D. AUDITION DE M. FRANÇOIS LOGEROT, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES

M. LAMBERT, Président. - Monsieur le Président, au nom de la commission des finances et des commissaires qui y siègent ou sont venus la rejoindre dans le cadre de nos travaux sur l'ordonnance, je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue. C'est votre première visite depuis votre nomination dans vos hautes fonctions. Notre commission à la chance de vous connaître depuis plusieurs années en tant que président de la première chambre, et les travaux que nous avons pu mener en commun nous encouragent vivement sur le contenu de la coopération que la Cour pourra nous apporter, dans le futur, pour les missions qui nous sont confiées. Je veux vous exprimer des voeux de chaleureuse bienvenue dans notre commission.

Comme vous le savez, nous sommes engagés dans une oeuvre exigeante qui est celle de la réforme de l'ordonnance de 1959 et nous avions souhaité vous voir pour échanger avec vous sur cet important sujet.

En introduction, je voudrais vous dire que nous savons tous ici que la Cour a des missions à la fois juridictionnelles et de contrôle. Nous souhaiterions savoir, à l'occasion de cette audition, comment vous analysez l'impact du texte de cette réforme sur les différentes missions de la Cour. Nous serions heureux de savoir si ce diptyque spécialisation des crédits par programmes et fongibilité des crédits vous semble de nature à faciliter ou, inversement, à rendre plus difficiles les contrôles de la Cour.

Dans un deuxième aspect, vous serez amené à certifier les comptes de l'Etat. Nous souhaiterions savoir quelles recommandations vous pourriez nous formuler du point de vue procédural, pour que le référentiel garantisse une vraie mise à niveau de notre comptabilité publique qui en a besoin, et la façon dont vous voyez la traduction concrète pour la Cour du passage de simple déclaration de conformité à la certification des comptes, puisque c'est la mission qui vous sera confiée.

Enfin, je voulais vous demander comment nous pouvons envisager de revisiter la relation entre le Parlement, et la Cour, puisque la Constitution prévoit sa mission d'assistance. Nous nous posons la question de savoir, dès lors que le contrôle deviendra de plus en plus exigeant et que les besoins d'évaluation sortiront renforcés de cette réforme, si la Cour sera en mesure de répondre à des commandes qui pourraient lui être passées par le Parlement pour l'assister dans ses contrôles sur pièces et sur place.

Cette idée vous paraît-elle imaginable ? Serait-il possible par exemple de prévoir que les rapports transmis par la Cour à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances soient systématisés et comportent une analyse et certaines annexes explicatives transmises au Parlement par le Gouvernement, de manière à nous permettre de juger de leur sincérité ? Ce sont des éventualités nouvelles et il me semble que cette réforme doit être une occasion de refaire le point sur la mission d'assistance de la Cour au Parlement.

Tous mes collègues, et tout d'abord le Rapporteur général, auront de nombreuses questions à vous poser.

M. LOGEROT.- Monsieur le Président, je vous remercie de votre accueil. J'exprime également le plaisir que j'ai à tenir cette réunion aujourd'hui avec vous. Comme vous l'avez rappelé, j'ai eu l'occasion, en accompagnant M. Joxe, de participer déjà à un certain nombre de vos réunions à propos de l'exécution des lois de finances et, plus récemment encore, vous m'aviez appelé, ès qualité de président de la première chambre, à déposer devant vous, quand vous vous étiez constitués en commission d'enquête sur les conditions d'élaboration et d'exécution des lois de finances.

Je connais les préoccupations du Sénat, je sais le rôle qu'il joue dans le contrôle de l'Etat et, tout particulièrement, de l'exécution de son budget, et je voulais vous donner d'emblée l'assurance que je veillerai à ce que la Cour des comptes réponde aux attentes du Sénat qui sont constitutionnellement légitimes et le sont de toutes les façons puisque le Sénat est l'une des deux Assemblées du Parlement.

Je tenterai de répondre aux questions que vous avez bien voulu poser de façon assez synthétique de manière à laisser à d'autres intervenants le soin de poser également les questions qu'ils souhaiteraient me poser.

Tout d'abord, concernant l'impact du texte tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale et tel qu'il ressortira des travaux des deux Assemblées, je voulais formuler un commentaire très général sur la place de la Cour dans les institutions et notamment sur sa mission d'assistance au Parlement.

Comme vous le savez, la Constitution prévoit expressément l'assistance au Parlement et au Gouvernement, à la fois pour l'exécution des lois de finances et l'examen de l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale. Dans la façon dont ce rôle est formulé par la Constitution, je vois une illustration de la position, en quelque sorte médiane, que la Cour occupe à l'égard de cette mission entre le Parlement et le Gouvernement.

C'est une position qui assure son autonomie relative à l'égard des pouvoirs constitutionnels et qui est, par ailleurs, d'après moi, cohérente avec le statut de juridiction que depuis des temps très reculés les Constitutions lui ont donné et reconnu ainsi que les lois et, également, avec la qualité de magistrat de ses membres.

C'est un rappel que je voulais faire pour bien marquer que, par rapport à des institutions supérieures de contrôle de certains pays étrangers -je pense notamment aux auditeurs généraux des pays anglo-saxons- la Cour n'est pas exactement dans la même position puisqu'aussi bien, comme vous le savez, ces institutions sont des auxiliaires directs du Parlement, dont le programme de travail dépend -sinon uniquement du moins en grande partie- du Parlement.

Il est certain que le texte en cours de discussion est tout à fait important et je voulais souligner d'emblée que la Cour ne pouvait que se réjouir pour sa part que le Parlement dans ses deux assemblées ait décidé de prendre à bras le corps le problème de la révision de l'ordonnance de 1959 dont on peut rappeler que, compte tenu de ses conditions d'élaboration et de promulgation, elle était avant tout l'expression de ce que le pouvoir exécutif de l'époque entendait poser comme règles pour l'élaboration et l'exécution des lois de finances.

Non seulement l'environnement et les conditions extérieures ont changé depuis 40 ans mais, également, la volonté d'un certain rééquilibrage des pouvoirs entre les institutions amène à se poser la question du contenu de cette loi organique et de son adaptation aux nécessités de l'époque.

Je pense qu'il faut souhaiter que ce mouvement aille jusqu'à son terme. Vous-même, Monsieur le Président, et de concert avec le Rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, aviez été amené à dire (c'est ainsi que la presse l'a rapporté) : « Malheur à qui ferait échouer cette réforme ! ».

La Cour des comptes s'inscrit tout à fait dans la démarche qu'ont annoncée les deux Assemblées et, par ailleurs, année après année, comme vous le savez, dans nos rapports successifs, nous avions -à de multiples reprises et sur de nombreux points- critiqué les défauts et les dérives du dispositif de 1959 en montrant ses lacunes.

