que des progrès pourraient être réalisés à ce niveau.
Le système de santé n'est pas le seul en cause, puisque des champs aussi divers que l'environnement ou les transports interagissent avec lui.
Dans une optique de respect des droits de la personne, nous allons évoquer, dans notre rapport triennal qui va paraître dans quelques semaines, les pratiques qui concernent non seulement les soins, mais la réadaptation et la réinsertion des malades. Dans le cas des personnes âgées, les problèmes qui touchent à la vue, à l'audition, ou aux douleurs sont encore insuffisamment pris en compte aujourd'hui. Si l'on peut obtenir une véritable prise en charge des maladies, il conviendrait de tenir compte des pathologies non guérissables, mais cependant importantes au regard de la qualité de vie ou de la santé psychologique, comme la malvoyance des personnes âgées.
A la lecture du chapitre II, Roland Sambuc et moi-même avons regretté que le terme de « responsabilités » ait été modifié en « droits des usagers », alors qu'il aurait été préférable d'écrire « droits et responsabilités des usagers ». En effet, un certain nombre de passages du texte renvoient à la notion de responsabilité, par exemple lorsqu'il évoque la nécessité, pour un médecin, d'expliquer les conséquences d'un refus de soin.
Concernant la participation des usagers abordée au chapitre III, les dispositifs que l'on peut mettre en place, qu'ils soient de type associatif ou représentatif sont extrêmement importants, mais ils ne pourront s'inscrire dans la réalité sans une mobilisation collective de l'ensemble de la population ou des élus, ce qui suppose un plus grand partage des enjeux de santé publique. Ainsi, les associations d'usagers d'un hôpital n'auront une réelle influence que si les usagers eux-mêmes sont plus conscients de leurs droits et leurs devoirs.
Professeur Roland SAMBUC - Je voudrais maintenant évoquer les chapitres 5 et 6 du titre II sur les politiques de santé aux plans régional et national. L'organisation régionale nous semble apporter une grande visibilité des institutions, dans la mesure où la création du Conseil régional de santé permettrait de regrouper les missions du Comité régional d'organisation sanitaire et sociale, du Comité régional des politiques de santé et de la Conférence régionale de santé. Cela répond à un souci de simplification des institutions, une orientation prônée par le Haut comité depuis longtemps. On peut toutefois s'interroger sur le fait que les attributions du CROSS dans le domaine sanitaire et le social n'aient pas été dévolues au Conseil régional de santé.
Nous regrettons le manque de liaison qui existe entre les instances régionales de santé et les instances politiques régionales, à savoir les conseils régionaux et généraux. Il serait souhaitable que le Conseil régional de santé puisse faire régulièrement des exposés sur la politique de santé de chaque région au sein de ces assemblées d'élus.
Nous souhaiterions que la loi et ses futurs décrets d'application accordent au Conseil régional de santé des moyens à la mesure de la variété de ses missions, afin qu'il préserve une relative indépendance à l'égard des services extérieurs de l'Etat. L'effort budgétaire devra aussi tenir compte des projets régionaux de santé qui structurent la politique régionale pendant plusieurs années, au moyen si possible d'un système de guichet unique.
Le niveau national nous a laissés perplexes, dans la mesure où le texte nous apparaît moins abouti dans ce domaine qu'au niveau régional. La modification du rôle de la Conférence nationale de santé ne doit pas amener une remise en cause de sa mission qui consiste à proposer des priorités de santé et à faire remonter tous les éléments qui concernent la mise en application du droit des malades dans les structures hospitalières.
Afin de distinguer le futur Haut conseil de la santé, qui se substituera à l'actuel Haut comité de la santé publique, de la Conférence nationale de santé, on peut souligner que cette dernière est plutôt composée d'un tissu de professionnels de la santé, alors que le Haut conseil est davantage un comité d'experts chargé de conseiller de Gouvernement et le Parlement en matière législative. S'agissant de son appellation, nous prônons le maintien du libellé « Haut conseil de la santé publique », afin de le différencier nettement de la Conférence nationale de santé et de marquer le fait que son champ d'expertise ira au-delà du champ de la santé.
