IV. LE PROTOCOLE ADDITIONNEL AU PROTOCOLE DE SANGATTE : UN JALON NÉCESSAIRE POUR LE RENFORCEMENT DES CONTRÔLES
Le protocole additionnel formalise les engagements sur lesquels s'étaient accordés les deux ministres de l'intérieur dans les lettres échangées des 24 et 29 juillet 1998. Il comprend deux volets : la mise en place de bureaux de contrôle des personnes et l'aménagement des dispositions relatives aux demandes d'asile.
1. La mise en place des bureaux de contrôle des personnes
Le protocole de Sangatte, rappelons-le, prévoyait la mise en place de contrôles nationaux juxtaposés dans les installations terminales de la liaison transmanche, ainsi que la possibilité d'effectuer des contrôles à bord des trains.
Les gares d'accès au train étaient simplement considérées comme des zones de contrôle dites " passives " -les agents de l'Etat limitrophe ne pouvaient en effet y exercer des contrôles à proprement parler mais seulement utiliser ces zones pour les activités connexes et consécutives à des contrôles opérés dans les terminaux ou dans les trains directs. Concrètement, les agents britanniques ne pouvaient exercer de contrôles dans la gare du Nord. Toutefois, à la suite de contrôles effectués dans un train direct à destination de Londres, ils pouvaient procéder à des vérifications d'identité ou retenir une personne suspecte ou en infraction dans les zones de contrôle définies au sein de la gare du Nord.
Désormais, les agents du pays limitrophe pourront exercer le contrôle sur le territoire de l'autre partie dans le cadre des bureaux de contrôle de personnes empruntant les trains directs. Ces bureaux seront installés sur le territoire britannique, aux gares de Londres-Waterloo, Londres-Saint Pancras et Ashford et, sur le territoire français à Paris-Gare du Nord, Calais et Lille-Europe.
Selon le principe fixé par le protocole de Sangatte, les agents en poste sur le territoire de l'autre Etat agiront, dans l'exercice de leurs fonctions, conformément au droit de leur Etat d'origine.
La répartition des tâches est claire :
Le contrôle effectué par les autorités de l'Etat de départ aura pour but de vérifier que la personne peut quitter le territoire de cet Etat, celui exercé par les autorités de l'Etat d'arrivée aura pour objet de s'assurer que la personne est en possession des documents de voyage requis et remplit les autres conditions pour être autorisée à entrer dans l'autre Etat.
Les bureaux de contrôle de personnes constituent donc une structure inédite, distincte des traditionnels BCNJ, dans la mesure où leur contrôle porte sur les personnes exclusivement et non sur les biens.
2. L'examen des demandes d'asile
Le protocole additionnel a également pour objet d'alléger la charge supportée par le Royaume-Uni en matière d'examen des demandes d'asile.
En effet, actuellement, beaucoup d'étrangers en situation irrégulière transitant par la France pour se rendre au Royaume-Uni formulent leur demande d'asile dès leur arrivée sur le territoire britannique.
Les conditions de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, au sein de l'Union européenne, sont fixées par la convention de Dublin (signée le 15 juin 1990 et entrée en vigueur le ler septembre 1997). Cette convention pose pour principe qu'une demande d'asile ne peut être présentée que dans un seul Etat.
Le choix de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile obéit à des critères alternatifs précis et applicables dans l'ordre dans lequel ils sont énoncés. En premier rang :
- l'Etat ayant reconnu la qualité de réfugié à l'un des membres de la famille du demandeur d'asile,
- l'Etat ayant délivré un visa ou un titre de séjour au demandeur d'asile,
- l'Etat par le territoire duquel le demandeur d'asile a pénétré sur le " territoire commun ",
- le premier Etat auquel la demande d'asile a été présentée ;
La responsabilité de l'Etat est déterminée à l'issue d'une procédure administrative basée sur un entretien avec le demandeur d'asile et un questionnaire préétabli et commun à l'ensemble des Etats parties à la Convention. Le demandeur d'asile est physiquement transféré vers l'Etat déclaré responsable de la demande d'asile.
Le Royaume-Uni, soucieux de limiter le nombre des demandeurs d'asile sur son territoire, pourrait faire valoir comme critère de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, l'Etat par le territoire duquel le demandeur d'asile a d'abord pénétré dans l'Union européenne. Cependant, les demandeurs d'asile étant dans leur grande majorité démunis de tout document d'identité et de voyage, il est pratiquement impossible pour les Britanniques de réunir les éléments de preuve qui pourraient permettre d'identifier le premier Etat de l'Union européenne dans lequel ils sont entrés.
Dès lors, le critère selon lequel le premier Etat membre auprès duquel la demande d'asile a été présentée est responsable de l'examen s'applique et le Royaume-Uni est obligé d'assurer le traitement de la demande d'asile.
