TITRE II :

DU CONTENU ET DE LA PRÉSENTATION
DES LOIS DE FINANCES
CHAPITRE PREMIER :

DU PRINCIPE DE SINCÉRITÉ

ARTICLE 27

Le principe de sincérité des lois de finances

Commentaire : Le présent article consacre l'obligation de sincérité des lois de finances.

Le chapitre Ier du titre II consacre le principe de sincérité des lois de finances, dont votre rapporteur considère que l'édiction dans la présente proposition de loi organique constitue une innovation importante. En effet, votre rapporteur rappelle que la commission des finances du Sénat constituée en commission d'enquête avait souligné, dans son rapport 77 ( * ) , que « la sincérité des données à partir desquelles sont élaborées les projets de loi de finances n'apparaît pas comme l'une des premières préoccupations du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, que ce soit des services mais également des ministres ». Dès lors, même si le Conseil constitutionnel répond depuis 1993 au grief de l'insincérité des lois de finances 78 ( * ) , il revient à la loi organique relative aux lois de finances de définir ce principe, afin d'assurer que les parlementaires votent le budget de l'Etat en bénéficiant de l'ensemble des informations susceptibles d'éclairer leur décision.

Dans son rapport intitulé « Doter la France de sa nouvelle constitution financière » 79 ( * ) , votre rapporteur avait longuement insisté sur la nécessité d'affirmer l'obligation de sincérité. On rappellera que cette obligation existe déjà, par ailleurs, à l'égard des collectivités territoriales, l'article L. 1612-4 du code général des collectivités territoriales prévoyant expressément qu'un budget est en équilibre réel lorsque les recettes et les dépenses sont évaluées de façon sincère, c'est-à-dire qu'elles ont fait l'objet d'une évaluation excluant toute majoration ou minoration fictive. A défaut, l'évaluation de l'organe délibérant est entachée d'erreur de droit.

L'obligation de sincérité des lois de finances ne peut être mise sur le même plan que celle relative à la sincérité des comptes de l'Etat, dont l'obligation est mentionnée à l'article 29 du texte adopté par l'Assemblée nationale. Si ces deux obligations sont complémentaires (la sincérité doit valoir a priori et a posteriori ), leur application ne peut cependant être appréciée de la même manière au moment de l'élaboration des projets de loi de finances et à celui de la reddition des comptes. Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Christophe Blanchard-Dignac, alors directeur du budget, indiquait que « la sincérité du projet de loi de finances initiale (...) est une obligation de moyens, mais cela ne peut pas être une obligation de résultat à ce stade de l'année. Les comptes sont une obligation de résultat. ». Votre rapporteur considère, avec le rapporteur de la présente proposition de loi organique à l'Assemblée nationale, que, s'agissant des lois de finances, la sincérité implique une évaluation de bonne foi des charges et des ressources de l'Etat qui doit s'apprécier « compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». Les informations disponibles doivent être appréciées au moment du dépôt du projet de loi de finances sur le bureau de l'Assemblée nationale, ou, le cas échéant, pendant la discussion dudit projet, si des événements majeurs rendaient de toute évidence infondées certaines des évaluations qu'il contient.

En dépit du caractère relatif du principe de sincérité énuméré par le présent article, sa mention dans la présente proposition de loi organique donne un fondement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle implique que les lois de finances présentent de manière claire, lisible et exhaustive, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat, et que le solde budgétaire prévisionnel qui découle des évaluations de la loi de finances ne soit pas un solde fictif. Les évaluations doivent donc être réalistes, sans négliger les charges et sans anticiper les produits, sans sous-estimer les dépenses et sans surestimer les recettes, ou encore l'inverse.

Votre rapporteur s'est interrogé sur la possibilité de confier à la Cour des comptes une mission de certification de la sincérité des prévisions sur lesquelles est fondé le projet de loi de finances. Cependant, cette idée se heurte à plusieurs objections : d'une part, ainsi que l'a indiqué M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, à votre commission, la cour ne dispose pas d'un corps d'experts économiques ni du pouvoir d'apprécier les sources de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou de la direction de la prévision du ministère de l'économie et des finances ; d'autre part, une telle pratique serait atypique par rapport aux pratiques prescrites par la comptabilité privée et le droit des sociétés, aucune entreprise ne faisant certifier ses comptes prévisionnels par ses commissaires aux comptes, et son budget prévisionnel ne faisant l'objet que d'une approbation a priori par le conseil d'administration ; enfin, une telle disposition pourrait soulever d'importantes difficultés techniques liées aux délais d'élaboration des projets de loi de finances.

Il reviendra donc seul au Conseil constitutionnel, comme il a déjà commencé à le faire en l'absence de disposition organique, d'apprécier le caractère raisonnable des estimations et des hypothèses retenues par le gouvernement dans ses évaluations.