Puisque vous me posez directement la question, ce texte ne peut pas ne pas avoir, pour autant que les orientations qui commencent à se dessiner soient effectives dans le texte définitif, d'impact sur les missions de la Cour.

La distinction à cet égard des missions en forme juridictionnelle de la Cour et celles en forme non juridictionnelle n'est pas nécessairement une division à reprendre. En effet, comme vous le savez, l'un de nos atouts est précisément de mettre en oeuvre simultanément les missions juridictionnelles à l'égard des comptables publics et des missions non juridictionnelles.

Je pense qu'il faudra de toutes les façons maintenir cette dualité de nos missions et leur complémentarité, si le texte de la loi organique n'a pas pour objet et n'a pas directement pour conséquence de remettre en cause les aspects proprement juridictionnels des missions de la Cour.

Je signale au passage que le système de comptabilité publique à la française qui est marqué par les deux principes fondamentaux de séparation des ordonnateurs et des comptables d'une part, et de responsabilité pécuniaire et personnelle des comptables d'autre part, est lui-même l'objet de réflexions, car l'on s'aperçoit que l'unification des systèmes d'information comptable, la multiplicité des réseaux par lesquels passent les flux financiers de l'Etat, un certain nombre de difficultés quant à la responsabilité des comptables amènent à des réflexions à ce sujet et nous avons entamé, notamment avec la direction générale de la comptabilité publique, des échanges de vues sur ces questions. Ce n'est pas directement dans le texte de la loi organique que l'on trouvera des indications précises sur ces aspects.

Il existe un aspect très particulier dont vous avez fait une question séparée, Monsieur le Président : celui de la mission de certification des comptes de l'Etat qu'il est envisagé de confier à la Cour. Je reviendrai plus en détail sur ce point très important.

Quant à la philosophie générale du projet de loi organique tel que l'Assemblée nationale l'a transmis au Sénat et tel que votre document de travail actuel le prévoit, il y a parmi les innovations centrales l'institution de missions et de programmes qui substituerait une présentation de la loi de finances par objectifs, à sa présentation actuelle par moyens, assortie d'un certain nombre de principes comme une fongibilité très élargie des crédits par rapport à la situation actuelle et, d'une façon générale, une globalisation tout à fait significative des autorisations budgétaires.

La gestion publique elle-même, avant même de savoir le rôle de la Cour, se trouvera-t-elle compliquée ou facilitée ? Sur ce point, il faut avoir une réponse nuancée. Sans doute, sera-t-elle assouplie, puisque les gestionnaires seront dans un ensemble de règles un peu moins contraignant sur les aspects budgétaires, mais avec la contrepartie qui est une responsabilisation croissante des gestionnaires des missions et des programmes.

Cela dit, pour aboutir à cet assouplissement assorti d'un renforcement de la responsabilité, il faut bien évidemment remplir certaines conditions préalables qui sont encore loin de l'être, comme la définition claire du périmètre des programmes, une relative stabilité de ce périmètre de manière que des comparaisons et des bilans sur plusieurs années puissent être établis ; l'explicitation d'objectifs simples et quantifiables et la définition de batteries d'indicateurs, qu'il s'agisse d'indicateurs d'activité, les plus simples à réunir, d'indicateurs de résultats qui sont déjà, dans un certain nombre de cas, plus difficiles à définir et concevoir, et des indicateurs d'impacts ; quels impacts réels les décisions budgétaires et l'exécution budgétaire ont-elles eus sur les situations, les publics et les cibles des actions et des politiques publiques ?

Deuxième question : l'exercice du contrôle en sera-t-il modifié ? Cela facilitera-t-il ou compliquera-t-il l'exercice de sa tâche par la Cour et, nous pouvons le dire, par le Parlement ?

Là aussi, je crois qu'il faut tendre à une situation d'équilibre. L'idéal pour le contrôleur serait sans doute de maintenir une situation qui est un peu le cauchemar du gestionnaire. Pour le contrôleur, plus la grille de références, la grille d'analyse à laquelle il se réfère est serrée et rigide, plus son travail lui est facilité et plus il est amené à observer et constater des dysfonctionnements et des transgressions de la règle.

Ce type de contrôle de régularité, qui a été longtemps le seul auquel se livraient les juges financiers, n'est sans doute pas le plus intelligent et le plus efficace à notre époque et, à la limite, au contraire, on peut considérer qu'il est paralysant et déresponsabilisant.

A l'inverse, l'idéal du gestionnaire serait de disposer d'une très large marge de manoeuvre à l'intérieur de vastes programmes, d'une fongibilité totale des crédits et, à ce moment, ce serait le cauchemar du contrôleur. Si la grille est aussi large, le contrôleur manque de bases pour établir, de façon objective et non pas subjective, ses constatations et ses observations destinées notamment à usage des parlementaires.

Il faut donc trouver un équilibre entre ces deux points. Nous retrouvons là le problème de la définition d'objectifs pas trop larges, à savoir de programmes qui n'embrassent pas la totalité des opérations d'une grande administration d'Etat. Je pense qu'il ne peut pas y avoir un seul programme de la police nationale parce qu'il serait tellement vaste que nous ne saurions plus à quelle aune examiner les résultats et les activités de ce grand service public de l'Etat. Il ne faut pas non plus des programmes trop étroits dont l'impact et les résultats seraient difficiles à discerner dans le cadre de budgets annuels.

J'indique à ce sujet que nous avons essayé de commencer à mesurer la transformation de notre rôle de contrôle de la gestion publique. Depuis l'année dernière déjà, plusieurs ministères ont élaboré des comptes rendus de gestions budgétaires dans lesquels apparaissent des éléments d'activité et des batteries d'indicateurs. Je citerai l'emploi et la solidarité, la justice, l'éducation nationale, la défense, l'aménagement du territoire, l'environnement et la fonction publique.

Nous tenterons, dans le rapport qui vous sera livré au mois de juin, de commenter ces indications préfigurant non pas la structure par programme, puisque nous sommes en présence d'agrégats budgétaires extrêmement larges, mais déjà la nouvelle démarche qui sera, si la loi organique est adoptée, la nouvelle manière de présenter les résultats d'exécution des budgets.

Probablement serons-nous amenés à critiquer l'imprécision des objectifs, la fiabilité et la pertinence d'un certain nombre d'indicateurs et nous allons essayer d'entrer dans cette nouvelle logique.

Le contrôle de la gestion publique par la Cour des comptes n'est évidemment pas contenu en totalité dans les rapports que nous vous remettons sur l'exécution de la de loi de finances. Comment pourrait-il en être ainsi, puisque ce travail est enserré dans un délai de quelques mois, entre la disposition des comptes et la remise des rapports et que, bien entendu, la Cour poursuit par ailleurs son programme de contrôle de fond, sur une base pluriannuelle, qui embrasse successivement les grands aspects de la gestion publique.

