II. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE : DES AMÉLIORATIONS NOTABLES APPORTÉES AU DISPOSITIF ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, CONJUGUÉES À DES MODIFICATIONS SUBSTANTIELLES
Votre commission des Lois ne peut que se féliciter de l'adoption sans modification par l'Assemblée nationale de plus d'un tiers des articles du projet de loi organique (soit 9 sur un total de 25 16 ( * ) ), et qu'elle ait approuvé la plupart des propositions du Sénat qui avaient recueilli le plus souvent un avis défavorable du Gouvernement.
Les députés ont néanmoins apporté quatre séries de modifications importantes au regard du dispositif adopté par le Sénat :
- une restriction du champ d'application de la limitation à 7 ans de la durée d'exercice de certaines fonctions juridictionnelles, introduite par le Sénat ;
- une extension aux magistrats du parquet de l'ensemble des avancées introduites par le Sénat en matière disciplinaire ;
- un enrichissement des propositions destinées à améliorer le fonctionnement de la Cour de cassation ;
- un nouvel élargissement de l'objet du projet de loi organique, avec d'une part l'interdiction de l'arbitrage et d'autre part une réforme du mode d'élection des représentants des magistrats au CSM.
A. UNE CONCEPTION PLUS RESTRICTIVE DES NOUVELLES EXIGENCES DE MOBILITÉ INTRODUITES PAR LE SÉNAT
Convenant que le Sénat avait à juste titre introduit une limitation à 7 ans de la durée de certaines fonctions juridictionnelles afin d'en éviter " toute appropriation " 17 ( * ) par un magistrat, l'Assemblée nationale a accepté dans leur esprit les articles 2 bis, 2 ter et 2 quater , suivant les propositions de sa commission des Lois, en dépit d'une ferme opposition du Gouvernement.
Elle a d'ailleurs prévu en insérant un article 6 bis , que cette nouvelle règle de mobilité s'appliquerait de manière progressive aux nominations intervenant après la publication de la présente loi organique. Les chefs de juridiction actuellement en poste ne seraient donc concernés qu'à compter d'une nouvelle affectation.
A cet égard, votre commission des Lois ne peut que se réjouir de la démarche constructive de l'Assemblée, qui n'a pas remis en cause le principe d'une mobilité obligatoire. Elle regrette cependant les restrictions apportées au principe.
1. La recherche d'une rédaction assurant le respect du principe constitutionnel de l'inamovibilité des magistrats du siège
L'Assemblée nationale, suivant les propositions de sa commission des Lois a considéré que la nouvelle condition de mobilité géographique obligatoire issue de la rédaction du Sénat risquait de se heurter au principe constitutionnel d'inamovibilité des magistrats du siège tel qu'il a été interprété par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, aux termes de sa décision n° 67-31 du DC du 26 janvier 1967 18 ( * ) a estimé " qu'un magistrat du siège ne pouvait recevoir sans son consentement une affectation nouvelle, même en avancement " et que des garanties devaient être déterminées par une loi organique pour fixer dans quelles conditions s'effectueraient une affectation nouvelle.
L'Assemblée nationale a donc décidé d'assortir la condition de limitation dans le temps de l'exercice des fonctions juridictionnelles de garanties cherchant à satisfaire la jurisprudence dégagée par le Conseil constitutionnel.
Elle a réfuté l'argumentation de votre rapporteur selon laquelle " une telle limitation dans le temps [...] pourrait ne pas être contraire au principe d'inamovibilité dans la mesure où elle s'appliquerait d'une manière générale à l'ensemble des magistrats " 19 ( * ) . Elle a considéré insuffisantes les garanties entourant l'affectation ultérieure frappée par une obligation de mobilité à l'issue de la période des sept ans d'exercice.
Elle a donc complété le dispositif adopté par le Sénat en précisant dans quelles conditions s'effectuerait le départ des magistrats concernés par l'obligation de mobilité, afin de leur garantir une affectation ultérieure compatible avec le respect du principe de l'inamovibilité.
A cet effet, elle a prévu un système de rattachement de ces magistrats à la juridiction de niveau supérieur à celle dans laquelle ils exercent leurs fonctions, au grade équivalent , le cas échéant en surnombre. A l'expiration des sept ans d'exercice de ces fonctions, ils pourraient ainsi se voir réintégrés dans la juridiction supérieure d'affectation initiale, s'ils ne recevaient pas de nouvelle affectation conforme à leurs souhaits, les chefs de cour d'appel, se voyant en outre conférer la possibilité d'être nommés en qualité d'inspecteur général adjoint des services judiciaires :
- pour les chefs d'une cour d'appel ainsi que du TGI de Paris, le rattachement s'effectuerait à grade équivalent dans des emplois de magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation ;
- pour les chefs de TGI 20 ( * ) à l'exception de celui de Paris, les magistrats relevant du premier grade seraient nommés à un emploi de conseiller de cour d'appel ou de substitut du procureur général et ceux situés hors hiérarchie seraient nommés à un emploi de président de chambre de cour d'appel ou d'avocat général. La juridiction supérieure de rattachement désignée serait donc la cour d'appel.
- Dans le cas de Mayotte et Saint Pierre et Miquelon, il est par ailleurs, prévu un rattachement spécifique à Paris 21 ( * ) .
* 16 À l'issue de la première lecture dans chacune des assemblées.
* 17 Cf. rapport A.N. n° 2857 - 11 ème législature - p. 31.
* 18 Le Conseil constitutionnel avait déclaré non conforme au principe d'inamovibilité des magistrats de siège la faculté de pourvoir d'office à l'affectation des conseillers référendaires à la Cour de cassation à l'issue de leurs dix années d'exercice.
* 19 Cf rapport Sénat n° 75 (2000-2001) - p.38.
* 20 ainsi que des tribunaux de première instance situés dans le ressort d'une cour d'appel d'outre-mer, comme en Polynésie (TPI de Papeete, situé dans le ressort de la cour d'appel de Papeete) ou en Nouvelle Calédonie (TPI de Mata-Utu et TPI de Nouméa, situés dans le ressort de la cour d'appel de Nouméa).
* 21 Les chefs des tribunaux supérieurs d'appel seraient nommés à un emploi de conseiller ou de substitut du procureur général de la cour d'appel de Paris et les fonctions de chef des tribunaux de première instance seraient exercées par un magistrat du siège ou du parquet du premier grade du TGI de Paris.