La présence d'agents britanniques sur territoire français dans le cadre des futurs bureaux de contrôle des personnes introduit-elle un nouvel élément pour l'examen des demandes d'asile ?
Non, au regard de la convention de Dublin qui a prévu cette hypothèse : lorsqu'une demande est introduite auprès des autorités compétentes d'un Etat membre par un demandeur qui se trouve sur le territoire d'un autre Etat membre, la détermination de l'Etat membre responsable de la demande incombe alors à l'Etat membre sur le territoire duquel se trouve le demandeur.
En d'autres termes, la France aurait, selon les termes de la convention, la possibilité de désigner le Royaume-Uni comme Etat responsable de l'examen de la demande d'asile. Il est clair que la portée du protocole additionnel s'en trouverait dès lors fortement limitée. En effet, la présence d'un contrôle britannique sur le territoire français a pour objet de limiter l'entrée des clandestins. Or, l'examen par le Royaume-Uni de demandes d'asile déposées sur le territoire français conduirait à l'admission sur le territoire britannique de nombreux étrangers.
Mais le Royaume-Uni a souhaité que la France renonce au pouvoir d'appréciation que la convention de Dublin lui laissait et prenne en charge les demandes d'asile présentées aux agents de contrôle britanniques exerçant leurs fonctions dans les gares françaises.
Ceci a été décidé dans le cadre du protocole additionnel : l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile sera l'Etat sur le territoire duquel se trouve le demandeur, avant la fermeture définitive des portes du train et l'Etat d'arrivée, au-delà (article 4).
Le protocole additionnel introduit ainsi une obligation nouvelle pour l'Etat de départ et dans les faits pour la France.
Cependant, d'après les avis recueillis par votre rapporteur, les nouvelles modalités d'examen des demandes d'asile prévue par le protocole additionnel ne devraient pas se traduire par une surcharge de travail pour l'OFPRA, tant que la motivation des étrangers pour obtenir l'asile au Royaume-Uni n'aura pas disparue. Les étrangers pourraient alors chercher d'autres voies d'accès vers le Royaume-Uni plutôt que de déposer une demande d'asile en France. En effet, selon le traité de Dublin, il ne peut y avoir qu'une seule demande d'asile déposée auprès des Etats signataires. Une demande déposée en France élimine toute chance d'obtenir l'asile en Grande-Bretagne.
3. Une question de souveraineté
L'ensemble des voyageurs empruntant l'Eurostar est aujourd'hui soumis à un contrôle d'identité exercé par la PAF (sur la base de l'ordonnance de 1945 pour les voyageurs se rendant à Londres ; sur la base de l'article 78-2 du code de procédure pénale pour ceux qui restent sur le territoire national -contrôles autorisés dans les gares internationales). Cependant, à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, ils seront aussi soumis à un contrôle exercé par les agents britanniques. Le protocole additionnel ne constitue une base juridique pour les contrôles exercés sur les seuls voyageurs se rendant au Royaume-Uni, et non pour ceux auxquels seront soumis les passagers demeurant sur le territoire français.
Les bureaux de contrôle ont pour objet de contrôler les " personnes empruntant les trains directs et désirant se rendre dans l'Etat d'arrivée " (article 2). Or, certains voyageurs empruntent l'Eurostar pour se rendre de Paris-gare du Nord à Calais-Frethun. Ils ne devraient pas être soumis à contrôle. Cependant, en l'absence de ce contrôle, les irréguliers peuvent aisément produire un billet Paris-Calais et rester dans le train jusqu'à Londres. Les autorités britanniques, dans le cadre des négociations relatives au protocole additionnel au protocole de Sangatte, ont demandé que soit supprimé l'arrêt de Calais, ce que la partie française ne pouvait accepter.
C'est pourquoi, une mesure législative intérieure s'avérait indispensable pour justifier le contrôle, par des agents britanniques, des ressortissants français qui restaient sur le territoire national .
L'article 14 du projet de loi sur la sécurité quotidienne, présenté par ailleurs en conseil des ministres le 14 mars dernier, prévoit que " les passagers empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni peuvent être soumis aux contrôles prévus [par le protocole additionnel au protocole de Sangatte à compter de sa date d'entrée en vigueur] quelle que soit leur gare de destination ".
Il n'appartient naturellement pas à votre rapporteur de se prononcer sur cette disposition qui sera examinée par notre commission des lois.
4. Une évaluation des moyens
Des aménagements de locaux seront nécessaires pour réaliser rapidement cette modification substantielle du système de contrôle Eurostar en gare du Nord, à Londres Waterloo et Ashford.
Des effectifs supplémentaires ont été évalués avec des créations de postes indispensables.
Le budget du ministère de l'intérieur pour 2002 devra donc nécessairement prendre en compte les nouveaux besoins matériels et humains liés à l'entrée en vigueur du protocole additionnel au protocole de Sangatte. |