De ce point de vue, le rôle du contrôleur, me semble-t-il, ne sera pas modifié puisque les autres cadres de référence, qui sont les autres dispositions légales s'imposant aux gestionnaires, seront certes progressivement -nous l'espérons- modernisées, mais subsisteront. Je pense aux règles de la fonction publique. Je pense au code des marchés et, surtout, aux réglementations comptables.

Sur ce point, ce qui apparaîtra dans les rapports sur l'exécution des lois de finances continuera de n'être qu'un des aspects, l'un des moyens d'information du Parlement à travers les travaux de la Cour des comptes, et cette dernière continuera de fournir au Parlement et, à travers lui, à l'opinion, à travers ses rapports publics annuels, ses rapports publics particuliers, le très important rapport sur la sécurité sociale du mois de septembre, des analyses, des constatations permettant au Parlement de fonder ses propres appréciations.

Enfin -et même si le rattachement de cette question à la question que vous avez posée Monsieur le Président est peut-être un peu artificiel-, je voudrais insister sur l'importance, à côté de la modernisation de la présentation budgétaire, de la modernisation du système comptable de l'Etat.

Vous le savez, je n'ai pas besoin de développer ce point, parmi les grands Etats modernes et démocratiques, la France est plutôt de ce point de vue en retard et, globalement, à l'intérieur des institutions françaises, l'Etat est plutôt en retard par rapport aux collectivités territoriales (aux plus importantes qui appliquent maintenant l'instruction M14 et qui, de ce fait, appliquent un système de comptabilité d'exercice), en retard par rapport aux établissements publics car, d'ores et déjà, des expériences y sont en cours pour appliquer là aussi le système dit des droits constatés, et par rapport aux entreprises.

Ce point est très important puisque la Cour doit porter également une appréciation sur la manière dont la comptabilité de l'Etat est tenue, et un des aspects importants du projet de loi organique est de redéfinir, de replacer les opérations budgétaires dans un cadre comptable général, ce qui peut poser quelques problèmes du point de vue du domaine de la loi puisque, vous le savez -on peut le regretter mais c'est ainsi-, actuellement, l'article 34 de la Constitution ne consacre pas les principes d'organisation comptable générale comme étant du domaine de la loi. Il appartiendra éventuellement au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point, mais je pense que l'on ne peut pas imaginer qu'une loi organique relative à la loi de finances ne dise rien sur la comptabilité de l'État et ne s'exprime que sur la comptabilité budgétaire.

De ce point de vue, je voudrais vous indiquer que, nous concernant, le fait de continuer, dans le texte de la proposition de loi organique tel qu'il vous a été transmis par l'Assemblée nationale, à distinguer soigneusement la comptabilité budgétaire d'une part, qui continuerait d'obéir aux principes de comptabilisation des encaissements et des décaissements, et la comptabilité générale de l'Etat qui devrait appliquer les principes généraux et, notamment, retracer les charges et les produits ainsi que les charges à payer et les produits à recevoir, nous inquiète.

Je me permets, sur ce point, de vous renvoyer à l'analyse que nous avons faite dans l'une des fiches que nous vous avons transmises, en même temps qu'à l'Assemblée nationale au mois de janvier (la fiche n° 14 sur la comptabilité budgétaire). La Cour, en l'état actuel de la situation, regrette cette séparation, cette dichotomie, car la comptabilité budgétaire n'est qu'une partie, qu'un des éléments de la comptabilité générale de l'Etat, certes tout à fait important, mais le fait d'obliger à un retraitement des résultats budgétaires pour passer en comptabilité générale, de permettre le maintien d'une période complémentaire donnant lieu -nous l'avons bien vu dans les dernières années d'exécution budgétaire- à des ajustements de résultats, de méthodes différentes, d'une année sur l'autre, pour comptabiliser certaines opérations (je vous renvoie à nos derniers rapports), ne nous paraît pas aller dans le sens d'un progrès véritable et nous craindrions que pour 20 ou 30 ans, on continue encore de séparer artificiellement la comptabilité budgétaire de la comptabilité générale.

Bien évidement, il est nécessaire de disposer -et le Parlement en premier- d'un résultat de l'exécution budgétaire en encaissements/décaissements. Cela me paraît très clair. Parce que c'est ce résultat en trésorerie qui commande directement les besoins en trésorerie de l'Etat et donc, les moyens de financements extra-budgétaires que l'Etat met en oeuvre pour financer la charge, non seulement la charge en termes de résultats annuels, mais la charge en termes infra-annuels, au mois le mois et au jour le jour. Cela est clair, mais nous pensons que qui peut le plus peut le moins.

En prévoyant une comptabilisation en charges et en produits on peut à tout moment sortir une situation de trésorerie décaissements/encaissements, alors que la démarche inverse n'est pas possible.

Je me permets de souligner ce souci que nous avons, que tout au moins le texte de la loi organique, même s'il n'impose pas que dès sa promulgation la comptabilité de l'Etat réponde en tous points aux principes généraux comptables ne ferme pas la porte à cette évolution que la plupart des pays connaissent, même s'ils sont à des stades d'avancement très divers actuellement, et je me permets de rappeler au Sénat que, dans le cadre de l' International Federation of Accountants , un organisme international certes non gouvernemental mais qui fait autorité dans la profession comptable, il y a un comité du secteur public où la France est représentée par 2 personnes dont un conseiller maître à la Cour des comptes.

L'IFAC travaille (elle est sur le point d'aboutir) à des recommandations de normes comptables internationalement reconnues pour les organismes publics, retenant, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions, les principes généraux de comptabilité d'exercice pour les organismes publics, et il me semble que notre pays ne peut pas rester en retard ou en dehors de cette évolution.

J'en viens au deuxième volet des questions que vous avez posées et qui se relie à ce qui précède: la certification des comptes de l'Etat.

Ainsi que vous l'avez rappelé, la Cour des comptes, pour l'instant, se limite à un exercice assez vain intitulé « déclaration générale de conformité » qui a pu avoir un sens dans le passé et qui consistait à établir une conformité entre ce que l'on appelait les comptes des ministres (des ordonnateurs) et les comptes des comptables, à travers la centralisation qu'en faisait l'agence comptable centrale du trésor.

Depuis que les comptes des ministres n'existent plus en fait et ne sont plus que de simples annexes explicatives en matière budgétaire du compte général de l'administration des finances, certes signées par les ministres ou leurs délégataires, mais établis eux-mêmes par les services du ministère des finances, nous sommes amenés à déclarer une sorte de tautologie, et la vanité de cet exercice nous est apparue depuis plusieurs années.

