d) La pertinence des comparaisons
La pertinence des comparaisons est sujette à caution.
Il est souvent affirmé que les vapeurs mercurielles dans la cavité buccale dépassent les valeurs limites d'exposition au mercure fixées par l'OMS dans les lieux de travail, ou dans l'air ambiant, et que la teneur en mercure dans la salive dépasse les normes en vigueur pour l'eau potable, faisant dire « qu'on tolère en bouche ce que l'on n'admet pas dans l'eau du robinet ou dans les usines ».
La comparaison entre air intra-buccal et air en milieu professionnel fait l'objet de controverses. L'argument est que l'air buccal ne représente qu'une petite fraction de l'air inhalé (air extérieur inhalé par le nez). Une fraction variable selon les moments de la journée (accrue au moment des repas par exemple) mais en moyenne très faible. Il faut aussi tenir compte de l'air exhalé. Par conséquent, tout l'air intra-buccal n'est pas absorbé par le porteur. Tous ces éléments conduisent à penser que la comparaison air buccal / air extérieur, est erronée. Plusieurs études estiment que, pour être pertinente, la mesure de l'air intra-buccal doit être divisée par seize.
Cette comparaison a été discutée par le groupe de travail européen.
Les hypothèses sont les suivantes : l'exposition mercurielle liée aux amalgames est estimée entre 1 et 5 ug par jour. Le seuil minimum pour observer des effets subcliniques est de 30 ug de mercure par m3 d'air (seuil fixé par l'OMS). Or, on parle d'exposition professionnelle lorsqu'un individu travaille 8 heures par jour, 5 jours sur 7.
A partir de ces hypothèses, le groupe procède au calcul suivant : considérant que l'air inhalé est de 10 m3 par jour et que l'absorption de mercure par les poumons est de 80 % de l'air inhalé, la dose minimale d'exposition est de 1.200 à 2.000 ug de mercure par semaine (6 ( * )) :
Si l'on prend l'hypothèse d'une exposition au mercure de 1 à 5 ug par jour, soit 7 à 35ug par semaine, l'exposition au mercure liée aux amalgames est de 35 à 285 fois plus basse que le seuil des effets subcliniques.
e) Les insuffisances scientifiques
L' étude de Tübingen soumise à la critique scientifique par le professeur A. Bernard Professeur à l'Université de Louvain, Belgique expert, membre du comité de pilotage Bien que largement diffusée et citée, l'étude de Tübingen n'a pas fait l'objet d'une publication dans une revue scientifique avec comité de lecture. On ne retrouve en effet dans les banques de données internationales aucune trace de cette étude ni même des auteurs qui l'ont signée (Roller E., Weiss HD et Maier KH). Il ne faut donc pas s'étonner que cette étude ne soit pas prise en considération par les comités scientifiques chargés d'évaluer les risques liés aux amalgames. Ces comités ont pour règle en effet de ne retenir que les publications qui sont passées par le filtre de l'évaluation par les pairs, ce qui implique le respect de certains critères. Il serait d'ailleurs intéressant de connaître les raisons pour lesquelles cette vaste étude n'a pas été publiée, ce qui revient à s'interroger sur les motivations réelles des auteurs car mener des recherches scientifiques sans finalité de publication, c'est se condamner à brève échéance à un verdict de non productivité et de travail inutile pour la science et la collectivité. L'évaluation par les pairs est donc une étape incontournable dans la reconnaissance d'une étude par la communauté scientifique internationale. Les avis que les pairs émettent au sujet d'un manuscrit sont confidentiels et souvent d'autant plus sévères que le niveau de la revue est élevé. Ces avis certes peuvent varier quant au fond ou l'interprétation mais s'agissant des aspects méthodologiques, habituellement les divergences sont très peu marquées dès lors que les évaluateurs sont des scientifiques expérimentés et rodés à la recherche. Dans le cas de l'étude de Tübingen, voici les points qui auraient immanquablement été soulevés par un comité de lecture. Le recrutement de la population. Le recrutement a été fait sur une base volontaire par le biais d'un article publié dans la presse en 1995 et suite à une campagne d'informations dans les médias. On peut craindre que ce procédé ait effectivement drainé vers l'étude les sujets déjà sensibilisés à la problématique des risques mercuriels. Ce biais de sélection est d'autant plus inévitable qu'une contribution financière a été demandée aux volontaires. Dans ce contexte, on conçoit difficilement que des personnes non convaincues de la toxicité des amalgames dentaires aient accepté de participer. Le rapport ne mentionne nullement que le protocole de l'étude a reçu l'accord d'un comité d'éthique, ce qui est une condition pourtant requise pour mener ce type d'investigation. Questionnaire. On reste perplexe à la lecture du questionnaire tant les questions sont imprécises au sujet des troubles de santé et tant il manque aussi des questions pourtant essentielles à l'analyse des résultats. Il n'existe en particulier aucune question au sujet de l'hygiène et des soins dentaires (nombre de brossages des dents