N° 315

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 mai 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE , relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l' allocation personnalisée d'autonomie ,

Par M. Alain VASSELLE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2936 , 2971 et T.A. 656

Sénat : 279 (2000-2001)

Personnes âgées.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En quelque sorte, l'allocation personnalisée d'autonomie constitue la quatrième grande réforme sociale non financée par le Gouvernement depuis fin 1997.

Les trente-cinq heures pèsent en effet toujours davantage sur la sécurité sociale. Ses ressources ont été, dans un premier temps, confisquées pour alimenter un fonds fantôme chargé de lui compenser le coût des exonérations de cotisations mises en place pour atténuer le choc d'une réduction générale et autoritaire du temps de travail.

L'abandon aujourd'hui du FOREC éviterait certes d'afficher une banqueroute mais il consisterait à demander à la sécurité sociale de financer une deuxième fois les trente-cinq heures.

Les ressources dégagées en faveur de l'assurance maladie pour lui compenser partiellement le coût de la couverture maladie universelle lui ont été reprises quelques mois plus tard pour tenter de financer les trente-cinq heures tandis que l'examen de la situation des anciens bénéficiaires de l'aide médicale, retardé mais qui ne pourra pas être éludé, conduira les départements à reprendre à leur charge, par le biais de l'aide sociale, les radiés de la CMU.

La politique des emplois-jeunes est en attente d'un dénouement qui risque fort de peser, directement ou indirectement au travers des associations, sur les finances des collectivités locales, quand bien même le Gouvernement prendrait-il l'initiative d'engager plus avant les finances de l'Etat par la mise en place d'une aide dégressive.

Mais rarement l'absence de financement pérenne d'une politique sociale sera apparue aussi nettement que dans le cas de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).

Dotée d'un financement, au demeurant litigieux pour les seuls exercices 2001 et 2002, l'APA n'est plus financée dès 2003 selon les chiffres mêmes affichés par le Gouvernement.

« Le risque finalement, c'était de ne pas en prendre. Nous avons décidé de le prendre. Vous, Messieurs de l'opposition, vous y avez songé, vous avez essayé, mais voilà ! Nous, nous nous sommes donné les moyens » 1 ( * ) .

De fait, le précédent gouvernement avait dû renoncer à son projet de loi « instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées », faute d'un bouclage financier certain.

A l'évidence, ces scrupules ne sont plus de mise. L'actuel gouvernement a donc décidé de prendre un risque. Un risque pour les finances des départements, un risque pour les finances sociales, un risque enfin pour l'avenir des retraites que devaient garantir les excédents du FSV et des caisses de retraite désormais amputés.

Pour le reste, au-delà d'une présentation complexe et ambiguë destinée à faire apparaître une « rupture », le dispositif de l'APA s'apparente, par bien des aspects, à celui de l'actuelle prestation spécifique dépendance (PSD) votée en janvier 1997.

Son universalité apparaît ainsi à bien des égards factice : son principal fictif sera amputé d'un ticket modérateur dont l'Assemblée nationale se félicite qu'il ne pourra pas atteindre 100 %.

De même, son uniformité se traduit essentiellement par la fixation d'un maximum national mais le choix, au demeurant fondé, de maintenir une prestation en nature reposant sur un plan d'aide individualisée conduira nécessairement à des différences d'appréciation selon les équipes médico-sociales des différents départements et donc à des différences de situations selon les bénéficiaires.

Ni « prestation d'aide sociale », ni « prestation assurantielle » 2 ( * ) , se situant toutefois « dans la philosophie d'un cinquième risque » 3 ( * ) , « prestation de solidarité nationale » 4 ( * ) financée essentiellement par les départements, conjuguant « la décentralisation et l'égalité des droits sur tout le territoire » 5 ( * ) , l'APA traduirait, de la part du Gouvernement, le « choix du pragmatisme 6 ( * ) ».

Il reste à souhaiter que la confusion du discours, qui veut faire de l'APA le tout et son contraire, ne rende pas plus difficile la mise en oeuvre sur le terrain d'une PSD plus généreuse.

Mais le défaut de l'APA -et il est majeur- tient précisément à ce que le Gouvernement ne dit pas comment il fera pour payer, ou plus certainement pour faire payer, le prix de cette générosité accrue.

« Oui, une aide personnalisée à l'autonomie qui serait assurée d'un financement clair et durable, qui serait accompagnée d'un effort substantiel pour le maintien à domicile préventif des personnes âgées atteintes d'une simple diminution d'autonomie, aurait de quoi nous convaincre. Mais sans chercher à noircir le tableau, force est de constater que nos finances sociales sont désormais trop obscures pour ne pas être incertaines. L'APA, même si elle est perfectible, est un réel progrès. Mais encore faut-il qu'elle ne soit pas construite sur du sable, je veux dire sans un financement à la mesure des enjeux. ».

Ces propos de M. Jacques Barrot 7 ( * ) , ancien ministre des Affaires sociales, résument parfaitement la fragilité de l'édifice proposé par le Gouvernement.

I. LA PRESTATION SPÉCIFIQUE DÉPENDANCE : UNE PREMIÈRE ÉTAPE DÉCISIVE DANS LA PRISE EN CHARGE DE LA DÉPENDANCE

A. UNE PREMIÈRE RÉPONSE

1. La prise en charge de la dépendance : un enjeu majeur

a) La difficile identification de la population âgée dépendante

En 2020, la part des personnes âgées de 75 ans et plus dans la population (environ 7 % aujourd'hui) devrait atteindre près de 10 %, ce qui fait de la prise en charge des personnes âgées dépendantes un enjeu majeur pour les années futures.

