B. L'ATTENTISME DU GOUVERNEMENT : LES ALÉAS DU PROJET DE LOI DE MODERNISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ
1. Une réflexion gouvernementale engagée depuis 1998
L'actuel Gouvernement, qui avait annoncé à plusieurs reprises que cette question serait traitée dans le projet de loi de modernisation du système de santé, ne cesse de reculer devant l'obstacle.
Dès le 5 février 1998, lors de la discussion au Sénat de la proposition de loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, Mme Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, avait indiqué qu'une réflexion était engagée sur l'aléa thérapeutique.
Depuis, les références à cette problématique et à un prochain projet de loi de modernisation du système de santé sont constantes dans les déclarations gouvernementales.
Les aléas d'un projet de loi • mars 1998 : Nous travaillons, vous le savez... " Nous travaillons également, vous le savez, sur la prise en charge de l'aléa thérapeutique. Ces dispositifs ne doivent pas être redoutés par les médecins. Ils contribueront à préserver la relation de confiance entre le médecin et le malade. " Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Assises de l'hospitalisation (30 mars 1998) • octobre 1998 : L'indemnisation de l'aléa thérapeutique nécessite d'être étudiée " L'inégalité des malades victimes d'accidents sanitaires devant l'origine ou la nature de ces accidents nécessite d'être étudiée ainsi que l'indemnisation de l'aléa thérapeutique. "
Rapport annexé à l'article premier de la loi de
financement
• janvier 1999 : Un rapport sur cette question majeure " Quant à l'indemnisation et au problème, plus général, de l'aléa thérapeutique, nous déposerons au Parlement un rapport sur cette question majeure avant la fin de l'année, comme nous nous y étions engagés. " M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la Santé et à l'Action sociale Entretien au journal Le Monde (23 janvier 1999) • juin 1999 : Une mesure forte et symbolique " Des dispositions législatives consacreront les droits de la personne malade. Je voudrais évoquer ici quatre de ces droits -les plus importants à mes yeux- : le droit à l'information (...), le droit au consentement (...), le droit à la dignité (...), l'accès direct au dossier médical (...). Permettre un accès direct des personnes malades à leur dossier médical -ne serait-ce que dans la perspective d'obtenir une éventuelle réparation- serait une mesure forte et symbolique. "
M. Lionel Jospin, Premier ministre,
• septembre 1999 : Un projet de loi sera débattu l'année prochaine " A l'occasion des Etats généraux de la Santé qui se sont clos au mois de juin 1999, les Françaises et les Français ont exprimé un message fort sur les conditions de prise en charge de leur santé. Nous en tenons compte. Un projet de loi de modernisation du système de santé sera débattu l'année prochaine. Il concernera notamment les droits des malades, et en particulier le droit à l'information, le droit au consentement, le droit à la dignité ainsi que l'accès au dossier médical. "
Intervention de M. Lionel Jospin, Premier ministre,
• octobre 1999 : Le Gouvernement propose une loi " Le Gouvernement (...) propose une loi visant à affirmer les droits des malades, notamment en ce qui concerne l'accès au dossier médical. Des dispositifs plus efficaces de recours et de médiation seront mis en place. La participation des usagers à la définition et à la mise en oeuvre des politiques de santé publique, en particulier sur le plan régional, sera renforcée. Une réflexion sera menée pour prendre en compte l'aléa thérapeutique. "
Rapport annexé à l'article premier de la loi de
financement
• janvier 2000 : Quelques arbitrages manquent encore... " Question - Pourtant, la loi sur le droit des malades tarde et l'impatience des associations grandit... " Réponse - Quelques arbitrages manquent encore sur l'aléa thérapeutique. Cela fait partie de mes priorités.
Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la
Solidarité,
• mars 2000 : Nous avançons sur ce sujet aussi... " Améliorer l'information, la participation, les droits des usagers, et moderniser notre système de santé est l'objectif essentiel du projet de loi sur lequel nous travaillons. Il s'articulera principalement autour de trois grands thèmes : les droits de la personne malade (...), les droits collectifs dans le domaine de la santé (...), troisième axe de cette loi, les aléas thérapeutiques. " Nous avançons sur ce sujet aussi. Nous voulons réaffirmer la primauté de la responsabilité médicale pour faute, réformer l'expertise médicale en s'inspirant des recommandations du récent rapport IGAS-IGSJ, mettre en place un système d'assistance aux victimes d'accident médical en facilitant la conciliation et l'accès à l'expertise. Quant à l'indemnisation éventuelle des accidents médicaux graves non fautifs, elle fait encore l'objet de débats. "
Allocution de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat
à la Santé
• avril 2000 : D'autres projets parfois en voie d'être finalisés " D'autres projets sont, soit déjà déposés, soit en cours d'examen interministériel et parfois en voie d'être finalisés : les droits des malades (...) ".