Nous nous interrogeons sur le rôle du Haut conseil de la santé, puisqu'au moment où on lui donne plus d'indépendance en précisant qu'il n'est plus présidé par le ministre mais par un de ses membres élus, on prévoit sa participation à l'élaboration du rapport d'orientation du Gouvernement sur le projet de financement de la sécurité sociale. D'autre part, il n'est pas dit grand chose sur les missions du Haut comité de la santé publique par rapport aux missions actuelles du Haut comité de la santé publique, à savoir, selon le décret, « outre la contribution aux objectifs de la politique de santé publique, les propositions de renforcement dans le domaine de la prévention, le développement de l'observation de l'état de santé, la définition d'indicateurs et l'élaboration de rapports triennaux sur l'évolution de la santé en France ».
Concernant la formation, il nous semble aberrant, compte tenu de l'état actuel des finances publiques, que l'on crée un nombre de conseils nationaux de formation égal à celui du nombre de corps professionnels. Ainsi va-t-il être institué un conseil de formation pour les médecins hospitaliers publics, pour les médecins du privé salariés, pour les médecins d'exercice libéral etc. Il est évident que le texte a beaucoup emprunté aux préoccupations corporatistes et il revient selon nous aux sénateurs et aux députés d'imposer une meilleure utilisation des deniers publics. Il nous semblerait à cet égard très utile de fédérer ces conseils, au niveau national, en une instance unique.
Quant au passage de la loi qui prévoit un élargissement du système de santé et de soins en réseaux, il appelle nécessairement une collaboration entre tous ces professionnels. Celle-ci devrait impliquer des exercices mixtes entre le public, le privé et les libéraux : comment imaginer que ces professionnels puissent ne pas être formés en même temps ? La qualité du système de santé dépend de la qualité des interfaces entre les structures actuelles et les professionnels, et cela doit commencer par la formation.
Mme Anne TALLEC - Le chapitre 7 du titre II semble largement améliorable. S'il est extrêmement positif en soi que figure pour la première fois un chapitre « prévention et promotion de la santé » dans le code de la santé publique , sa rédaction me paraît à ce jour tout à fait contestable. Du point de vue formel, beaucoup d'éléments m'ont choquée : on y parle de « favoriser des comportements individuels ou collectifs » alors qu'à mon sens on ne favorise pas des comportements, mais l'acquisition de compétences qui favorisent des comportements ; parfois le style est franchement confus, en particulier quand il est question de « dépistage du handicap »... Nous ne pouvons pas nous permettre d'être aussi faibles sur une partie du texte qui institue pour la première fois un élément important de notre système de santé.
A mon sens, les six axes des politiques de prévention et de promotion sont à mon avis très hétérogènes, puisqu' y coexiste la réduction des inégalités sociales de santé, qui constitue un problème de grande portée, et l'information sur l'interruption de grossesse. Aller jusqu'à préciser certaines infections ou problèmes de santé dans ce texte me semble surprenant, pour ne pas dire davantage.
Les points 3 et 4 des objectifs affichés sont extrêmement confus. Quand on écrit « à entreprendre des dépistages de maladies », veut-on signifier que cet institut de prévention gère la question du dépistage du cancer du sein ? Une articulation avec les compétences de l'ANAES doit manifestement être mieux définie.
Le chapitre consacré à la prévention de la santé évoque de manière extrêmement floue le rôle de fédérateur des délégations régionales qui est conféré à l'institut qui est créé. On ignore d'ailleurs les moyens et les outils dont seront dotées ces délégations régionales. La mutation des CRES (comités régionaux d'éducation pour la santé) en délégations régionales leur confère une organisation que l'on peut deviner à géométrie variable. On ne sait pas si ces délégations seront intégrées aux DRASS comme les CIRES de l'INVS ou si elles seront autonomes. Il n'est pas précisé non plus quel sera le devenir des CODES, alors qu'il est essentiel que la prévention et la promotion de la santé soient relayées sur le terrain.
