B. DES PISTES À APPROFONDIR
1. Renforcer et améliorer la politique de conservation
a) La Commission, dans le Livre vert, propose de mettre en oeuvre une gestion pluriannuelle écosystémique. Une approche pluriannuelle devrait aider à écarter de graves inconvénients résultant de la fixation annuelle des TAC et des quotas, à savoir l'ajournement des décisions délicates pour l'avenir et de soudains changements, d'une année à l'autre, en ce qui concerne le volume des TAC.
Elle suggère également d'adopter des mesures techniques plus énergiques (matériel sélectif, méthodes de pêche moins agressives pour l'environnement), destinées à protéger les juvéniles et à réduire les rejets et d'établir des projets pilotes en vue d'expérimenter des mesures qui n'ont pas été appliquées jusqu'à présent, par exemple l'interdiction des rejets ou la fermeture de zones en temps réel.
Elle souhaite, par ailleurs, mettre au point un système permettant de mesurer les progrès réalisés grâce à la PCP en matière de développement durable, ainsi que l'efficacité des programmes et mesures de gestion, au regard des objectifs assignés.
Enfin, la Commission se dit partisane de conserver le principe de la stabilité relative (clef de répartition des quotas entre Etats depuis 1983) et de maintenir le régime d'accès à la zone comprise entre la limite des 6 milles et 12 milles et au Shetland Box.
b) La France s'accorde avec la Commission pour juger que le régime communautaire des TAC et quotas est un bon moyen de conservation et de gestion des ressources, de même qu'un instrument pertinent de régulation de la production et de répartition des accès, reposant sur des bases historiques objectives et simples, à condition toutefois d'être réellement respecté par tous.
La reconduction du principe de la stabilité relative des activités de pêche, que propose la Commission, constitue un acquis politique majeur qu'il faut impérativement préserver puisqu'il garantit un droit d'exploitation sûr et durable sur la base des antériorités de pêche et qu'il répond au souci de stabilité du cadre juridique de base du règlement de 1992 exprimé par les professionnels. Au demeurant, les règles communautaires en vigueur ne défavorisent pas la pêche française.
La France souhaite que les TAC et quotas redeviennent un instrument central de gestion des ressources car la limitation des captures par la détermination au niveau européen de Totaux Admissibles de Capture (TAC) et leur répartition entre Etats sous forme de quotas nationaux présentent plusieurs avantages :
- en tant qu'instrument de gestion de la ressource, il s'agit de l'outil le plus direct. A cet égard, il est aussi le mieux compris par la profession.
- en tant qu'instruments de régulation et de répartition des accès, les TAC et quotas s'appuient sur des bases historiques objectives et simples. Dans ce sens, ils permettent une grande clarté dans les critères d'allocation, alors même que l'effort de pêche est un paramètre technique dont le mode de mesure est encore aujourd'hui mal cerné.
Il convient de rappeler l'opposition française à une patrimonialisation des droits de pêche , affirmée dans la loi d'orientation de 1997. La majorité des professionnels français redoutent les effets pervers des quotas individuels transférables (QIT) évoqués dans le Livre Vert -concentration des capitaux, spéculation-. Ils considèrent que la répartition des quotas relève de la compétence des Etats membres, au titre de la subsidiarité, et souhaitent conserver le système français de répartition des quotas par organisations de producteurs (OP) ainsi que les possibilités d'échanges entre Etats membres qui apportent une souplesse utile au régime des TAC et quotas.
Des ajustements doivent toutefois être proposés pour redonner au régime des TAC et quotas toute son efficacité :
- gérer les TAC sur une base pluriannuelle, ce que la Commission envisage également. Une approche pluriannuelle contribuera à régler le conflit récurrent entre les impératifs socio-économiques de court terme, impliquant nécessairement une progressivité dans les variations des TAC, et la gestion de la ressource sur les moyen et long termes ;
- augmenter le nombre de stocks couverts et mieux prendre en compte la pêche simultanée d'espèces différentes. En effet, certains stocks étant fréquemment capturés simultanément, leur gestion ne peut être considérée séparément ;
- renforcer et harmoniser les contrôles au niveau communautaire ;
- impliquer les professionnels dans le processus d'élaboration des TAC afin d'accroître la concertation et la transparence, donc la compréhension, et de partager la responsabilité de gestion de la ressource ;
- développer la recherche afin d'améliorer l'évaluation des stocks, la connaissance des espèces, des engins et des pêcheries.
En matière de recherche , si le Livre vert reconnaît qu'il importe de placer l'interdisciplinarité des sciences (y compris économiques et sociales) au coeur des processus de formulation des avis scientifiques et de promouvoir la transparence et la publicité de ces derniers lorsqu'ils sont rendus disponibles, il n'insiste pas sur la nécessité d'y impliquer les professionnels. Or, il importe aussi que le secteur de la recherche puisse coopérer avec les professionnels, dont l'expérience et les connaissances permettront la mise en oeuvre des solutions techniques et technologiques les plus adaptées.