Nous avons tenté d'élargir cette déclaration de conformité, de la rendre plus riche en l'assortissant d'observations tirées de nos contrôles sur l'exécution des budgets pouvant s'apparenter à des réserves de la part d'un commissaire aux comptes. Nous avons indiqué, sur les comptes de l'année 1999, que l'abus des comptes d'imputation provisoire de recettes était de nature à fausser le résultat budgétaire, en raison d'un montant beaucoup plus important que les années précédentes de recettes fiscales non imputées aux comptes définitifs.

Voilà un type d'observations assortissant notre déclaration générale de conformité qui, déjà, en renforce l'intérêt, mais qui sont loin d'en faire une véritable certification des comptes.

Cette certification des comptes n'est pas possible actuellement. Les comptes de l'Etat ne sont pas certifiables, car, pour ce faire, il faudrait que le contrôleur externe (le commissaire aux comptes d'une entreprise ou, dans le cas qui nous occupe la Cour des comptes), dispose d'un référentiel, à savoir d'un ensemble de normes comptables établies à l'avance et par rapport auxquelles le contrôleur vérifiera l'exhaustivité, la sincérité et la parfaite adéquation des comptes rendus à cet ensemble de normes.

Le premier travail à faire sera de définir les normes comptables de l'État, ce qui signifie remettre en chantier, parallèlement ou dès l'adoption de la loi organique, le règlement général sur la comptabilité publique de 1962.

Nous pensons que cette tâche devrait être confiée non pas seulement aux praticiens, à la direction générale de la comptabilité publique et la direction du budget ni même à la Cour des comptes qui pourra y apporter sa contribution si c'est souhaité, mais à un organisme sans doute ad hoc, peut-être le conseil national de la comptabilité ou une de ses formations spécialisées. Cela ne peut être ni l'exécutif seul ni la Cour des comptes seule ni sans doute le législateur puisque la question se pose de savoir dans quelle mesure le domaine comptable est ou non du domaine de la loi.

Je pense qu'il faudra songer à réunir un comité disposant d'une indépendance suffisante pour définir ce référentiel. A partir de là, il appartiendra à la Cour, progressivement, de se mettre en position d'assurer une véritable certification des comptes, mission nouvelle très consommatrice de moyens dont nous ne disposons pas actuellement, car si vous comparez les effectifs des commissaires aux comptes dans les grands cabinets internationaux, ou même nationaux, et que vous les rapportez au périmètre financier des comptes que la Cour serait censée examiner soit, si l'on y inclut la sécurité sociale, 4.000 milliards de francs d'argent public, les 300 personnes dont dispose la Cour des comptes, magistrats, rapporteurs et assistants - à supposer qu'elles se consacrent entièrement à cette tâche, ce qui est loin d'être le cas car nous avons nos autres missions - ne sont pas à l'échelle de ce problème.

Il est évident que la Cour des comptes devra être dotée des moyens de remplir cette mission que nous n'accomplirons pas du jour au lendemain.

Quelle que soit la rapidité avec laquelle le nouveau référentiel comptable de l'Etat sera défini, il faudra des temps d'adaptation pour l'administration et les comptables publics eux-mêmes. Je suppose, ainsi que nous l'avons indiqué dans l'une des fiches techniques que nous avions remises, que nous serons amenés à procéder à des certifications partielles.

Le périmètre de certification s'étendra peu à peu. On peut penser qu'en matière de recettes publiques, où le problème n'est pas très compliqué, nous aurons assez rapidement les moyens d'une certification. En revanche, à l'autre bout, sur le hors bilan de l'Etat, qui pose des problèmes importants et que nous tentons d'aborder dès le rapport sur la loi de finances 2000 (je vous l'indique au passage, Monsieur le Président) nous aurons beaucoup plus de mal et besoin de plus de délais pour certifier les comptes. Je pense que la Cour des comptes sera amenée à indiquer très clairement ce qui, dans le compte général de l'administration des finances, lui apparaît d'ores et déjà du domaine de la certification et ce qui n'en relève pas encore.

Concernant ce qui sera certifié, nous serons amenés à prononcer (j'ignore comment elles seront dénommées) des observations ou des réserves -pour reprendre la terminologie applicable aux commissaires aux comptes du secteur privé- qui serviront au Parlement à établir lui-même ses appréciations sur l'exécution du budget et les comptes de l'Etat.

Je me permets -et je vous prie, Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, de n'y voir aucune impertinence- de compléter la question que vous m'avez posée. Que fera le Parlement lui-même, et dans quel délai, de la certification des comptes assortie de réserves et d'observations faites par la Cour ?

Il lui appartiendra de déterminer les décisions qu'il prendra. Pourront-elles aller jusqu'à refuser le vote des lois de règlement ? Nous serions alors devant un problème inédit, mais dont la conséquence pratique n'apparaît pas très clairement et je me permets (là aussi sans aucune impertinence) de le dire au Sénat : dans quel délai ces lois de règlement seront-elles votées ? Je constate que le Parlement n'a pas encore voté définitivement (c'est pour bientôt) les lois de règlements 1998 et 1999.

Avec de tels délais d'approbation finale, la sanction donnée par le Parlement à ces projets de loi et, plus tard, à la certification des comptes, manquera probablement d'efficacité ou d'exemplarité. Je pense que les conséquences sur la Cour seront tout à fait évidentes en termes de délais, de moyens de travail et de professionnalisation. C'est tout à fait clair. Je pense aussi que cette certification et le nouveau style des lois de règlement auront nécessairement des conséquences sur le travail parlementaire de contrôle de l'exécution des lois de finances.

J'en viens au troisième volet de votre question, le plus novateur, celui qui interpelle le plus la Cour des comptes, puisque nous l'avons découvert dans toute son ampleur dans le document de travail actuel du Sénat.

De prime abord, les tâches nouvelles que le Sénat entend confier à la Cour et où je vois tout d'abord -et je vous en remercie- une marque de confiance, cette dimension nouvelle de notre rôle, nous paraissent déborder très largement dans les termes mêmes, la mission d'assistance au Parlement telle qu'elle est définie par la Constitution et telle que je l'avais rappelée de façon préliminaire.

Je me permets de rappeler très rapidement ce que la Cour apporte au Parlement : un rapport d'exécution des lois de finances dès le mois de juin. Cela a été en soit un progrès car, pour l'examen du projet de loi de finances de l'année N + 1, le Parlement dispose déjà d'un certain nombre d'analyses, certes non exhaustives, mais relativement détaillées sur les questions du budget de l'année N - 1, ce qui est un progrès par rapport à ce que l'on connaissait autrefois où ce rapport n'était disponible qu'au 1 er décembre au moment où le Gouvernement adoptait le projet de loi de règlement.

J'ajoute que nous l'avons complété, de façon quelque peu prétorienne avec l'assentiment des deux Assemblées, par un rapport préliminaire, beaucoup plus succinct, sur l'exécution budgétaire que nous vous remettons en prévision du débat d'orientation budgétaire et je vous indique, concernant l'année 2000, que ce rapport vous sera remis avant 15 jours.