Je me suis également interrogée sur la suppression, dans cette version du texte, du rapport annuel rendu public de l'Institut de prévention, car il me semblait utile et riche. Il est important, du point de vue de la démocratie, de cultiver la transparence en matière d'activité publique.
Enfin, concernant le Comité technique national de prévention, il s'agit de la seule tentative de promouvoir une réelle coordination entre différents domaines hors et dans le champ de la santé. Force est pourtant de constater que ses missions sont très vagues, puisqu'il ne figure aucun renvoi à un texte ultérieur qui préciserait ses objectifs et son fonctionnement.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Il est peu habituel que nous ayons une audition d'un organisme dont le texte que nous analysons annonce la mort programmée. Effectivement, le Haut comité de la santé publique doit disparaître et être transformé au niveau national en Haut conseil de la santé. L'analyse que vous avez faite du texte qui nous est proposé me semble très importante. Vous avez souligné les aspects positifs de ce texte sur lequel votre institution a travaillé depuis longtemps, en insistant notamment sur le rôle et la place des usagers dans le système de santé. Je partage en outre avec vous le souci de désigner non seulement les droits des malades, mais également leurs responsabilités. Cet équilibre ne peut être occulté pour quelque motif que ce soit.
On nous a rappelé à quel point le fait que le Haut comité soit aujourd'hui présidé par le ministre nous amène à nous interroger sur l'autonomie dont bénéficiera réellement le futur Haut conseil et sur la réalité d'un regroupement de la politique de santé. En clair, le fait que le Haut conseil de la santé sera désormais présidé par un de ses membres élu est-il d'ordre anecdotique, ou marque-t-il une évolution profonde ? Le Haut conseil doit-il être placé directement sous la responsabilité du Gouvernement ou pourrait-il devenir une forme d'autorité administrative indépendante, selon le modèle des agences, afin que son impartialité et son expertise ne soient pas remises en cause ?
Vous avez souligné le problème de la participation du Haut conseil au rapport du Gouvernement. Celui-ci favorise-t-il l'autonomie de l'Institution ou au contraire sa dépendance ? Comment envisageriez-vous la définition de programmes pluriannuels dans le nouveau cadre ?
Je suis enfin très sensible aux remarques qui viennent d'être faites à propos de l'Institut national de prévention et de promotion de la santé. Il est évident pour nous tous que sa création ne peut pas être indépendante de la définition de la politique de santé. Il n'aurait aucun sens d'instituer un organisme qui ne serait pas relié, dans tous les domaines de la vie de notre société, à la définition réelle de la politique. Que pensez-vous de l'apport de ce texte au regard d'une clarification de l'organisation de la santé en France ?
Professeur Roland SAMBUC - Nous constatons, au plan de l'organisation nationale, une certaine perte de lisibilité. En effet, si au niveau régional, le Comité régional de la santé propose des priorités de santé pluriannuelles parmi lesquelles les représentants de l'Etat dans la région décident celles qui seront retenues, il n'existe plus, au niveau national, de force de proposition de priorités de santé. Cette mission incombait auparavant à la Conférence nationale de santé, mais elle a disparu. Nous nous trouvons dans une situation où le Gouvernement devra, en concertation avec le Haut conseil de la santé, décider des priorités de santé sans qu'elles aient fait l'objet d'une proposition préalable.
Quant au fonctionnement du Haut conseil de la santé, le président n'est en effet plus le ministre, ce qui renforce son indépendance. Il est toutefois nécessaire de préciser davantage le positionnement de cet organisme à l'égard du Gouvernement en matière de production d'avis. Il est privé de la possibilité qu'avait le Haut comité de la santé publique de produire chaque année, pour le Parlement et pour la Conférence nationale de santé, un rapport sur l'organisation du système de santé, avec éventuellement des propositions de priorité. Il me paraît important de transmettre au Haut conseil cette force de proposition, en toute indépendance, comme c'est le cas actuellement, malgré le fait que sa présidence soit exercée par le ministre. On peut même avancer que la collaboration avec les services du ministère s'avère extrêmement importante et qu'il faut la préserver. En effet, une assemblée d 'experts ne bénéficie jamais du degré d'expertise des personnels des ministères et des hauts fonctionnaires sur les modalités concrètes de fonctionnement des institutions.