M. Lionel Jospin, Premier ministre,
• octobre 2000 : Très prochainement, un projet de loi de modernisation du système de santé " Le Gouvernement (...) proposera très prochainement un projet de loi de modernisation du système de santé qui s'articule autour de cinq axes : (...) instaurer un dispositif de prise en charge des risques thérapeutiques. "
Rapport annexé à l'article premier de la loi de
financement
• janvier 2001 : En conseil des ministres avant la fin de ce premier trimestre " En 2001, deux grandes réformes sociales très attendues par les Français verront le jour. Il s'agit d'abord du projet de loi sur les droits des malades et la modernisation du système de santé. Ce texte renouvellera profondément les relations entre le patient et l'institution médicale afin d'améliorer la qualité des soins et de la prise en charge thérapeutique. Ce texte devrait être présenté en conseil de ministres avant la fin de ce premier trimestre. "
M. Lionel Jospin, Premier ministre,
|
2. Des initiatives qui se limitent aux effets d'annonce
Très récemment encore, le 27 mars 2001, lors de la Conférence nationale de santé 2001, M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, déclarait :
" Autre axe législatif majeur : Nous allons enfin je l'espère mettre en oeuvre l'indemnisation de l'aléa thérapeutique.
" Je vois et reçois beaucoup de victimes d'incidents ou d'accidents pour lesquelles aucune faute n'a été identifiée : elles parlent toujours avec force et émotion de ce qu'elles vivent comme une profonde injustice : sans faute avérée, pas d'indemnisation.
" De leur côté, les professionnels sont déroutés par l'évolution fluctuante, et parfois contradictoire, des règles qui définissent leur responsabilité. Comment travailler sereinement dans un tel contexte ?
" Face à cette situation, il est devenu indispensable de mettre en place un dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique.
" Nécessité impérative tant pour les victimes que pour les professionnels si l'on veut rétablir la confiance.
" J'ai rêvé depuis longtemps de pouvoir mettre en oeuvre ce projet.
" J'ai rédigé le premier texte en 1992.
" L'heure est enfin venue.
" Et quand je pense à la détresse de toutes les personnes concernées permettez-moi de vous dire mon émotion de toucher enfin au but. "
En écho à cette déclaration, Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, déclarait, toujours à l'occasion de la Conférence nationale de santé 2001, le 29 mars 2001 :
" Cette redéfinition de la relation entre le soignant et le malade ne peut ignorer la question difficile, toujours douloureuse, de la responsabilité juridique des professionnels. Devant cette situation, il est indispensable de mettre en place un dispositif d'indemnisation de l'aléa thérapeutique.
" Deux principes doivent nous guider :
" - rétablir la confiance par la transparence ;
" - clarifier et simplifier les procédures.
" Rétablir la confiance, c'est offrir aux professionnels et aux patients victimes d'un accident thérapeutique un dispositif qui assure une claire distinction entre les accidents fautifs et les accidents non fautifs.
" Clarifier et simplifier les procédures, c'est répondre plus rapidement aux demandes d'indemnisation qu'elles relèvent du régime de la faute ou du risque. C'est aussi assurer un dispositif d'indemnisation qui couvre la nature et l'étendue du préjudice. C'est enfin mettre à la disposition des victimes un guichet unique : des commissions régionales qui seront leur interlocuteur unique à tout moment de la procédure. "
Or, force est de constater aujourd'hui, malgré ces déclarations enthousiastes, que le volet relatif à l'aléa médical du projet de loi de modernisation du système de santé n'est toujours pas arbitré par le Premier ministre.
Si les intentions du Gouvernement sont claires et réitérées, il est permis de douter qu'un texte puisse être ne serait-ce que déposé au Parlement avant la fin de la présente session. Son examen par le Parlement avant la fin de la législature apparaît désormais hypothétique.