Nous livrons également le rapport sur la sécurité sociale qui, vous le savez, représente un travail très important, qui se place dans un cadre institutionnel tout à fait différent, puisque les organismes de sécurité sociale, mis à part quelques établissements publics nationaux, ne sont pas des organismes de l'Etat et ne disposent pas de comptables publics et que, par ailleurs, c'est un domaine régi par une loi de financement propre, dont le contenu et l'aspect plus ou moins contraignant sont bien évidemment très différents de ceux des lois de finances, mais c'est un sujet que le Sénat connaît encore mieux que la Cour des comptes.

Nous publions également le rapport public annuel comprenant le plus souvent des monographies thématiques ou organiques sur certains sujets susceptibles d'intéresser une partie tout au moins des rapporteurs des différents budgets et, dans le même esprit, des rapports particuliers. Je mentionnerai ceux que nous avons remis l'année dernière et cette année, par exemple sur la fonction publique de l'État ou sur le soutien de l'Etat au secteur public financier.

Nous vous transmettons chaque année entre 40 et 50 rapports particuliers sur les entreprises publiques, puisqu'il a toujours été prévu depuis que la Cour a reçu cette mission en 1976, que ces rapports étaient directement transmis aux commissions des finances des deux Assemblées et, en vertu d'une disposition plus récente, le nouvel article L.135-5 du Code des juridictions financières, la Cour des comptes transmet aux commissions des finances tous les référés adressés aux ministres, assortis de leurs réponses, tout au moins celles reçues dans les 3 mois.

Cette disposition est de nature à enrichir l'information du Parlement. Nous tentons, quand nous en recevons, de répondre aux questions particulières qu'en vertu de la loi les commissions des finances des deux Assemblées et les commissions des affaires sociales sont habilitées à poser à la Cour, et j'indique également -mais vous le savez- que la Cour a apporté son concours et continue de le faire, à raison d'environ 20 séances par session, aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale.

Je ne tire aucune conclusion particulière de tout ce que je viens de rappeler, mais d'ores et déjà, si l'on tente de quantifier la part de nos moyens consacrés directement à des travaux destinés au Parlement ou que le Parlement attend de nous, plus du tiers des moyens de la Cour sont en permanence dévolus à ces tâches.

J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt du chapitre 2 intitulé : « Du contrôle » du document de travail actuel du Sénat . Y figure une première idée qui serait nouvellement inscrite dans la loi de manière que la Cour assiste les Parlementaires dans leur contrôle sur pièces et sur place.

Ceci pose un certain nombre de questions. Certes, je comprends bien que cette idée entre dans le champ du contrôle de l'exécution de la loi de finances. Ce n'est pas contestable mais, nous concernant, c'est en dehors de nos procédures traditionnelles, à savoir en dehors de l'examen des comptes rendus -appuyés de pièces justificatives- à la Cour, car l'on peut penser que ce seront des missions déclenchées, comme les commissions parlementaires en ont le droit, pour vérifier certaines opérations.

Je pense aux opérations de fin de gestion au moment même où elles se clôturent et où vous pourriez avoir besoin de vous entourer d'un concours et d'une coopération technique de la Cour.

Sans que nous ayons pu encore en délibérer, je vous indique ma première réaction. C'est une disposition envisageable, devant avoir lieu en toute clarté, à savoir que les services contrôlés sachent qu'il s'agit de contrôles déclenchés par les commissions du Parlement en vertu des pouvoirs dont elles disposent et pour lesquels elles ont demandé une collaboration technique de la Cour. Ces contrôles se dérouleront selon les procédures et les modalités que les commissions des finances ont arrêtées et presque nécessairement, pas selon les méthodes de la Cour, en particulier sans les délais de contradiction écrite ou orale qui, comme vous le savez, s'imposent à nous et sont parfois la raison de la longueur de nos procédures et des délais dans lesquels nous délivrons nos rapports.

Bien évidemment, cela nous posera un problème de moyens éventuellement. Cela dépendra de la fréquence de ces contrôles, mais je ne me sens pas autorisé à refuser d'emblée ce type d'assistance aux commissions des finances.

La deuxième idée qui a retenu mon attention n'est pas nouvelle, mais entourée de précisions apportées aux contributions que la Cour doit donner au Parlement dès lors qu'elle est saisie par l'une ou l'autre des commissions des finances, de demandes d'enquêtes étant entendu qu'il peut s'agir également de demandes formulées par les commissions d'enquête du Parlement.

Le délai maximum de 8 mois, prévu à votre texte, dans lequel la Cour devrait satisfaire à ces demandes est nouveau.

Nous appliquerons la loi. Mais je voulais vous rendre sensibles au fait que ce délai peut s'avérer très suffisant et peut-être trop long dans le cadre d'une demande d'enquête très ponctuelle mais, en revanche, sur une demande d'enquête impliquant l'examen d'une politique publique ou d'un grand nombre d'institutions, il peut se révéler parfaitement insuffisant.

J'émets quelque scepticisme sur la possibilité d'indiquer d'emblée dans une loi organique un délai de ce type.

Je ne fais que reprendre les remarques que la Cour vous a déjà présentées, Monsieur le Président, ainsi qu'à l'Assemblée nationale dans les temps anciens ; le problème du moment où ces demandes sont faites est pour nous très important, car une institution comme la Cour ne peut pas travailler sans un programme tenant compte d'un certain nombre de priorités. Celles que nous imposent nos missions premières, nos missions à l'égard du Parlement, de jugement des comptables publics dans un délai raisonnable, la mission de contrôle des comptes des entreprises publiques en groupant 3 ou 4 exercices mais, autant que possible, pas plus, et, sur la plage restant libre de notre potentiel, les sujets que nous choisissons.

Bien évidemment, les demandes d'enquête du Parlement doivent être prioritaires et je crois pouvoir dire que, dans le passé, il est déjà arrivé que la Cour soit amenée à modifier son programme en cours de route pour satisfaire une demande dans le cadre du Parlement. Si les demandes du Parlement peuvent nous parvenir au moment où nous constituons nos programmes annuels à l'automne, en octobre-novembre, il est bien plus facile de les intégrer d'emblée sans avoir à désorganiser des équipes et un programme de travail déjà en cours.

Je me permets de rappeler cette demande.

Sur ce point je ferai une dernière observation : je sais que l'exemple des institutions supérieures de contrôle étrangères est présent dans l'esprit d'un certain nombre de parlementaires à l'Assemblée comme ici et, notamment, le rôle que peut jouer le G.A.O. des États-Unis dans l'évaluation des politiques publiques et, plus généralement, comme auxiliaire du Congrès américain.