Le Haut comité s'est souvent ému du caractère très comptable du vote du PLFSS et de ses enveloppes. Nous sommes bien conscients du fait dee la nécessité d'établir des bilans annuels, comme c'est prévu dans l'ensemble des organes de l'Etat, mais nous suggérons que la politique de santé soit fondée sur des objectifs structurés en programmes pluriannuels, à l'instar de ce qui est prévu dans le texte au niveau régional, et cela indépendamment de la variabilité de l'enveloppe globale de l'ONDAM. C'est en développant cette approche pluriannuelle que l'on pourra moderniser la politique de santé.
M. Gérard DERIOT, rapporteur - Nous avons bien noté toutes les remarques que vous nous avez faites, en particulier sur le titre II. Nous avons compris que vous souhaitiez éviter une parcellisation de la politique de formation, et cela nous semble relever du bon sens.
Professeur Roland SAMBUC - Il n'est pas dans notre idée de regrouper tous les financements en matière de formation. Nous proposons que chaque organisme garde ses financements, mais qu'en revanche les programmes de formation soient élaborés de manière globale et, si possible, en relation avec les universités.
M. Jean-Louis LORRAIN, rapporteur - Le chapitre sur l'aléa thérapeutique n'est sans doute pas au centre de vos préoccupations...
M. LE PRESIDENT - Je rappelle tout de même que le professeur Sambuc est un spécialiste des maladies nosocomiales.
M. Jean-Louis LORRAIN, rapporteur - Dans la mesure où le ministre nous a interpellés sur ce thème, je voudrais vous demander si vous estimez que les infections nosocomiales et les fautes professionnelles doivent faire l'objet du même traitement, comme il me semble que c'est l'orientation actuelle du texte ?
Professeur Roland SAMBUC - Peut-être n'ai-je pas saisi correctement le sens de votre question, car il me semblait au contraire que le texte avait, par ses différents titres, une grande cohérence, dans la mesure où il affirme l'obligation de communiquer en amont au patient l'information sur les risques qu'il peut encourir dans le système de soins, ainsi que sur les événements iatrogènes indésirables qui se sont produits lors d'une intervention. Le texte prévoit enfin un mécanisme d'indemnisation qui fait la part de l'aléa thérapeutique et de la responsabilité. Si je reconnais que le Haut comité n'a pas été en mesure dans ce domaine d'approfondir la faisabilité des mécanismes complexes d'indemnisation, il me semblait qu'une certaine cohérence d'approche avait été maintenue dans l'ensemble du texte. Cette cohérence permet d'ailleurs de déculpabiliser les acteurs de soins à l'égard d'événements qui sont le plus souvent inévitables et indépendants de toute faute. La déclaration obligatoire des infections nosocomiales telle qu'elle est prévue me paraît irréaliste si elle ne s'accompagne pas d'une information systématique du patient.
M. Jean-Louis LORRAIN, rapporteur - Je trouvais que la notion d'infections nosocomiales était trop systématiquement associée à celle de faute. En tout état de cause, il faudra définir le contenu de l'information obligatoire des patients, puisque son non-respect peut permettre de caractériser une faute.
Professeur Roland SAMBUC - Il est en effet nécessaire que le texte indique clairement le fait que certains accidents peuvent être le résultat d'un mécanisme purement aléatoire ou même résulter de la faute du patient. Par exemple, refuser un examen des narines susceptible de déceler la présence de germes induit un risque opératoire dont il faut faire comprendre l'importance. D'autre part, combien de germes sont importés dans l'hôpital par des visiteurs ? Bien des infections nosocomiales sont en réalité des infections communautaires.
