b) Les conséquences financières de la décision
Le coût d'élimination de canalisations en plomb étant estimé à 120 milliards de francs en France au moment où la décision fut prise, l'estimation, corrigée à la baisse, est aujourd'hui de 70 milliards de francs.
Trois questions se posent alors :
- Le coût doit-il intervenir dans une décision sanitaire ? Tout dépend bien évidemment des risques et de l'arbitrage entre le principe de précaution et le principe « ALARA ». -reasonnably acceptable ». Une autre façon de renverser la question : le coût peut-il être exclu d'une décision sanitaire ? La solution à ces deux interrogations porte un nom : l'analyse coût-avantages.
- Le but peut-il être atteint à un coût moindre ? On observera tout d'abord que la suppression des seules canalisations en plomb ne supprime pas le risque hydrique. Il existe des contaminations supérieures à 10 ug/l en l'absence de plomb dans les canalisations.
93,5 % de la population n'est guère exposée aux apports de plomb d'origine hydrique. La mortalité liée au plomb est nulle. Seules quelques régions et/ou quelques populations sont à surveiller. « En France métropolitaine, 6.000 unités de distribution délivrant à 3,7 millions d'habitants des eaux faiblement minéralisées (pH >6,5), susceptibles d'être en contact avec des canalisations en plomb (Vosges, Massif central...). En Outremer, ce sont 1,1 million d'habitants pour 212 unités de distribution » (72 ( * )).
Une solution consistant à adopter une CMA à 25 ug/l associée à une valeur guide objectif à 10 ug/l aurait sans nul doute été moins coûteuse, le remplacement des anciennes canalisations s'opérant alors au rythme normal de l'usure, et les sites et populations à risques pouvant bénéficier le cas échéant d'aides ou de programmes spécifiques destinés à alléger la charge en plomb dans l'eau. Une action ciblée paraît toujours plus appropriée qu'une mesure générale.
- enfin, la dépense pouvait-elle être mieux utilisée ? La France va dépenser 70 milliards pour limiter un risque faible. Tandis que dans le même temps il existe des contaminations et des expositions beaucoup plus importantes, beaucoup plus graves (l'exposition liée aux vieilles peintures, l'arsenic dans l'eau...) qui peuvent être éradiquées pour un coût bien inférieur.
La France, l'Europe a-t-elle établi des priorités, une véritable stratégie sanitaire ? Il est permis d'en douter.
Cette critique de fond a été parfaitement exprimée par M. Paul-Henri Bourrelier, ingénieur général des Mines, coordonnateur du rapport de l'Académie des sciences sur « La contamination des sols par les éléments en trace. », lors de son audition.
« Les zones ou produits à surveiller sont en vérité peu nombreux : les batteries, les installations industrielles des deux siècles passés, les peintures dans les habitats insalubres, les décharges sauvages, les zones géologiques acides... Les traitements uniformes sont coûteux et inopérants. Une politique ciblée, modulée serait, de loin, beaucoup plus efficace. Il ne faut pas chercher à réduire les risques partout en dépensant des moyens importants sur des zones où ils n'existent pas.
Il y a en fait, trois métaux lourds principaux, et une dizaine de dangers ou de situations à risques : repérables, techniquement et économiquement éliminables dont l'élimination est à la portée de l'économie française. »
Cibler les actions sur des lieux ou des groupes à risques sera beaucoup moins coûteux et beaucoup plus efficace que prendre des mesures extrêmes pour supprimer les métaux lourds qui seraient peut-être remplacés par des produits plus dangereux.
Les remèdes sont souvent de simple bon sens : éviter les diffusions inutiles, développer des technologies propres, surveiller les milieux à risques, notamment les milieux aquatiques, récupérer les déchets.
La fixation d'une concentration maximale admissible à 10ug par litre appelle donc quelques réserves. L'Office regrette que la France n'ait pas su faire valoir une autre logique, fondée sur l'appréciation des risques et l'action sur des groupes ou lieux à risques. On rappellera que contrairement à la France un certain nombre d'Etats de l'Union européenne, pour des raisons historiques ou géographiques, ne sont pas affectées par cette décision, qui n'entraîne pour eux aucune dépense.
* (72) INSERM - Le plomb dans l'environnement - 1999