par jour, période écoulée depuis la dernière intervention dentaire, fréquence des soins dentaires..). De même les auteurs n'ont pas interrogé les volontaires sur les risques professionnels et les pratiques alimentaires pouvant influencer le degré d'imprégnation par le mercure (boissons acides attaquant les amalgames, poissons,..) et les multiples facteurs confondants pouvant être associés aux troubles observés (maladies nerveuses, situation familiale ou professionnelle, consommation de médicaments, de tabac, d'alcool...). On se demande aussi dans quelle mesure les participants ont pu auto-évaluer le nombre d'obturations qu'ils ont en bouche. Analyse du mercure. La méthode de dosage du mercure est décrite soigneusement dans le rapport et les auteurs se défendent de toute surestimation ou de toute dérive analytique. Il eut été intéressant que les auteurs présentent les résultats des contrôles de qualité effectués au cours de cette étude. Les taux de mercure très élevés (supérieurs à 1 mg/l) observés auraient du être confirmés par d'autres analyses par exemple au niveau urinaire ou du moins les auteurs auraient du apporter la preuve qu'il ne s'agissait pas de contaminations ponctuelles dues à une obturation récente. Analyse statistique . Bien que les auteurs évoquent l'utilisation de divers tests statistiques, l'analyse statistique est très sommaire et insuffisante pour tirer des conclusions. Le rapport discourt sur l'utilisation des médianes et des moyennes, ce qui est non pertinent car l'analyse statistique aurait du être pratiquée sur l'ensemble des résultats. Les méthodes statistiques actuelles permettent sans difficultés d'intégrer les extrêmes dans l'analyse statistique. Il est donc inacceptable d'écarter des valeurs et de ne travailler que sur une certaine plage de valeurs (66%). De même une analyse "univariée", c'est à dire testant un seul facteur comme celle illustrée par les diverses figures, ne permet de tirer aucune conclusion car les troubles étudiés ne sont pas spécifiques de l'intoxication mercurielle. Une analyse de type "multivariée" ajustant les observations par l'influence des autres facteurs (notamment ceux liés au mode de vie ou à des affections bien diagnostiquées) est indispensable pour tester les hypothèses émises par le rapport. Sur le plan statistique l'étude est donc inachevée. Interprétation. La discussion comporte des éléments qui font référence à des situations de conflits et qui n'ont donc pas leur place dans une étude scientifique. La conviction se substitue trop souvent à l'analyse impartiale et à la déduction logique. A certains moments, la conviction entraîne les auteurs dans de véritable contradictions. Par exemple, d'un côté ils affirment que la salive (test recommandé par leur laboratoire) est le seul indicateur fiable de l'imprégnation cérébrale, et de l'autre ils prétendent que le mercure ingéré (donc via la salive) est peu pertinent car non résorbé au niveau intestinal. Ces affirmations sont aussi en totale contradiction avec le constat fait dans la suite du rapport à savoir que le mercure libéré par les amalgames est absorbé par voie pulmonaire sous forme de vapeurs mercurielles, ce qui est correct. C'est précisément en raison de ces deux voies possibles d'absorption (pulmonaire et intestinale) que les toxicologues recommandent les dosages sanguins ou urinaires pour apprécier les risques de toxicité neurologique et rénale (le sang est le passage obligé du mercure pour aboutir au cerveau et aux reins). Enfin, le calcul de la dose journalière de mercure ingérée en provenance des obturations est erroné car il repose sur le postulat que la concentration du mercure dans la salive multipliée par le débit salivaire correspond à la quantité de mercure libérée par les amalgames chaque jour. En fait, c'est oublier que le mercure présent dans la salive peut provenir de trois sources : le mercure excrété par voie biliaire le mercure associé aux cellules exfoliées de la cavité buccale reflétant aussi le stockage dans ces cellules épithéliales du mercure libéré sur une période plus longue que 24 heures) et le mercure effectivement libéré par l'amalgame. Seule cette dernière source correspond à l'apport direct par les amalgames. Ces trois sources ne peuvent être constantes sur la journée et donc l'extrapolation sur une période de 24 heures d'une quantité mesurée sur un prélèvement assez ponctuel de salive est un exercice qui reste très aléatoire. Même si les conclusions du rapport concernant un dépassement de la dose journalière reposent sur une extrapolation ignorant ces aspects métaboliques, il n'en reste pas moins vrai que le mercure libéré par les obturations comme le montre l'étude de Tübingen représente la principale source d'exposition au mercure pour la population générale non soumise à des risques professionnels et ayant une consommation modérée de poissons. L'OMS considère que cet apport reste inférieur à la dose journalière acceptable (42 ug/jour). * (6) soit 30 ou 50 (ug de Hg) X 10 (m3) X 5 (jours) X 0,8 (proportion absorbée par les poumons) |