M. Dominique LECLERC - Le président de la CNAM a expliqué, au cours d'une récente émission de télévision, avec la suffisance qu'on lui connaît, qu'il fallait impliquer encore davantage la CNAM dans tout le système évaluatif et de contrôle des connaissances et des pratiques médicales. Je ne sors pas d'une faculté de médecine, mais j'avoue ne pas être de cet avis. Je ne comprends pas comment vous pouvez accepter qu'après avoir fait sept ans d'études, quatre ans d'internat, trois ans de clinicat et obtenu la possibilité, honoré du titre de spécialiste, d'exercer un art médical, on vienne conditionner votre droit d'exercer à une formation continue. Comment pouvez-vous tolérer une telle remise en cause de vos acquis à la sortie d'un cursus aussi long ?
Professeur Roland SAMBUC - Votre incompréhension est partagée par les professionnels de santé, comme en témoignent les difficultés que l'on rencontre dans la mise en oeuvre de la formation continue. Le fait qu'il soit prévu qu'un praticien puisse s'acquitter de ces obligations en allant présenter un petit rapport à l'Ordre départemental achève de décrédibiliser cette approche. Il reste que l'accélération du progrès thérapeutique figure parmi les grandes tendances caractérisant le système de santé et cela aussi bien au niveau des techniques ou des technologies que des avancées de la médecine fondées sur les preuves. Dans ce contexte évolutif nous sommes obligés, à l'instar des pilotes d'avions ou des ingénieurs, de nous former en permanence. Le concept même de formation continue, s'il est moins axé sur des contrôles de connaissances que sur la mise en oeuvre de nouvelles techniques ou méthodes de raisonnement diagnostique ou thérapeutique, me paraît honorer les professionnels. Dans cette optique, il est essentiel que les professionnels prennent en charge eux-mêmes, sinon le contenu même des programmes, du moins le déroulement de ces formations. Cela pourra se faire, non pas par le biais de l'assurance maladie, mais plutôt au niveau de l'ANAES, puisqu'elle est bien acceptée par les praticiens, notamment du fait de sa composition largement professionnelle.
Je voudrais insister également sur la nécessaire émergence des pratiques de prévention dans le système de santé. De ce point de vue, la décision récente de mettre en oeuvre des programmes nationaux de dépistages des cancers du sein, de l'utérus et du colon constitue l'officialisation d'une approche recherchant le maximum de bénéfices pour le patient avec le minimum de risques. La généralisation de ces programmes de prévention par les praticiens de terrain va montrer la nécessité d'être accrédité pour accomplir parfaitement tel geste de prévention ou tel examen radiologique. Cette initiative entraînera sûrement une meilleure adhésion à la formation permanente et à l'accréditation des professionnels, y compris, à terme, dans des domaines autres que la prévention.
M. André LARDEUX - Au risque d'être provocateur, je rappellerai que le principal droit du citoyen est le droit à la lisibilité des institutions qu'il a en face de lui. A cet égard, quelle instance, parmi les cinq que nous auditionnons aujourd'hui est, à votre avis, en surnuméraire ?
La prévention ne fonctionne pas bien en France parce que l'Etat décide de campagnes que la CNAM et les conseils généraux financent. Qui doivent être, selon vous, le décideur et le financeur dans ce domaine ?
Professeur Roland SAMBUC - Au sujet de l'information du citoyen et de la multiplicité des institutions, je rappelle que l'un des objectifs lointains, et presque utopique, du Haut comité de la santé publique est l'amélioration de l'appropriation par le citoyen des problèmes de santé. De ce point de vue, des lieux de débat tels que les états généraux de la santé peuvent être aussi efficaces que des organes de presse.