Je connais un peu le G.A.O. Il faut se garder en cette matière d'erreurs d'optique. Le G.A.O. ne travaille pas uniquement sur commande du Congrès ni même principalement. J'ai connu un de ses directeurs qui m'avait indiqué que 60 % du programme était celui que le G.A.O. définissait lui-même.

Quand des investigations qu'il a menées en vertu de son programme lui paraissent d'un intérêt suffisant pour retenir l'attention des parlementaires, il en informe le Congrès et lui dit : « Nous sommes prêts à vous donner dans quelques mois ou semaines les résultats de nos enquêtes sur tel ou tel type de dépenses fédérales ou telle ou telle agence fédérale ».

J'y vois plutôt une démarche un peu identique à celle que nous tentons d'avoir avec la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale, à qui nous indiquons en amont de la définition de son programme de travail : « Voici les domaines sur lesquels -s'ils vous intéressent et si vous souhaitez un concours de la Cour des comptes- vous pourrez avoir rapidement des éléments, car nous achevons ce contrôle ou il l'est déjà, la contradiction est faite et nos observations sont rédigées ».

Je préfère cela à l'idée selon laquelle la Cour des comptes pourrait très rapidement et « au presse-bouton », sur tous les sujets, répondre à toutes demandes d'enquête quelles qu'elles soient. Cela peut être envisagé, mais probablement avec des moyens et une pluridisciplinarité très supérieur à ce dont nous disposons actuellement.

Enfin, j'en viens à un troisième aspect où, comme vous l'avez rappelé Monsieur le Président, il s'agirait de systématiser les rapports que la Cour serait amenée à produire à l'appui des projets de loi de finances et, notamment, des rapports portant sur la pertinence des annexes explicatives, à savoir essentiellement les annexes qui, par ministère, définissent chaque année les moyens dans le nouveau cadre des missions et des programmes.

Je voudrais dire sur ce point que nous avons déjà essayé -et vous le verrez dans le prochain rapport du mois de juin-, de faire par ministère -pour les plus importants- (nous ne le ferons pas encore pour tous) une revue de l'exécution du budget, ce que nous faisons sous forme de monographies annexes. Nous essaierons de le faire systématiquement chaque année en nous appuyant sur les comptes rendus d'exécution budgétaire.

Dans les circonstances actuelles -car nous ne pouvons pas attendre le mois de juin et que les comptes rendus d'exécution budgétaire de 2000 soient rendus par tous les ministères-, nous nous appuierons essentiellement sur les comptes rendus budgétaires de l'année précédente et en sortirons des indications pouvant être utiles au Parlement, dans son appréciation des moyens nouveaux demandés dans le cadre du budget nouveau.

Pour le reste, j'ai bien compris qu'il ne s'agissait pas de demander à la Cour son avis sur la sincérité des prévisions (économiques et, notamment, de leurs conséquences sur les prévisions de recettes. Je crois en effet que cela supposerait soit que la Cour reçoive par la loi un accès direct et un pouvoir de commandement à l'égard de l'INSEE ou de la direction de la Prévision, soit qu'elle se constitue elle-même un corps d'experts économiques en mesure de discuter, à partir des mêmes sources d'information, les prévisions arrêtées par le Gouvernement.

Ce n'est pas ce dont il s'agit, mais plutôt de la pertinence formelle des annexes, par ministère.

Je ferai état à ce sujet de trois interrogations :

Premièrement, ce travail ne pourrait se faire qu'en s'appuyant sur les constatations de l'exercice précédent, en réalité ce qui figurera déjà dans nos rapports sur l'exécution des lois de finances, notamment quant au rythme de consommation des crédits. C'est déjà un élément sur lequel nous essayons de vous apporter des informations et, pour bien faire, il faudrait que ce soit également sur une expertise de la consommation des crédits dans l'exercice courant ; pas seulement N - 1, mais aussi N, de façon à vous éclairer complètement sur les conditions dans lesquelles on vous propose pour N + 1 telle ou telle demande de moyens.

Or, actuellement, la mission de la Cour repose sur des comptes rendus par les administrations et les comptables et sur des pièces justificatives produites à la Cour, soit systématiquement, soit à sa demande.

Déjà, sur ce point, la demande supplémentaire qui est faite ne correspond pas au cadre actuel et il faudra réfléchir à toutes les conséquences que cela pourrait avoir.

Deuxième observation de nature plus subjective : annexer systématiquement à tous les budgets ministériels aux « bleus » tels qu'ils seront dans la nouvelle forme, un avis de la Cour, revient, me semble-t-il, à juxtaposer à une proposition du Gouvernement, à savoir à un arbitrage le plus souvent de nature politique, un avis en principe technique mais dont on aurait du mal à le distinguer.

Une chose est de constater un taux de consommation des crédits qui est une donnée objective, mais ce ne peut être que le taux ressortant de l'exercice précédent, une autre est de formuler des appréciations sur le côté excessif ou l'aspect d'affichage d'une prévision de crédits. Car, après tout, le Gouvernement peut entre-temps s'être rendu compte du mauvais taux d'exécution des crédits, sur un chapitre, et s'être donné les moyens -mais ceci n'apparaît pas nécessairement dans le document budgétaire et demande une enquête et nécessite de poser des questions à l'administration- d'aboutir, dans l'exercice suivant, à un taux d'exécution satisfaisant.

Vous voyez la difficulté dans laquelle se trouvera la Cour pour asseoir sur des données réellement objectives et non pas susceptibles d'interprétations diverses des analyses sur ce point.

Troisième problème qui me paraît dirimant : celui des délais. Si pour apporter un avis systématiquement à toutes les annexes budgétaires, la Cour dispose, comme le Conseil d'Etat sur le projet de loi de finances, d'un délai de 10 ou 15 jours, cela me paraît complètement exclu.

Tout cela explique sans doute que le Conseil d'Etat se consacre surtout -autant que je sois informé- à fournir un avis au Gouvernement sur les dispositions fiscales des projets de loi, et principalement sur celles-là, avec les experts fiscaux dont le Conseil d'Etat dispose.

Ici, il ne s'agit pas d'un avis au Gouvernement, mais pour le Parlement enserré dans des délais extrêmement courts. A supposer que l'on nous donne 3 semaines au mois d'août, cela supposerait que les annexes explicatives soient prêtes début août, alors que ce n'est qu'à partir de fin août que nous commençons à en disposer et que la plupart tombent courant septembre au moment où le projet de loi de finances est adopté par le Gouvernement.

Je ne vois pas comment dans un si court délai, quels que soient les moyens supplémentaires dont nous serions dotés, nous pourrions répondre à cette demande.

Il existe peut-être une façon d'aller dans le sens du souhait du Sénat qui serait d'enrichir et d'actualiser au maximum notre rapport actuel sur l'exécution des lois de finances, disponible en juin, en essayant de donner au Parlement, à ce stade du mois de juin, quelques indications sur la situation du budget de l'année N, à savoir du budget en cours d'exécution.