Les modifications proposées par votre rapporteur au présent article ne sont que des ajustements rédactionnels, et ne modifient pas la portée de la disposition adoptée par l'Assemblée nationale, avec lequel votre rapporteur partage le même souci et vise le même objectif.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

ARTICLE 28

L'appréciation de l'incidence de dispositions législatives ou réglementaires sur l'équilibre financier

Commentaire : Le présent article vise à garantir le respect du principe de sincérité des lois de finances de l'année.

Le présent article vise à assurer le respect du principe de sincérité des lois de finances et à garantir l'exhaustivité des informations permettant d'y évaluer l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Cet article s'inspire des dispositions du quatrième alinéa de l'article 1 er de l'ordonnance organique n°59-2 du 2 janvier 1959, qui prévoit que « lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé, tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance. »

Dans sa décision n°78-95 DC du 27 juillet 1978, le Conseil constitutionnel a limité la portée de cet alinéa et a estimé que ces dispositions avaient pour objet « que l'équilibre économique et financier défini par la loi de finances de l'année, modifié, le cas échéant, par la voie de lois de finances rectificatives, ne soit pas compromis par des charges nouvelles résultant de l'application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur cet équilibre, dans le cadre de l'année, n'auraient pu être appréciées et prises en compte par une des lois de finances susmentionnée ».

Le rapporteur de la présente proposition de loi organique à l'Assemblée nationale, Didier Migaud, a entendu s'inspirer de cette décision du Conseil constitutionnel pour rédiger le présent article. Votre rapporteur souhaite y apporter quelques modifications rédactionnelles, sans modifier la substance de l'article adopté par l'Assemblée nationale. Dans son rapport 80 ( * ) , notre collègue député Didier Migaud indique qu'il a proposé une définition exhaustive de l'équilibre financier de l'année en cours, l'impact financier des mesures nouvelles devant être apprécié au regard de l'équilibre budgétaire défini par la loi de finances de l'année, mais également au regard des modalités de financement de l'Etat, telles que définies par le tableau de financement de la loi de finances de l'année en cours. Votre rapporteur souhaite faire valoir cette conception exhaustive de l'équilibre financier de l'année en inscrivant dans le présent article que les conséquences de chaque disposition d'ordre législatif ou réglementaire sur les composantes de l'équilibre financier de l'Etat sont évaluées et autorisées dans la plus prochaine loi de finances afférente à l'exercice concerné. Ces modifications rédactionnelles ne traduisent nullement une divergence entre les deux rapporteurs de la présente proposition de loi organique. Au contraire, votre rapporteur souhaite que les précisions apportées puissent donner plus de force à l'idée selon laquelle l'information fournie au Parlement à l'occasion du vote des lois de finances doit être exhaustive et prendre en considération l'impact de l'ensemble des mesures qui modifient l'équilibre financier défini par la loi de finances de l'année, afin que le principe de sincérité puisse être respecté.

Le premier alinéa du présent article prévoit que toutes les lois et tous les décrets ayant une incidence financière pour l'Etat doivent être publiés avec une annexe précisant leurs conséquences sur l'année en cours et l'année suivante. Cet alinéa impose une obligation complémentaire de celle visée au second alinéa du présent article. L'évaluation de l'impact financier des lois et des décrets pour l'année en cours et pour l'année suivante vise à permettre au Parlement de l'apprécier en année pleine, et à s'assurer qu'il connaît la portée de son vote. Cette obligation renforce l'information du Parlement, et la transparence des lois de finances. De ce point de vue, il convient de rappeler que le Congrès américain bénéficie d'une évaluation sur 5 années de l'impact financier de toutes les mesures législatives, afin que les parlementaires puissent avant d'émettre un vote qui engage l'avenir, bénéficier d'un éclairage plein et entier sur ses conséquences financières.

Cet alinéa constitue le complément du dernier alinéa de l'article 38 de la présente proposition de loi organique qui prévoit que « chacune des dispositions du projet de loi de finances de l'année affectant les ressources ou les charges fait l'objet d'une évaluation chiffrée de son incidence au titre de l'année considérée et, le cas échéant, des années suivantes ».

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 77 Rapport n°485, 1999-2000.

* 78 Voir les décisions du Conseil constitutionnel mentionnées dans le commentaire du présent article figurant dans le rapport de M. Didier Migaud au nom de la commission spéciale, Assemblée nationale, n°2908 ( XIème législtature), p. 169.

* 79 Rapport d'information n°37, Sénat (2000-2001), p. 115 et suivantes.

* 80 Rapport au nom de la commission spéciale, Assemblée nationale, n°2908 ( Xième législtature), p. 175.

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