La multiplication des institutions chargées de prévention et de gestion des problèmes de santé publique n'est pas souhaitable. Il faut parvenir à réduire le nombre des institutions afin de simplifier le système actuel. Il existe plus d'une centaine de régimes d'assurance maladie alors que l'on pourrait très bien envisager d'unifier et de globaliser les administrations qui les gèrent. Il y a là des gains de productivité évidents à réaliser. De même, des structures fédératives comme les ARH ont été créées au niveau régional, sans que pour autant on supprime les DRASS ou certains organes de l'assurance maladie. On assiste, un peu comme dans l'évolution biologique, à un empilement progressif des centres nerveux.
Concernant la différence entre le Haut comité de la santé publique et la Conférence nationale de santé, il me semble que le premier est davantage le représentant des professionnels, alors que la seconde réunit plutôt des experts. Il faut, pour renforcer la prise en compte des problèmes de santé, parvenir à créer des relations fonctionnelles entre les différents ministères. La prévention des accidents de la route ne peut être conçue sans une participation du ministère de l'intérieur ou des Ponts et Chaussées. Pour ce faire, il faudrait donner plus d'importance au ministère de la santé en ne le rattachant plus au ministère de l'emploi ou du travail. Au niveau local, il faudrait que toute question débattue dans les collectivités territoriales (projets autoroutiers, industriels, etc.) soit également envisagée sous l'aspect de la santé.
Le système qui délègue aux conseils généraux des pouvoirs de financement en matière de prévention et de prise en charge des personnes âgées ne cadre pas avec la logique d'ensemble de la loi. Il est toutefois concevable que ces programmes puissent être conduits sur la base d'un cofinancement entre les conseils généraux et l'assurance maladie par le biais d'un guichet unique.
En matière de prévention, je pense que l'Etat doit conserver son rôle central, sur la base des conseils de l'ANAES ou des sociétés savantes, en matière d'élaboration des programmes de dépistage. Ces programmes doivent ensuite être mis en application par des professionnels accrédités, par exemple par l'ANAES. Les citoyens doivent quant à eux être informés, par le futur institut ou les instances régionales, de l'avantage qu'ils ont à participer à ces programmes. Enfin, ces programmes doivent être évalués et supervisés. Or il manque, à ce niveau essentiel, d'acteurs pertinents capables de juger des résultats effectifs des campagnes initiées, afin notamment de faire évoluer les outils mis en oeuvre en fonction des besoins (numerus clausus, autorisation de lits d'hôpitaux ou de cliniques). Il me paraît en effet justifié qu'à chaque niveau de la politique de prévention correspondent des institutions spécialisées.
M. Jean-Claude ETIENNE - Vous nous avez fait part de votre souci à propos de l'absence de lien entre les problématiques de santé et le niveau régional. Que peuvent faire, selon vous, les instances locales et les collectivités territoriales dans cette perspective, pour éviter de se borner à contribuer à diffuser l'information auprès des citoyens ?
Professeur Roland SAMBUC - Je suis très heureux que vous partagiez mon souci d'associer davantage les élus à la gestion des problèmes de santé. Je rappelle que les maires président les conseils d'administrations des hôpitaux, ce qui constitue une responsabilité considérable. La loi aujourd'hui en discussion prévoit que le Conseil régional de santé comporte en son sein des représentants des conseils généraux et régionaux. C'est un pas important, dans la mesure où la sensibilisation des élus en matière de santé doit aller de pair avec celle du citoyen. Il faut que l'on débatte aussi simplement de la santé que lorsqu'il s'agit de décider de l'implantation ou non d'un troisième aéroport en Ile-de-France. Nous devons oeuvrer contre l'existence de tabous dans notre domaine, surtout lorsque l'on connaît la masse des dépenses publiques qui est en jeu.
M. LE PRESIDENT - Monsieur le professeur, madame le rapporteur général, nous avons apprécié vos témoignages et compris au travers de vos explications que vous vous exprimiez non seulement au nom du Haut comité de santé publique, mais en tant que grands professionnels. Votre audition était nécessaire, et je ne manquerai pas de vous convier pour d'autres occasions devant la commission des Affaires sociales, afin que vous nous fassiez part de vos lumières.