Cela suppose également des moyens supplémentaires, un changement d'optique et de méthodes de travail, mais nous pourrions, dans le cadre de notre enquête sur l'exécution du budget N - 1, tenter d'actualiser nos observations pour que vous ayez une indication sur le fait que la tendance au report, à la sous-consommation des crédits, qui me paraît un exemple parlant, se retourne ou, bien au contraire, perdure.

Ce serait une indication qui se limiterait à la date de la fin du premier trimestre ou, au maximum, du mois d'avril.

Sur ce troisième volet des nouveautés que vous souhaiteriez inclure dans les missions de la Cour, je vous fais part de mes interrogations très fortes, en vous précisant que ce que je vous dis là l'est très largement en mon nom personnel et après avoir consulté les conseillers maîtres les plus directement intéressés à ce sujet, mais sans avoir pu procéder à une véritable consultation à la Cour et notamment de tous les Présidents de chambres, directement intéressés ; vous comprendrez que, sur ce point, je reste encore relativement prudent et circonspect.

M. LAMBERT, Président.- Merci, Monsieur le Premier Président, de cette communication très approfondie et qui -je comprends parfaitement les réserves que vous avez exprimées- nous permet d'avoir un certain nombre de réponses à des questions qui n'étaient que des pistes et sur lesquelles il était pour nous important d'avoir votre première réaction. Je vous remercie de l'avoir exprimée d'une manière aussi directe et aussi dépouillée de précautions qui auraient rendu le message moins compréhensible pour nous.

Je vous propose de poser vos questions successivement, et Monsieur le Premier Président y répondra.

M. BLIN.- Monsieur le Président a bien voulu à la fin de son propos évoquer le sujet que j'avais en tête en l'écoutant, à savoir la frontière délicate respectée entre la fonction de la Cour des comptes qui est juridictionnelle, normative d'une part et, d'autre part, le problème politique -osons l'adjectif, il est essentiel- qui est un meilleur contrôle des finances de l'Etat à travers les décisions prises par le Gouvernement et le contrôle que peut en faire le Parlement.

Vous avez dit à deux reprises que la Cour, surtout quand l'on envisage de la charger de tâches nouvelles dans des délais beaucoup trop courts n'a pas les moyens de contrôler véritablement 4 000 milliards de francs. Elle fait aussi bien qu'elle le peut, mais ne peut pas davantage. Ne nous faisons pas trop d'illusions.

La question que je me pose depuis longtemps : à condition qu'il le veuille, qu'il lui consacre le temps nécessaire, qu'il ait généralement une compétence relativement suffisante pour pénétrer les arcanes d'un Etat de plus en plus complexe, le parlementaire bien intentionné dispose-t-il des moyens dont il a besoin pour contrôler le suivi de la consommation des crédits ?

Pouvez-vous à la lumière de vos travaux que vous conduisez a posteriori tardivement et dans un esprit tout à fait différent de celui auquel je songe, qui est politique, nous dire si le Parlement peut réellement aujourd'hui assumer cette fonction de contrôle de l'exécutif ?

Vous avez évoqué le G.A.O. américain que nous connaissons bien ; je ne savais pas qu'il n'était pas entièrement à la disposition du Parlement. Peut-on envisager que nous disposions demain d'un organisme de contrôle qui ne serait pas vous, car vous êtes a posteriori, ni nous-mêmes car, soyons clairs, quand nous nous approchons d'un ministre et de ses collaborateurs, ils nous disent ce qu'ils veulent bien nous dire et il nous est difficile d'aller au-delà et quand nous tentons d'aller au-delà, cela fait de vifs grincements de dents et nous sommes frustrés, car nous restons à la marge.

M. CHARASSE.- Monsieur le Président, sur la question qu'a longuement abordée le Premier Président, de la comptabilité publique, je ne partage pas tout à fait l'analyse qui a été faite. C'est l'ordonnance de 1959 qui a placé la comptabilité publique dans le domaine réglementaire, car elle a dit que des décrets déterminent les règles de comptabilité publique.

Or, la loi organique n'a pas été validée par le Conseil constitutionnel à l'époque car il n'a pas vu les ordonnances, sinon l'article 4 sur les taxes parafiscales n'aurait pas passé la barre. Il se trouve que le décret de décembre 1962 sur la comptabilité publique comporte des dispositions à l'évidence réglementaires, mais d'autre qui, à l'évidence, sont législatives comme par exemple tout ce qui touche au droit des personnes, la prescription, les recouvrements forcés, les saisies, ou aux droits des fonctionnaires, à savoir les droits des ordonnateurs et des comptables, les questions de débet et de responsabilité pécuniaire et autres.

Je ne pense pas que la reprise pure et simple des dispositions de l'ordonnance de 1959 sur la comptabilité publique, dans la nouvelle loi organique, soit acceptée sans nuances par le Conseil constitutionnel.

Les règles comptables applicables aux collectivités locales, la M14 par exemple dont le Premier Président a souligné l'intérêt et auxquelles les élus locaux ne comprennent rien, sont fixés au niveau des principes par la loi, mais c'est sans doute au regard de l'article 72 de la Constitution stipulant que : « Les collectivités s'administrent librement dans des conditions fixées par la loi. » On voit mal comment les autorités publiques inférieures seraient mieux protégées que la collectivité supérieure qu'est l'Etat, d'où j'en déduis que la majeure partie du décret de 1962 relève sans doute en fait du domaine de la loi, d'autant qu'il intervient dans des domaines qui engagent la responsabilité du Gouvernement et ne sont pas sans incidence pour le contrôle parlementaire.

Je partage l'analyse du Premier Président sur toutes les questions de contrôle, en particulier sur l'assistance des rapporteurs spéciaux effectuant des contrôles sur place et sur pièces.

Je voudrais dire au Premier Président comme à son prédécesseur que les contrôles sur place et sur pièces que nous effectuons -il m'arrive d'en faire, la commission des finances le sait-, sont transmis maintenant -puisque le Président Lambert l'a bien voulu- systématiquement à la Cour des comptes pour information. Nous n'avons jamais de retour. Ce n'est pas grave. Mais que se passera-t-il le jour où un rapport de la Cour des comptes sur même sujet dira le contraire d'un rapporteur spécial ? N'allons-nous pas nous trouver dans une situation difficile, si nous n'avons pas tout au moins l'assurance que nos conclusions de contrôle sur pièces et sur place sont examinées, si nous ignorons quelle conclusion (en privé) en tire la Cour ?

