B. DES FAIBLESSES PERSISTANTES MALGRÉ CERTAINS PROGRÈS
1. Des insuffisances endémiques
Souvent
liées aux singularités qui viennent d'être décrites,
les faiblesses de la recherche française concernent principalement :
- la mobilité de ses personnels
- son pilotage
- son évaluation
- la valorisation de ses travaux.
a) Le manque de mobilité
La
mobilité des chercheurs demeure insuffisante à tout point de
vue :
- entre secteurs public et privé
- au sein de la recherche publique entre :
- enseignement supérieur et organismes de recherche,
- recherche et métiers associés (formation, administration,
communication...),
- et différentes disciplines.
Cette déficience résulte, en partie, de problèmes
culturels (absence d'esprit d'entreprise et de goût du risque,
corporatisme qui freine l'accueil de chercheurs dans les établissements
d'enseignement supérieur...)
Elle constitue un échec de la loi de 1982.
Elle freine les redéploiements thématiques nécessaires et
l'interdisciplinarité ainsi que la reconversion, lorsqu'elle s'impose,
des chercheurs dont les facultés créatrices commencent à
décliner, vers des métiers associés à la recherche
(tâches administratives, enseignement, expertise, diffusion de la culture
scientifique, etc.)
Dans son dernier rapport public, la Cour des comptes observe que la
mobilité des chercheurs est particulièrement faible dans les EPST
(à l'exception de l'INRIA qui a su profiter du dynamisme du secteur des
STIC pour faciliter les départs vers l'entreprise ou l'enseignement
supérieur).
Le ministère de l'Education nationale, de la recherche et de la
technologie admet, en réponse, que « le statut adopté
en 1983 n'a pas eu d'effet positif sur la mobilité des personnels, ni en
ce qui concerne la mobilité inter-établissement, ni en ce qui
concerne la mobilité vers l'industrie. »
De fait, le taux d'accueil de chercheurs extérieurs n'a
été, en 2000, que de 0,16 pour le CNRS, 0,57 à l'INRA,
0,15 à l'INSERM, selon l'une des réponses au questionnaire
budgétaire de votre rapporteur.
Aux Etats-Unis, la mobilité de la recherche est assurée par le
renouvellement des « post-docs ».
Ces derniers sont affectés à plein temps mais, pour une
durée déterminée, à des travaux dans les
disciplines émergentes, encouragés par la NSF. Ces investigations
peuvent, lorsqu'elles motivent suffisamment les enseignants, les conduire
à demander un congé pour s'y consacrer pleinement pendant un
certain temps.
b) Les problèmes de « gouvernance » de la recherche
En
réaction aux cloisonnements excessifs entre différentes
catégories d'acteurs de la recherche et au morcellement des institutions
publiques concernées, le Gouvernement a multiplié les structures
de coordination et les modes de coopération :
- actions concertées incitatives (ACI)
- réseaux nationaux de recherche dans différents domaines
(télécommunications, santé, etc...)
- programmes de recherche interdisciplinaires (transports terrestres,
composants...)
- GIS (groupement d'intérêt scientifique) comme l'institut de
la longévité qui vient d'être créé ;
- IFR (instituts fédératifs de recherche)
- CNRT (centres nationaux de recherche technologique) pour coordonner les
efforts publics et privés de recherche par exemple sur les piles
à combustible (Belfort), le génome humain (Evry) ou les
micro-nanotechnologies (Grenoble).
Le FNS et le FRT sont également utilisés pour la promotion
d'actions nouvelles ou à caractère pluridisciplinaire.
Le dispositif de valorisation de la recherche (transferts de technologie,
développement de l'innovation, aides à la création) est
tout aussi foisonnant.
Ces créations qui correspondent à de louables intentions n'ont
fait que généraliser le phénomène
« d'empilement des structures » dénoncé par
le Cour des comptes, dans le domaine biomédical.
Elles ont aggravé la complexité et le manque de lisibilité
de notre système de recherche et rendu plus difficile encore son
évaluation.
Le foisonnement des organismes de recherche n'est certes pas propre à la
France.