La dépendance recouvre toutefois des réalités variées et l'identification de la population âgée qualifiée de « dépendante », c'est-à-dire ayant besoin d'aide pour les actes essentiels de la vie quotidienne, n'est pas aisée.

Une étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de l'Emploi et de la Solidarité 8 ( * ) fournit des estimations du nombre de personnes âgées dépendantes à partir de l'enquête Handicaps-incapacités-dépendance (HID) en s'appuyant sur deux des principales grilles d'évaluation de la dépendance : celle développée par le Docteur Colvez et l'outil AGGIR (Autonomie gérontologique groupe iso-ressources).

D'après l'enquête HID, 628.000 personnes de 60 ans et plus sont confinées au lit ou au fauteuil ou aidées pour la toilette et l'habillage. 217.000 d'entre elles résident en établissements pour personnes âgées (maisons de retraite et services de soins de longue durée des hôpitaux), 6.000 dans d'autres institutions et 405.000 à leur domicile (y compris les logements-foyers 9 ( * ) ) ou celui d'un proche parent. Les personnes confinées au lit ou au fauteuil ou aidées pour la toilette et l'habillage représentent environ 5 % de la population des 60 ans et plus, avec une prévalence fortement croissante avec l'âge. Les deux tiers sont des femmes, principalement parce qu'elles sont plus nombreuses aux âges élevés, et 46 % ont 85 ans ou plus.

Parmi elles, 225.000 personnes -dont 120.000 en institution et 105.000 à domicile- sont confinées au lit ou au fauteuil, ce qui correspond au degré le plus lourd de la dépendance physique. Il s'agit de femmes dans 75 % des cas, et surtout de personnes âgées de 85 ans et plus (dans 57 % des cas).

Par ailleurs, 243.000 personnes âgées non confinées au lit ou au fauteuil n'ont besoin d'aide que pour la toilette (dont 211.000 à domicile), et 130.000 (dont 103.000 à domicile), uniquement pour l'habillage, par exemple pour enfiler un manteau.

Une acception plus extensive de la grille Colvez incluant dans l'évaluation du nombre de personnes dépendantes les personnes aidées soit pour la toilette, soit pour l'habillage, conduirait alors à une estimation de l'ordre d'un million, dont 284.000 personnes en institution et 719.000 personnes à domicile. Ce million de personnes est composé de femmes dans 66 % des cas, et une sur quatre a 85 ans ou plus. Elles représentent 8 % environ des 60 ans et plus.

• Près de 80 % des résidents en services de soins de longue durée des hôpitaux sont très lourdement dépendants.

En établissement, c'est dans les services de soins de longue durée des hôpitaux que la proportion de résidents physiquement les plus lourdement dépendants est la plus importante : 79 %. 51 % des résidents y sont confinés au lit ou au fauteuil et 28 % ont besoin d'aide pour la toilette et l'habillage. A l'opposé, dans les maisons de retraite publiques sans section de cure médicale, où le niveau de dépendance physique des résidents est le moins élevé, seuls 14 % sont confinés au lit ou au fauteuil.

• On observe une baisse de l'incidence de la dépendance physique lourde au cours de la décennie 90.

Le nombre de personnes de 65 ans et plus confinées au lit ou au fauteuil ou ayant besoin d'aide pour la toilette et l'habillage était estimé en 1990 à 670.000. Ces estimations étaient basées sur les données de l'enquête sur la santé et les soins médicaux (1991-1992) pour le domicile et de l'enquête EHPA (1990) pour les établissements.

Les données les plus récentes issues de l'enquête HID semblent donc indiquer une baisse de la population lourdement dépendante physiquement depuis une dizaine d'années, de 670.000 à 600.000 personnes de 65 ans et plus. Pendant la même période, la population âgée de 65 ans et plus est passée de 7,9 millions environ à 9,4 millions, soit une baisse globale de la prévalence de la dépendance physique de 8,5 % à 6,4 %.

Le scénario optimiste des projections effectuées en 1995-1996 au terme duquel la prévalence de la dépendance à chaque âge continuerait à baisser au cours du temps semble donc assez bien correspondre aux évolutions observées.

• Deux tiers des personnes confinées au lit ou au fauteuil en institution présentent aussi une dépendance psychique.

Dépendance physique et désorientation ou incohérence vont souvent de pair, surtout en établissement. Ainsi, en institution, les deux tiers des personnes confinées au lit ou au fauteuil présentent également une dépendance psychique, c'est le cas de la moitié de celles qui vivent à domicile. Une personne est ici dite dépendante psychiquement si elle est totalement incohérente, toujours désorientée, ou partiellement incohérente et parfois désorientée.

Pour les degrés de dépendance physique moindres, le cumul avec une dépendance psychique est plus rare, mais encore majoritaire pour les personnes hébergées en institution. Parmi les personnes aidées pour la toilette et l'habillage mais non confinées au lit ou au fauteuil, un quart de celles qui résident à domicile sont ainsi dépendantes psychiquement, contre 63 % de celles hébergées en institution.

* 1 Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, JO Débats AN, p. 2031.

* 2 Ibidem, p. 2001.

* 3 Ibidem, p. 2029.

* 4 Ibidem, p. 2002.

* 5 Ibidem, p. 2029.

* 6 Ibidem, p. 2029.

* 7 La Tribune, 19 avril 2001.

* 8 Source : DREES, Etudes et Résultats, n° 94, décembre 2000, « Le nombre de personnes âgées dépendantes d'après l'enquête Handicaps-incapacité-dépendance ».

* 9 L'enquête HID à domicile comprend, comme toutes les enquêtes ménages de l'INSEE, les logements-foyers, considérés comme des logements autonomes, sans que l'on puisse les isoler.

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