CHAPITRE DEUX
DES FAIBLESSES PERSISTANTES,
MALGRÉ CERTAINS
PROGRÈS,
FAUTE DE RÉFORMES D'ENVERGURE
La législature qui s'achève aura vu également persister beaucoup des faiblesses traditionnelles de la recherche française, à l'exception, notable, du soutien à la création d'entreprises innovantes, faute de réformes suffisamment ambitieuses ;
I. SINGULARITÉS ET FAIBLESSES DE NOTRE RECHERCHE
A. LES SINGULARITÉS FRANÇAISES
1. Concernant la répartition des financements
a) Un rôle important de l'Etat
La part de l'Etat dans le financement de la DIRD 10( * ) bien que désormais conforme à la moyenne européenne, demeure supérieure en France à ce qu'elle est chez les principaux pays de l'OCDE (notamment au Japon).
L'intervention de l'Etat dans le financement de la DIRD
Pays de l'OCDE |
Part de l'Etat dans le financement de la DIRD (%) |
|
1992 |
1998 |
|
Union européenne |
41,3 |
39,1 |
France |
44,8 |
39,1 |
Allemagne |
36,3 |
35,2 |
Royaume-Uni |
37,6 |
35,9 |
Etats-Unis |
41,7 |
33,8 |
Japon |
23,8 |
26,2 |
OCDE |
38,5 |
34,5 |
*
Données 1997
Source : OCDE, traitement MEN-DPD C3
b) Des dépenses militaires dont l'importance a fortement diminué
La proportion de notre DIRD militaire nous distingue de l'Allemagne et du Japon, bien qu'elle ait baissé davantage chez nous qu'aux Etats-Unis ou dans le Royaume-Uni, pays dans lesquels, elle joue aujourd'hui un rôle plus important 11( * ) .
L'orientation civile/militaire de la R&D
Pays de l'OCDE |
DIRD miliaire/DIRD (%) |
|
1992 |
1998 |
|
France |
16,8 |
10,1 |
Allemagne |
4,1 |
2,2 |
Royaume-Uni |
16,3 |
14,8 |
USA |
21,9 |
16,1 |
Japon |
2,2 |
ns |
Source : OCDE, traitement MEN-DPD C3
A ce recul, davantage accentué, correspond une plus forte
régression de la part de la DIRD des entreprises françaises
financées par des crédits publics.
Le rôle de l'Etat dans le financement de la R&D des entreprises
Pays de l'OCDE |
DIRDE/DIRD (%) |
DIRDE*
financée par
|
|
1998 |
1992 |
1998 |
|
France |
62,0 |
16,5 |
9,0 |
Allemagne |
67,8 |
10,1 |
8,7 |
Italie |
53,7 |
11,5 |
13,3 |
Royaume-Uni |
65,8 |
13,8 |
11,6 |
Etats-Unis |
74,6 |
20,8 |
13,1 |
Japon |
71,2 |
1,2 |
2,2 |
Source : OCDE, traitement MEN-DPD C3
La recherche des entreprises n'est donc pas particulièrement
subventionnée en France tandis que celle des administrations l'est
davantage aux Etats-Unis (95 % contre moins de 90 %).
2. Concernant l'organisation de la recherche
a) La place des universités
La place
des universités dans la recherche est moins éminente en France
que dans les pays anglo-saxons.
Il est difficile d'évaluer avec précision l'ensemble des
moyens
dont dispose la recherche universitaire française.
Ceux qui sont recensés dans le BCRD (cf. tableau de la page 9)
apparaissent sensiblement inférieur aux ressources allouées aux
organismes de recherche (480 M € contre 5 659 M€).
Mais, du fait qu'ils se trouvent noyés dans la masse des crédits
de l'enseignement supérieur, il est possible que leur estimation souffre
de certaines omissions ou imprécisions, notamment en ce qui concerne les
dépenses relatives aux ITA (ingénieurs, techniciens,
administratifs) ou aux locaux (en raison du caractère très global
du projet Universités du troisième millénaire).
L'intégration de l'ancien agrégat « recherche
universitaire » dans celui regroupant l'ensemble des moyens de
l'enseignement supérieur rend la tâche plus malaisée encore.
Il conviendrait, en outre, de tenir compte d'un côté de ce que
beaucoup de soi-disant enseignants chercheurs n'effectuent, en
réalité, aucun travail de recherche, mais qu'à l'inverse,
les universités bénéficient de concours du CNRS ( dans le
cadre de contrats quadriennaux qui concernent plus d'un millier d'unités
mixtes ou associées).
