N° 5
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 10 octobre 2001 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif aux musées de France ,
Par M. Philippe RICHERT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernard Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2939 , 3036 et T.A. 669
Sénat : 323 (2000-2001)
Culture. |
EXPOSÉ GENERAL
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes enfin saisis de la réforme, depuis longtemps annoncée mais maintes fois repoussée, de l'ordonnance du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musées des beaux-arts et nous ne pouvons que féliciter le gouvernement d'avoir fait aboutir un projet de loi que nous attendions depuis près de dix ans.
Cependant nous regretterons que l'urgence ait été déclarée par le gouvernement et que nous ne puissions bénéficier des délais accordés par la navette pour améliorer un texte décevant à bien des égards.
Ce texte ne participe pas à l'évidence du même souffle que les décisions des assemblées révolutionnaires ordonnant, en réaction à la vague iconoclaste, de « préserver et de conserver honorablement les chefs d'oeuvres des arts, si dignes d'occuper honorablement les loisirs d'un peuple libre », à la suite desquelles furent créés le conservatoire national des arts et métiers, le muséum d'histoire naturelle et le muséum central des arts installé au Louvre.
Loin de redéfinir les ambitions d'une politique nationale des musées, le projet de loi a comme principale conséquence de permettre à l'État de renforcer son autorité sur les musées.
En privilégiant une approche administrative de l'action conduite par l'Etat en ce domaine, le statut de « musée de France » proposé ne correspond à l'évidence ni aux mutations qu'ont connues les musées depuis les années 1970 ni aux acquis de la décentralisation.
Cette appréciation, que certains ne manqueront pas de qualifier de sévère, a été partagée par l'Assemblée nationale qui, dans un souci bien compris de protection du patrimoine national, a complété le projet de loi par une série de dispositions financières destinées, d'une part, à relancer le mécénat en faveur des musées et, d'autre part, à donner à l'État les moyens nécessaires à l'enrichissement des collections muséographiques.
Si les mesures proposées sont perfectibles, votre commission s'est félicitée de ces initiatives qui remédient à une lacune patente du projet de loi, qui laissait croire que le seul moyen de garantir la pérennité des collections était de s'arc-bouter sur les acquis du passé plutôt que d'assurer pour l'avenir, dans une perspective dynamique, les moyens de leur enrichissement.
Toutefois, au delà de cet aspect financier, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale conserve encore nombre des défauts du texte présenté par le gouvernement. Votre commission s'attachera à les gommer en freinant la tentation centralisatrice qui a inspiré le projet de loi mais également en favorisant une modernisation des modes de gestion des collections muséographiques.
I. UNE RÉFORME LONGUEMENT MÛRIE MAIS PEU ABOUTIE
A. ACTUALISER LE CADRE LÉGISLATIF APPLICABLE AUX MUSÉES
1. Prendre en compte une nouvelle conception du musée
Le projet de loi, qui nous est soumis, présente au moins un mérite, celui d'engager une réforme maintes fois repoussée.
En effet, l'élaboration de ce texte depuis longtemps annoncé, a connu une genèse longue et semble-t-il difficile au sein des services du ministère de la culture.
Une première tentative de réforme avait échoué : en effet, le projet de loi relatif aux musées, aux établissements publics territoriaux à vocation culturelle et aux restaurateurs du patrimoine déposé au Sénat le 21 janvier 1993 n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de la Haute Assemblée.
Depuis, les avant-projets et les ministres de la culture se sont succédés sans que le Parlement ait été saisi d'un nouveau texte.
Ce processus traduit sans doute la difficulté d'élaborer un cadre législatif unique, applicable à l'ensemble des musées, cela pour deux raisons : d'une part, l'absence d'une autorité unique exerçant la tutelle sur les musées relevant de l'Etat, et, d'autre part, l'importance prise en ce domaine par les initiatives des collectivités locales.
A l'évidence, le projet de loi qui nous est soumis prend acte de l'évolution qu'ont connu au cours des dernières années les musées plus qu'il n'inaugure une politique nouvelle.
En effet, les musées ont connu depuis les années 1970 une mutation profonde qui a conduit à modifier profondément leur place dans la vie culturelle de la Nation.
A la faveur des nombreux chantiers de rénovation et de la création de nouvelles institutions, s'est imposée une conception modernisée du musée, marquant l'aboutissement d'une volonté politique, née dès les années 1930 et relancée dans l'immédiat après-guerre, de faire des musées non seulement des instruments de conservation du passé mais également des lieux d'éducation ouverts à tous, vecteurs privilégiés d'une politique active de démocratisation culturelle. Cette conception s'est traduite tant dans les projets architecturaux que dans la présentation des collections.
Parallèlement, le champ couvert par les collections muséographiques s'est étendu à de nouvelles disciplines permettant de saisir l'histoire dans ses dimensions sociales, économiques ou techniques. Ainsi, par exemple, dans la voie ouverte par Georges-Henri Rivière et Henri Rivet à travers la création du musée des arts et traditions populaires, ont été créés nombre d'éco-musées ou de musées de sociétés.
A l'effort de l'Etat, engagé notamment dans le cadre des grands travaux, s'est ajouté le mouvement issu de la décentralisation qui a réveillé l'intérêt des collectivités locales pour leurs musées, intérêt quelque peu endormi depuis le XIXe siècle, période pendant laquelle les dépôts de l'Etat, relayés par l'activité déployée par les sociétés savantes, avaient permis d'essaimer la notion de musée, telle que définie pendant la Révolution, à travers l'ensemble du territoire.
Cette évolution qui n'a pas été propre à la France, la plupart des pays occidentaux connaissant également un renouveau de leurs musées, a rencontré la faveur du public.
Entre 1973 et 1997, dernière année connue, la proportion de Français fréquentant les musées est passée de 27 % à 33 %. Traduction d'une plus grande ouverture des musées, on relèvera notamment la progression de la fréquentation des jeunes de 15 à 19 ans, qui est passée de 38 % en 1989 à 44 % en 1997.
L'ensemble des musées français représentait une fréquentation annuelle estimée entre 52 et 53 millions de visiteurs en 2000. Les seuls musées nationaux accueillaient, la même année, 14 millions de visiteurs, contre 3 millions en 1960 et 5,7 millions en 1987.