Surtout, il faudrait développer une contre-expertise, permettant d'apprécier la qualité des évaluations scientifiques disponibles, éventuellement de pouvoir les remettre en cause par des études plus complètes ou mieux documentées et d'orienter le champ d'investigation de la recherche aux domaines et aux espèces qui représentent le plus grand intérêt pour le secteur des pêches de la Communauté dans son ensemble.
Un tel débat scientifique apparaît indispensable pour asseoir la crédibilité des TAC, que le processus actuel de fixation est loin d'assurer.
Tel est, aujourd'hui, le processus décisionnel : le point de départ, chaque année, est un rapport élaboré par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), créé en 1902, où se retrouvent les experts de dix-neuf pays. L'avis du CIEM propose des TAC par espèces et par zones, en distinguant entre des TAC analytiques, établis sur la base d'évaluations que les scientifiques estiment vérifiées, et les TAC conservatoires, destinés à protéger une espèce en danger, sans que des données précises permettent de le prouver complètement 1 ( * ) . Les conclusions de cet avis sont généralement confirmées sans modification par les biologistes du Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP), placé, depuis 1979, auprès de la Commission, puis par la Commission elle-même. Ensuite, intervient la décision du Conseil où les Etats membres ont tendance, certaines années, à se mettre d'accord pour augmenter sensiblement les TAC, pour des raisons économiques et sociales.
Ce système n'est pas satisfaisant parce qu'il ne s'assure pas une concertation suffisante.
Comme le souligne M. Jacques Oudin, il n'existe pas de véritable dialogue entre les instances d'expertise : en réalité, ce sont en grande partie les mêmes experts que l'on retrouve au sein du CIEM et au sein du comité scientifique de la Commission. Il n'y a donc jamais de contre-expertise , de sorte que l'avis qui se dégage de ces comités est considéré comme une donnée indiscutable par la Commission, alors que les marges d'incertitude sont en réalité considérables et que les modalités de mise en oeuvre du principe de précaution par les TAC conservatoires prêtent à débat: le cas de l' anchois , qui s'est trouvé surabondant alors que l'on annonçait l'épuisement des stocks, en est une illustration. Et le Conseil, quant à lui, prend souvent ses décisions en fonction de considérations socio-politiques.
Ainsi, la fixation des TAC manque de crédibilité. Nul ne peut comprendre, comme on le voit régulièrement, des propositions de TAC en diminution de 50 ou 60 %. Cela signifie soit que les bases étaient mal déterminées, soit que le suivi de l'effort de pêche n'a pas été effectué correctement.
Si l'idée d'une gestion pluriannuelle des TAC est retenue, il devient encore plus nécessaire de partir de bases solides. Cela suppose un débat scientifique, avec expertise et contre-expertise , ainsi qu'un débat entre les experts, les professionnels et les institutions, de manière à déboucher sur des décisions qui soient comprises par tous.
Tel est loin d'être le cas aujourd'hui.
Comme le rappelle M. Jacques Oudin, la pêche minotière -destinée à la production de farines de poissons- en est un exemple : cette pêche n'a jusqu'à présent jamais été contestée, alors qu'elle représente un prélèvement important sur la ressource (1,5 million de tonnes environ chaque année), sans commune mesure avec le prélèvement qu'opéraient les thoniers français dans le Golfe de Gascogne avec les filets maillants dérivants. Un million et demi de tonnes de pêche minotière (réalisée pour l'essentiel par le Danemark) représente presque autant que la pêche espagnole et la pêche française cumulées, toutes espèces confondues. Le Danemark est parvenu à faire admettre que la pêche minotière, visant des espèces non comestibles, n'avait pas d'impact sur la ressource. Mais comment croire que cette pêche ne réalise pas de captures annexes et ne nuit pas à la chaîne alimentaire ?
On voit qu'il est impératif de restaurer la confiance dans le processus de décision. Le « Livre vert » va dans ce sens en préconisant une meilleure « gouvernance » de la pêche , notamment un dialogue avec les professionnels: c'est une orientation qu'il convient de soutenir et compléter par l'exigence d'un débat scientifique approfondi sur l'évolution de la ressource, si nous voulons arriver à des décisions mieux fondées, plus rationnelles.
c) Il faut, en outre, encourager la mise en oeuvre d'instruments complémentaires de gestion de la ressource.
Afin de compléter la « panoplie » des outils de la politique de conservation, qui serait recentrée autour de TAC et quotas améliorés par les dispositions ci-dessus, des pistes, auxquelles le Livre vert ne fait qu'allusion, méritent d'être explorées : amélioration de la sélectivité des engins, arrêts temporaires de pêcherie (notamment pendant les périodes de frai)...
