II. LA NÉCESSITÉ ET L'URGENCE D'UNE SOLUTION LÉGISLATIVE
A. L'INTERVENTION NÉCESSAIRE ET SOUHAITÉE DU LÉGISLATEUR
1. Une intervention nécessaire
L'existence de deux solutions si différentes pour des situations si dramatiquement similaires est difficilement admissible.
Les juristes, comme les médecins, ont appelé de leurs voeux une intervention du législateur afin qu'il impose une relative homogénéité entre les solutions retenues par les deux ordres de juridiction.
En outre, il serait illusoire de croire que l'indemnisation des accidents non fautifs pourrait être satisfaite, sans graves inconvénients, par la seule évolution de la jurisprudence judiciaire.
En effet, si l'institution d'une responsabilité sans faute a pu se développer sans difficulté majeure -et notamment sans provoquer de dérive contentieuse- dans le domaine de l'hospitalisation publique, une évolution parallèle de la jurisprudence judiciaire se heurterait à deux difficultés sérieuses.
D'une part, dans le cadre de la jurisprudence administrative, la charge de la réparation pèse, en toute hypothèse, sur l'hôpital public et jamais sur le médecin. A l'inverse, dans le cadre des évolutions prévisibles de la jurisprudence judiciaire, l'exigence de réparation pourra aboutir à faire supporter la charge de l'indemnisation personnellement par le médecin et ce, même dans le cas de préjudices résultant d'actes médicaux exclusifs de toute faute. Or, il y a incontestablement quelque chose d'inéquitable à ce qu'un praticien libéral soit responsable sur son patrimoine des conséquences du risque médical, dès lors qu'il a loyalement informé la victime de ce risque.
D'autre part, l'indemnisation des accidents non fautifs a pu être limitée par la jurisprudence administrative aux seuls cas des accidents particulièrement graves, alors que les principes de réparation civile mis en oeuvre par le juge judiciaire ne lui permettront pas de restreindre le droit à réparation à ces seuls cas. Or, l'obligation qui serait faite aux médecins et cliniques de prendre en charge l'intégralité des accidents non fautifs, quelle qu'en soit la gravité, aboutirait à renchérir considérablement le coût de leurs assurances de responsabilité, compte tenu du volume statistique de ce type d'accidents se situant en deçà du seuil de particulière gravité. Pour les spécialités les plus exposées au risque médical, le poids de ces assurances pourrait même devenir économiquement insupportable et conduire les médecins à répercuter les hausses des tarifs d'assurance de responsabilité dans la négociation conventionnelle.
Enfin, on peut également craindre que l'absence de solution législative à la question de l'indemnisation de l'aléa médical conduise le juge à élargir le concept de faute afin d'assurer la nécessaire indemnisation des victimes.
2. Une intervention attendue
Les rapports, projets et propositions de loi sur la responsabilité médicale et l'indemnisation de l'aléa thérapeutique n'ont pas manqué depuis trente ans. Tous convergent sur une même conclusion : l'intervention du législateur est devenue indispensable.
Au cours des dix dernières années, les colloques se sont multipliés, plusieurs rapports ont été rédigés sur le sujet, une vingtaine de propositions de loi ont été déposées sans être discutées par le Parlement et plusieurs projets de loi ont été mis en chantier par les différents gouvernements sans voir le jour.
Le professeur Tunc a été le premier, à la fin des années 60, à envisager une indemnisation automatique extrajudiciaire des accidents médicaux. Le rapport Mac Aleese sur le traitement des conflits individuels entre médecins et patients paru en juillet 1980 avait été à l'origine du décret du 15 mai 1981 instituant des conciliateurs médicaux, annulé par le Conseil d'Etat comme relevant du domaine législatif car impliquant des atteintes au secret médical. Après le rapport établi en 1991 par la Chancellerie sur la responsabilité médicale et l'indemnisation du risque thérapeutique, M. Bernard Kouchner, ministre de la santé, avait chargé, en 1992, M. Ewald d'établir un rapport complémentaire sur " le problème français des accidents thérapeutiques- enjeux et solutions " qui avait servi de base à la rédaction d'un avant projet de loi. En 1993, le journal Le Monde titrait une interview du ministre délégué à la santé, M. Philippe Douste-Blazy, en reprenant ses propos selon lesquels " le seul moyen de sauvegarder la relation médecin-malade est d'adopter une loi sur l'aléa thérapeutique ". Un projet de loi était annoncé comme devant être discuté par le Parlement à l'automne 1994.
L'article 14 de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux prévoyait la remise au Parlement, avant le 31 décembre 1998, d'un " rapport sur le droit de la responsabilité et de l'indemnisation applicable à l'aléa thérapeutique ".
Ce rapport, établi conjointement par l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en septembre 1999, a été remis au Parlement le 17 novembre 1999 7 ( * ) .
Il préconise de garder la faute comme fondement de la responsabilité médicale et d'instituer un fonds national d'indemnisation des accidents thérapeutiques graves et non fautifs n'incluant toutefois pas les risques de contamination par les produits défectueux, notamment les contaminations par le virus de l'hépatite C. Des commissions régionales d'indemnisation permettraient dans tous les cas un accès facilité à une expertise précontentieuse collégiale et favoriseraient les règlements amiables. Le rapport propose enfin d'unifier sous la compétence judiciaire l'ensemble du contentieux lié à l'activité médicale.
* 7 IGAS-IGSJ, Rapport sur la responsabilité et l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, septembre 1999, 16/99.