Il existe
- en Allemagne plus de 800 institutions subventionnées par
l'État dont 30 centres Max Planck, 300 fondations etc...
- au Japon 565 universités, 15 instituts nationaux de
recherche technologique.
Mais la coordination de l'ensemble des intervenants, y compris au niveau
gouvernemental, semble généralement plus simple et plus claire
à l'étranger qu'en France.
On y distingue généralement :
- des organismes consultatifs chargés d'éclairer les choix
du Gouvernement :
Office for Science and Technology Policy (OSTP aux Etats-Unis
Office of Science and Technology (OST) en Grande-Bretagne,
Wissenschaftsrat (WR) en Allemagne,
« Science Council of Japan » et « Council
for Science and Technology» au Japon
- des agences de « moyens », déjà
évoquées, qui coordonnent les financements : NSF aux Etats-Unis,
Research Councils spécialisés britannique, Deutsche
Forschungsgemeinschaft (DFG) et Fraunhofer Gesellschaft (FHG)
allemands
16(
*
)
, Science and
Technology Agency japonaise
17(
*
)
,
- des agences « thématiques » travaillant dans
les différentes disciplines, aux côtés des
universités, sans qu'un organisme équivalent au CNRS vienne
compliquer la donne.
Certes, le système germanique est lui aussi complexe, du fait de la
structure fédérale de l'État allemand et le FNS et le FRT
français jouent un peu, sans le dire, le rôle d'une agence
gouvernementale de moyens mais la répartition des rôles à
l'étranger paraît plus rationnelle. Il n'y a pas notamment, de
multiplication de conseils et de comités placés auprès de
l'exécutif (CSRT, CNER, Conseil national de la Science...).
Les rigidités liées au statut de chercheur fonctionnaire à
vie, les cloisonnement divers, l'existence du CNRS, l'empilement des structures
rendent très difficile le pilotage du système de recherche
français qui souffre aussi d'un déficit d'évaluation
c) Le déficit d'évaluation
Votre
rapporteur qui insiste chaque année sur ce point, ne peut que
déplorer qu'aucun progrès n'ait été
réalisé dans l'évaluation de l'ensemble de la recherche
française (pour ne pas évoquer celle des chercheurs et de chaque
organisme).
Les difficultés qu'il a éprouvés pour obtenir des
données lui permettant d'effectuer des comparaisons internationales
sont, à cet égard, révélatrices.
Les travaux de l'OST sont certes remarquables mais ils n'ont qu'un
caractère statistique.
Les indicateurs 2001 ne sont pas encore disponibles et le rapport annuel
d'évaluation du CSRT pour l'année qui s'achève n'est
toujours par paru.
L'actuel directeur de l'observatoire, précité, des sciences et
des techniques (OST), M. Barré, a déclaré, en novembre
1999, au cours d'une conférence débat sur le bilan de la loi de
1982 :
« Je suis scandalisé de cette incapacité
que nous semblons avoir à développer notre connaissance sur notre
système de recherche, ce qui limite aujourd'hui notre analyse et nos
possibilités d'action. C'est également l'un des syndromes de
notre mal ».
Votre rapporteur partage cette indignation, particulièrement en ce qui
concerne l'appréciation de l'efficacité des dépenses du
FNS et du FRT, sur laquelle le Parlement manque toujours aussi cruellement
d'éléments.
La capacité d'expertise et d'étude dont dispose notre
ministère de la recherche ne semble pas être à la hauteur
de celle des conseils, précités, qui évaluent les
recherches américaines (NSF), britannique (OST et Research Councils),
allemandes (WR) ou japonaises (Science Council et Council for Science and
Technology) pour le compte de leurs gouvernements respectifs.
d) Une valorisation décevante
« Les redevances de brevet ne sont pas à la
hauteur
de notre potentiel scientifique » : le constat a
déjà été dressé, en juillet 1998, par le
rapport Guillaume.
Ce document déplorait, en outre, une particulière faiblesse de la
France concernant les domaines industriellement les plus prometteurs
(biotechnologies et technologies de l'information).