Enfin, les ressources de la recherche universitaire comprennent des subventions
des collectivités territoriales (prévues, notamment par les
contrats de plan État-région) ainsi que des contributions des
entreprises au financement de travaux conjoints.
Le budget de l'enseignement supérieur a plus que doublé en France
depuis 10 ans mais dans quelle mesure cela a-t-il
bénéficié aux activités de recherche ?
Une nette amélioration des taux d'encadrement des étudiants
notamment en personnel administratif et technique, a, en outre,
été enregistrée depuis 1995, avec un décalage
cependant par rapport à l'évolution des effectifs qui tendent
à diminuer.
Toutefois, il ne s'agit que d'une simple correction qui n'a pas suffi à
empêcher la position relative de la France de demeurer médiocre
(avec un enseignant chercheur pour 18 ou 19 étudiants contre 13 à
15 au Japon, en Allemagne ou aux Etats-Unis).
Certes, un effort très important en faveur de la recherche universitaire
est poursuivi par les pouvoirs publics avec :
- 1000 créations d'emplois d'enseignants prévus en 2002
- une hausse conséquente, la même année, des
investissements et des dotations en soutien de base.
Mais ces moyens, selon notre comité d'évaluation des politiques
publiques, apparaissent mal gérés et évalués :
l'ajustement aux évolutions démographiques laisse à
désirer, la connaissance, le contrôle et la répartition des
emplois sont jugés déficients par la Cour des Comptes. Les
présidents d'universités ne sont pas à même, comme
aux Etats-Unis, de mener une véritable politique de
recrutement
12(
*
)
et le
déroulement des carrières des enseignants chercheurs ne facilite
pas toujours l'excellence.
Malgré les efforts accomplis et quelle que soit l'imprécision de
leur estimation, les ressources de la recherche universitaire française
apparaissent sans commune mesure avec celles dont dispose son homologue
américaine.
Cette dernière bénéficie, en effet :
- de droits d'inscription élevés et des dons de riches anciens
élèves reconnaissants ;
- de divers concours de la part des entreprises (recherches parrainées
ou menées conjointement, apports en capital...) ;
- enfin, de financements fédéraux (subventions et contrats) et
d'importants revenus de licences.
Le constat qui peut être effectué au sujet des
performances
de la recherche universitaire française aboutit
à des conclusions analogues à celles qui viennent d'être
présentées concernant ses moyens : difficulté
d'appréciation, progrès sensible, infériorité par
rapport aux pays anglo-saxons.
Il existe sur divers campus, d'excellents laboratoires universitaires, le plus
souvent associés au CNRS (aéronomie à Jussieu, physique
à Orsay).
L'université française souffre cependant de la concurrence des
grandes écoles, autre originalité de notre pays, qui
écrèment une grande partie des meilleurs élèves du
secondaire, pour en faire davantage des ingénieurs que des chercheurs.
Par ailleurs, les liens universités-entreprises sont encore
insuffisamment développés en France. L'esprit d'entreprise ne
fait pas partie, comme aux Etats-Unis, de la culture universitaire.
Or, le nombre de CIFRE (Conventions industrielles de formation en entreprise
par la recherche), même s'il a dépassé, en 2000, le seuil
de 700, reste faible, en comparaison de celui des doctorants qui excède
les 10 000.
En outre, les universitaires ne représentent qu'un peu plus de la
moitié de ce total (56,3 %), la proportion d'ingénieurs
demeurant donc importante.
Par ailleurs, le retard de parution du décret de la loi sur l'innovation
et la recherche concernant les SAIC (services d'activités industrielles
et commerciales), toujours non publié à ce jour, n'a
évidemment pas contribué à améliorer la
valorisation des travaux de recherche de nos universités.
Or, les performances des pays anglo-saxons sont, sur ce point, bien
supérieurs aux nôtres :
- aux Etats-Unis, où grâce à des dispositions très
efficaces
13(
*
)
, les
résultats des universités, en matière de transferts de
technologie, sont dix fois supérieurs à ceux des laboratoires
fédéraux ;
- en Grande-Bretagne, où peuvent être citées en exemple les
universités d'Oxford (100 brevets et 10 créations
d'entreprise ces deux dernières années) ou de Leeds, Sheffield et
York qui, ensemble, ont encaissé, ces dix-huit derniers mois,
2 millions de livres sterlings de revenus de licences et ont
été à l'origine de la naissance de
8 sociétés.