- L'amélioration de la sélectivité des engins de pêche
La capture des juvéniles, le volume des rejets et surtout la surexploitation de certains stocks comme le merlu et le cabillaud font particulièrement l'objet de l'attention des autorités communautaires. Chacun s'accorde à dire qu'il vaut mieux « trier sur le fond que trier sur le pont ».
Or des professionnels soucieux d'une exploitation maîtrisée de la ressource ont, de leur propre initiative et avec une aide technique et scientifique -notamment de l'IFREMER-, testé des engins sélectifs afin de limiter les captures accidentelles non désirées et ont obtenu des résultats prometteurs (réduction jusqu'à 60 % de la prise des poissons trop jeunes).
Ainsi, parmi les dispositifs « trieurs » mis au point par l'IFREMER, on peut citer la « maille carrée » (panneau constitué de mailles qui ne se referment pas, placé en fond de chalut), très efficace pour certaines espèces (mais pas le merlu), la nappe séparatrice, qui permet de capturer des langoustines dans le bas du chalut et de laisser les merluchons s'enfuir par le haut, et surtout la grille, qui oriente les juvéniles vers un système d'évacuation.
Il serait par ailleurs souhaitable que tout nouvel engin de pêche ou amélioration substantielle d'un engin existant fasse l'objet d'un agrément, peut-être communautaire, avant de pouvoir être exploité commercialement. Ceci éviterait le développement d'engins peu respectueux d'une gestion saine de la ressource. A l'inverse, une telle étude préliminaire aurait pu sauver le filet maillant dérivant d'une interdiction obéissant à des motifs plus politiques que techniques.
Les filets maillants dérivants ont été interdits sans qu'il y ait eu preuve scientifique de leur nocivité : cette technique a été victime, en réalité, de la pression conjointe des associations écologistes -qui voyaient dans ces filets un danger pour les dauphins- et des pays dont la flotte se trouvait concurrencée. Cette situation avait été reconnue en décembre 1991 avec une grande franchise par le commissaire européen chargé de la pêche, M. Manuel Marin : « Avoir raison ou tort sur les effets qu'a la pêche germonière française sur les mammifères marins n'a plus guère d'importance (....). Quant à moi, je constate simplement qu'il y a un sentiment général de l'opinion publique qui s'impose et je ne veux pas risquer la réputation de la pêche européenne pour trente bateaux qui pêchent au filet dérivant ». On observera que, pour obtenir une majorité pour l'interdiction des filets maillants dérivants dans le Golfe de Gascogne, une exception fut finalement faite pour la mer Baltique, afin de rallier les Etats du Nord.
A ce sujet, votre rapporteur demande que, face aux incertitudes persistantes sur les fondements scientifiques de l'interdiction du filet maillant dérivant pour la pêche au thon germon, le gouvernement obtienne la suspension de la mise en oeuvre du règlement CE/1239/98 du Conseil, dans l'attente de la refonte complète de la politique commune de la pêche. Il fait valoir que 400 emplois de marins-pêcheurs seraient encore sacrifiés, si cette interdiction était maintenue .
C'est donc encore un renforcement de la recherche qui est souhaité afin de trouver des solutions adaptées à chaque prise accessoire par des mesures de prévention, d'échappement ou de valorisation commerciale .
- Les arrêts temporaires de pêcherie
L'arrêt temporaire de pêcherie constitue un repos biologique tout comme le cantonnement. Il s'en distingue par le fait qu'il n'est pas dirigé sur un secteur géographique mais sur une espèce.
Ce système a l'avantage d'être plus facilement contrôlable, le navire devant soit rester à quai, soit ne pas détenir de captures de l'espèce concernée à bord. Il est déjà pratiqué en Bretagne depuis longtemps pour certaines activités (pêcheries de Saint Jacques fermées d'avril à octobre, ou d'araignées, du 1 er septembre au 15 octobre).
Néanmoins, s'il devait être étendu à d'autres pêcheries, il serait nécessaire d'en évaluer l'impact économique afin de programmer un étalement des arrêts sans lequel l'activité et la gestion des ports seraient difficiles. D'autre part, les professionnels ne pourront accepter l'extension de cette solution à de nouvelles espèces que si des compensations financières sont prévues, du moins dans un premier temps.
En la matière, le succès du mode de gestion drastique de la coquille Saint-Jacques a valeur d'exemple : en réponse à l'épuisement des stocks, une gestion serrée a été mise en place autour de quotas, établis sur le fondement d'estimations scientifiques approfondies de l'état des stocks, de temps de pêche limités et contrôlés, et d'accès limité aux seuls bateaux ayant acquis la licence de pêche à la coquille Saint-Jacques. La préservation de cette ressource est ainsi assurée d'une manière qui pourrait inspirer la future politique commune de la pêche.
* 1 Cf. Christian Lequesne, L'Europe bleue , Presses de Sciences Po , 2001