Un rapport ultérieur du Commissariat au Plan a ensuite insisté ,
en 1999, sur l'ampleur du retard de la France par rapport aux autres pays en
matière d'appropriation de la recherche publique et la
nécessité de sensibiliser nos institutions à la
défense, étrangère à leur culture, de leurs droits
de propriété industrielle.
Il y était souhaité que soit étudiée la
possibilité de prendre en compte les effets de divulgations
antérieures tout en maintenant le système du premier
déposant.
La situation ne semble guère, malheureusement, s'être
améliorée sur le plan global.
Un récent rapport de la Commission européenne nous place, en
effet, (secteurs public et privé confondus), au dernier rang des quinze
pays de la communauté en ce qui concerne le pourcentage de croissance
annuel de nos dépôts de brevets européens et
américains.
Il s'agit, en outre, d'un point faible de l'Europe dans son ensemble par
rapport aux Etats-Unis et au Japon.
Le succès américain résulte de la mise en place,
dès 1980, d'un cadre législatif et opérationnel
particulièrement attractif pour les universités et les PMI.
Le Bayh-Dole University and Small Businesse Patent Procedure Act de 1980 leur a
accordé, en effet, lorsque leur recherche était cofinancée
par des fonds fédéraux, la propriété intellectuelle
de leurs découvertes et a donné aux universités le droit
de les transférer sur la base de licences exclusives.
Fonctionnant de façon totalement indépendantes, des offices of
Technology Licencing (OTL) constituent des interfaces et des médiateurs
institutionnels au sein des universités et des laboratoires
fédéraux, vis-à-vis des investisseurs privés.
L'activité de transfert de technologies des universités est dix
fois plus importante que celle des laboratoires fédéraux.
La législation applicable à ces derniers
18(
*
)
a été moins
incitatrice et le caractère majoritairement non exclusif des licences
qu'ils accordent paraît inadapté aux impératifs
stratégiques et technologiques des industriels.
Au contraire, les universités cherchent à obtenir des concessions
d'exclusivité (option agreement) ou à échanger, dans le
cadre de leur politique d'essaimage, un apport de brevet contre une
participation dans la startup qui en est issue (Equity Policy).
Au total, près de 75 % des brevets pris par l'industrie
américaine sont liés aux recherches publiques. Le fait que les
performances des universités (dont les travaux sont plus
académiques) soient nettement meilleurs que celles des agences
fédérales (aux activités plus finalisées) prouve
que la recherche fondamentale ne pâtit pas du dynamisme des transferts de
technologie.
Sans doute la loi sur l'innovation et la recherche a-t-elle voulu s'inspirer de
cette réussite américaine. Mais on ne peut, encore une fois, que
déplorer à ce sujet le retard de publication de son décret
d'application sur les SAIC.
Cette loi a eu néanmoins des effets incontestablement positifs.
2. Des progrès en matière d'incitation à la création d'entreprises innovantes
Concernant les créations d'entreprises par les
chercheurs,
elles auraient atteint, selon le ministère, la centaine en 2000, contre
20 seulement en moyenne pour les années précédentes,
grâce à l'application de la loi sur l'innovation et la recherche
du 12 juillet 1999.
Selon la cinquième édition du tableau de bord de l'innovation,
5.370 entreprises auraient été crées durant le second
semestre 2000 dans les secteurs technologiquement innovants, soit une quasi
stabilité par rapport au premier semestre 2000, mais une forte
progression (+ 33 %) par rapport au second semestre 1999.
De nombreux organismes publics de recherche ont créé des filiales
spécialisées dans la valorisation (FIST, au CNRS, INRIA
transfert), des incubateurs (comme Paris-Biotech) ou des fonds
d'amorçage.
Le rapport Busquin, précité, de la Commission européenne,
souvent peu flatteur à notre égard, nous place en position
honorable en ce qui concerne la croissance de 1995 à 2000 du capital
risque (nous figurons au 4
ème
rang devant l'Allemagne, le
Royaume-Uni et le Japon mais en moins bonne place en pourcentage de notre PIB
avec un taux de 0,39 millièmes contre 1,16 aux Etats-Unis,
0,99 au Japon, 0,50 en Allemagne).