Plus généralement, une étude de l'OCDE
14(
*
)
datant de 1999 (mais qui se
référe hélas à des données de 1991) aboutit
aux conclusions suivantes, en ce qui concerne le bilan comparatif de notre
système d'enseignement supérieur ;
- performances moyennes en terme de coût-efficacité sans prise en
compte des activités de recherche (les critères retenus,
étant les ressources consacrées à l'enseignement
supérieur, le taux d'accès et les résultats en terme
d'obtention d'un diplôme et d'un emploi sur le marché du
travail) ;
- détérioration sensible de nos résultats lorsqu'entrent
en considération des mesures quantitatives ou qualitatives des
activités de recherche (nombre de publications, dépenses,
situation des diplômés sur le marché du travail...).
Le meilleur moyen pour les universités françaises de mener des
travaux de recherche de qualité demeure l'association avec le CNRS ou
d'autres organismes publics.
b) Le rôle du CNRS
Créé en 1939 pour remédier aux
déficiences de la recherche universitaire, le CNRS constitue un
organisme unique en son genre par le fait qu'il couvre, par ses propres moyens,
la plupart des disciplines scientifiques et de leurs applications.
La coexistence, dans le domaine des sciences et techniques, d'activités
publiques menées par les universités, d'une part, et par des
organismes entièrement dédiés à la recherche,
d'autre part, n'est pas en revanche, propre à la France.
D'autres pays sont dotés, d'autre part, d'institutions
généralistes comme la National Science Foundation (NSF)
américaine ou pluridisciplinaires comme la société Max
Planck allemande.
Mais il s'agit alors :
- soit d'agences dites de moyens (expression malheureuse dans la mesure
où elle ne disposent justement pas d'instruments de recherche qui leur
soient propres) qui distribuent des aides en fonction de certaines orientations
et procèdent à des évaluations (cas de la NSF, aux
très vastes compétences
15(
*
)
ou des Research Councils
spécialisés britanniques, de la Science and Technology Agency
japonaise) ;
- soit d'établissements intervenant dans des domaines qui, bien que
parfois assez larges, demeurent tout de même limités (sciences
naturelles, biologiques et humaines pour la société Max Planck,
agences thématiques américaines comme le National Institute of
Health ou le Departement of Energy, etc.).
En Allemagne, existent aussi des instances pluridisciplinaires de coordination
des recherches (union des académies allemandes de la science,
communauté des sciences Gottfried Wilhehm Leibniz etc.)
Avec son budget de 13,4 milliards de francs, ses
20.000 employés (10.237 chercheurs permanents et
9.798 ITA en 2000) et ses 136 unités propres de recherche
répartis dans toutes les disciplines, le CNRS est un poids lourd
champion toute catégorie par ses dimensions.
c) Le statut des chercheurs
La
proportion, dans la recherche française, de chercheurs à temps
complet et à vie, bénéficiant d'un statut proche de celui
de la fonction publique constitue une dernière exception
française.
Ce « modèle français » a été
institué par la loi d'orientation et de programmation du 15 juillet
1982 pour la recherche et le développement technologique de la France
(L.O.P.).
Concernant la condition des chercheurs, la LOP avait cherché à ce
qu'elle :
- constitue une sorte de consécration du rôle social
éminent des intéressés (garantie de carrière) ;
- tienne compte des singularités de la recherche, notamment de la
diversité de ses métiers (y compris la formation, l'information,
la valorisation et l'administration...), des nécessités de
favoriser la mobilité (qui devait être favorisée par des
dispositions statutaires communes) et de déroger, sur certains points
(recrutement sur titre, évaluation par les pairs...) aux règles
de la fonction publique.
Par comparaison, les pays anglo-saxons ont beaucoup plus largement recours
à des personnels sous contrat.
Les post-doctorants, notamment, jouent un rôle important dans la
recherche universitaire américaine et britannique.
Ils y occupent souvent des fonctions pendant une durée
déterminée, inférieure ou égale à une
dizaine d'années, dans l'attente d'une situation stable.
Plus de la moitié d'entre eux, aux Etats-Unis, devront trouver un emploi
dans le secteur privé, en faisant valoir leurs états de services
universitaires antérieurs que les entreprises sauront, davantage qu'en
France, apprécier à leur juste valeur.
Pour obtenir, dans une université américaine, un poste (tenure)
d'enseignant chercheur à vie (« Full professor »)
vers 40 ans, il faut d'abord avoir fait ses preuves, sous contrat, en tant
qu' « associate professor ».
Comme l'a observé la Cour des comptes, les organismes publics de
recherche français ont, eux aussi, recours à des personnels
contractuels (vacataires, boursiers, contrats emploi-solidarité ou
à durée déterminée), mais dans une proportion
très limitée, si ce n'est à l'INRIA.