Quand on signale qu'un centre culturel a été pillé par son directeur, qu'il est parti avec la voiture, la caisse et que l'on n'a pas de retour, ou que 20 millions de francs de crédits pour des adductions d'eau ont été volés dans un pays africain, que se passe-t-il ? Pas de retour. Je ne souhaiterais pas que l'on trouve dans un rapport de la Cour des comptes des éléments qui soient le contraire en termes d'appréciation ou autres et qui mettraient la juridiction dans une situation très difficile vis-à-vis de l'autorité politique que nous sommes, d'autant que les rapports sur pièces et sur place sont soumis à la commission des Finances qui autorise ou pas leur envoi aux diverses administrations concernées et maintenant à la Cour.

M. FREVILLE.- L'exécution du budget sera contrôlée au vu d'indicateurs de performance de résultats. C'est tout à fait différent des indicateurs financiers, des données financières que nous avions. C'est un problème qui deviendra statistique.

Qui élaborera (concernant le choix des indicateurs, nous pourrons trouver des solutions) les chiffres qui nourriront ces indicateurs ? S'agira-t-il des services statistiques des ministères ? Il y en a. L'INSEE ? Et, surtout, qui contrôlera les statistiques ? Or, nous nous apercevons qu'il est infiniment plus difficile de contrôler des indicateurs de résultats que de contrôler des francs ou des euros.

Quand on veut déterminer quelle est la proportion de jeunes Français qui sauront lire et écrire, élaborer des données sur la criminalité -c'est là-dessus que nous devons juger le budget -un problème de déontologie statistique est sous-jacent. Qui devra établir ces règles de déontologie statistique et qui pourra contrôler ?

M. LOGEROT.- La question de M. Blin m'embarrasse beaucoup. Si je dis que la Cour n'aura jamais les moyens de faire ce qu'il faudrait, je dépose le « baluchon » sur le bord de la route, si quelqu'un veut le reprendre à ma place... Je n'ai pas le droit de prendre cette position. De toutes les manières, le problème d'un renforcement, au moins autant qualitatif que quantitatif, de la Cour s'imposera.

Que ce soit pour la certification ou pour répondre à des demandes supplémentaires du Parlement, nous ne pouvons pas vivre avec une telle limitation et, surtout, une telle instabilité de moyens. Comme vous le savez, parce que nous avons ce statut dit de grand corps comme le Conseil d'Etat ou l'inspection des finances, les ministères, les entreprises, les administrations, viennent puiser à qui mieux mieux dans les effectifs, notamment de conseillers référendaires. Chaque année 60 à 70 mouvements de personnel ont lieu à la Cour des comptes. Nous créons une équipe et parfois, 3 semaines plus tard, elle est déjà détruite parce qu'un jeune conseiller référendaire est appelé à un cabinet ministériel.

Je pense que de toutes les façons, il faudra que le Parlement veuille bien nous doter -car c'est de lui que cela dépend- des moyens supplémentaires.

Pour le reste, je ne suis pas sûr qu'il soit très opérationnel pour le Parlement -mais je le dis avec prudence et c'est un avis purement personnel- de se constituer à lui seul un nouvel organisme permanent ; en revanche je pense que sur certains sujets, le Parlement peut parfaitement, dans le cadre de ses moyens, diligenter des audits particuliers, car tout n'est pas non plus dans la gestion financière. La Cour n'a pas la compétence omnisciente. Elle n'est pas capable de donner un avis technique sur des éléments requérant des techniciens, des sociologues, des psychologues, des experts agricoles ou industriels.

Personnellement, je ne réclame pour la Cour des comptes aucune exclusivité dans l'évaluation des politiques publiques, qui se distingue du contrôle proprement dit.

Je note les observations de M. Charasse. S'il est de l'avis que la loi organique peut parfaitement poser les règles comptables de l'Etat, je m'en féliciterai. C'est simplement par souci de précaution (je l'avais cité à M. Migaud à l'Assemblée nationale) que je me demandais si le Conseil constitutionnel accepterait que nous allions très loin sur le domaine comptable dans la loi organique. La Cour le souhaite très fortement.

M. CHARASSE.- La loi ordinaire.

M. LOGEROT.- La loi ordinaire, mais il faudra faire une distinction.

Sur le fait que des constatations, voire le résultat de contrôle de rapporteurs spéciaux, restent sans suite à la Cour, je vous prie de me croire si je vous dis que je découvre ce sujet, Monsieur le ministre, et que j'en prends bonne note.

Qu'il s'agisse d'une information ou même du résultat d'un véritable contrôle exécuté par un parlementaire, c'est pour nous une obligation de mettre à notre programme ce sujet et de vous donner une suite. Je vous donne mon engagement personnel. C'est une question tout à fait essentielle.

M. Fréville a posé une très bonne question. La définition de batteries d'indicateurs et de leur suivi, de la fiabilité des données qui les nourriront, nécessitera que le programme des enquêtes statistiques des ministères qui est approuvé, comme vous le savez, chaque année par un arrêté ou un décret, soit adapté au nouveau statut des indicateurs et qu'en effet le recueil des renseignements statistiques soit le fait de spécialistes, qui obéissent à une déontologie particulière. Les fonctionnaires de l'INSEE sont soumis à des obligations précises qui, en général, sont respectées.

C'est dans ce cadre que l'appareil statistique de l'Etat devra se développer. L'INSEE a, dans la plupart des ministères, des missions ou des cellules détachées -c'est le cas notamment aux affaires sociales ou il existe un très gros appareil statistique. L'INSEE sera de plus en plus mis à contribution. Cela ne sera pas par de simples éléments recueillis dans l'actualité de tous les jours par les services, que l'on pourra trouver les renseignements fiables.

C'est l'un des sujets que nous devrons étudier à partir des premiers éléments que nous avons dans les comptes rendus budgétaires, qui est la fiabilité des renseignements d'ores et déjà récoltés et, aussi, la façon dont il faut les interpréter. Quand les services de police et de gendarmerie notent une extension des contraventions, des délits dans tel ou tel domaine, est-ce parce ce que la criminalité s'est développée ou que l'on a mieux cerné les problèmes ? Les services de police de gendarmerie ont-ils été plus efficaces ?

Je découvrais dans The Economist de ce matin un article critique sur la manière dont les « targets », les objectifs des programmes et la façon de voir leur exécution, étaient traités dans les administrations britanniques car cela avait représenté un projet très important de l'administration Thatcher. Dans ce journal, qui n'est pas spécialement censé faciliter la tâche de l'actuel gouvernement britannique, c'est une réflexion assez désabusée sur les définitions d'objectifs et d'indicateurs. Je crois que ces leçons étrangères sont très importantes.

M. LAMBERT, Président.- Permettez-moi de qualifier cette audition de très prometteuse pour l'avenir de l'assistance de la Cour au Parlement que la Constitution prévoit. Il me semble que vous avez, avec courage et responsabilité, voulu nous ouvrir la porte à revisiter ces relations d'assistance et je pense que c'est très prometteur pour les missions que nous avons reçues les uns et les autres.

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