C. UNE MODIFICATION SANS PRÉCÉDENT
Il est arrivé, depuis les débuts de la V e République, que des mandats électifs soient prolongés :
- la loi n° 66-947 du 21 décembre 1966 a reporté de mars à octobre 1967 le renouvellement d'une série de conseillers généraux afin d'éviter que celui-ci ne coïncide avec les élections législatives ;
- la loi n° 72-1070 du 4 décembre 1972 a également reporté le renouvellement d'une série de conseillers généraux de mars à octobre 1973 afin d'éviter que celui-ci ne coïncide avec les élections législatives ;
- la loi n° 88-26 du 8 janvier 1988 a reporté de mars à septembre le renouvellement d'une série de conseillers généraux, afin d'éviter des difficultés d'organisation de l'élection présidentielle ;
- la loi n° 90-1103 du 11 décembre 1990 a pour sa part prolongé le mandat d'une série de conseillers généraux et écourté le mandat d'une autre série, afin d'assurer la concomitance des élections régionales et des élections cantonales ;
- la loi n° 94-590 du 19 juillet 1994 a reporté de mars à juin 1995 les élections municipales, afin d'éviter des difficultés d'organisation de l'élection présidentielle ;
- enfin, la loi n°96-89 du 6 février 1996 a reporté de mars à mai 1996 le renouvellement des membres de l'assemblée territoriale de la Polynésie française pour éviter que ces élections coïncident avec l'examen par le Parlement d'une réforme du statut de ce territoire d'outre-mer.
Aucun de ces exemples n'est comparable avec le texte aujourd'hui soumis au Sénat, dans la mesure où ils concernaient tous des assemblées locales. En outre, ces assemblées n'ont pas elles-mêmes décidé de prolonger la durée de leur mandat quelques mois avant le terme de celui-ci comme l'Assemblée nationale pourrait le faire dans le cas présent.
Au cours du siècle écoulé, la prorogation du mandat des députés n'est guère intervenue qu'à deux reprises...en 1918 et 1940. Convenons que de pareils précédents justifient que l'on s'interroge sur le caractère impérieux des motifs qui sous-tendent le texte en discussion.
D. UNE SOLUTION PORTEUSE DE DIFFICULTÉS
La précipitation dans laquelle le Parlement est conduit à examiner la proposition de loi organique risque de ne pas permettre un examen approfondi de toutes les conséquences de celle-ci. Les auditions organisées par votre commission des lois ont permis de mesurer que la question était plus complexe qu'il y paraissait au premier abord et que toutes les conséquences du texte en discussion n'avaient pas été mesurées.
La modification proposée n'a pas en effet vocation à s'appliquer à la seule année 2002, mais tend à fixer de manière pérenne la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale au troisième mardi de juin.
Personne jusqu'ici ne s'est interrogé sur l'opportunité, indépendamment de la question de l'ordre des élections, de modifier ainsi la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Est-il souhaitable que l'Assemblée élue entame ses travaux le troisième mardi de juin pour les interrompre quelques jours plus tard ?
Une telle réforme ne conduira-t-elle pas à la convocation systématique d'une session extraordinaire les années d'élections législatives ?
Est-il souhaitable également que le projet de budget commence à être élaboré par le Gouvernement avant les élections législatives pour être éventuellement remis en cause par un autre Gouvernement ?
Le premier mardi d'avril n'a pas été choisi de manière fortuite comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Il s'agissait de la date normale d'ouverture de la session parlementaire de printemps. Cette date permettait au gouvernement formé après les élections législatives et à l'Assemblée de commencer à travailler et à préparer le projet de budget avant l'interruption des travaux à la fin du mois de juin.
En fait, à supposer que les dates prévues pour les élections soulèvent des difficultés, n'est-ce pas plutôt la date de l'élection présidentielle qui mériterait d'être réexaminée ? 18 ( * ) En 1958, cette élection avait été organisée en décembre et aurait continué d'être organisée à cette date si un Président n'avait pas quitté ses fonctions et si un autre n'était pas décédé en cours de mandat.
Ainsi que l'a souligné M. Didier Maus devant votre commission des lois 19 ( * ) , depuis l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958, le calendrier électoral s'est enrichi de trois nouvelles consultations au suffrage universel direct : l'élection présidentielle, les élections européennes et les élections régionales. L'organisation des consultations électorales dans notre pays ne mériterait-elle pas d'être examinée dans le cadre d'une réflexion globale et approfondie ?
A vouloir modifier dans l'urgence la date d'une consultation électorale, le législateur organique ne risque-t-il pas de créer de nouvelles difficultés ?
A titre d'exemple, si le calendrier proposé par le Gouvernement devait être retenu et perdurer, il convient d'ores et déjà de noter que l'année 2007 sera marquée par une difficulté particulière. En 2007, comme en 1995, des élections municipales précéderont les élections présidentielles. Les élections municipales seront au surplus couplées avec des élections cantonales. Or, ces consultations devront vraisemblablement être déplacées, comme en 1995, pour éviter de rendre impossible la procédure de parrainage des candidats à l'élection présidentielle. En 1995, les élections municipales ont été reportées au mois de juin. Un tel choix pourrait s'avérer difficile, sinon impossible, si des élections législatives étaient organisées au cours du même mois. Un report en septembre ne poserait pas moins de difficultés, compte tenu de l'organisation d'élections sénatoriales.
De manière plus générale, il semble que la méthode consistant, pour le Constituant ou le législateur, à modifier ponctuellement les règles de fonctionnement de nos institutions atteigne ses limites. L'approche impressionniste chère à un ancien Président de la République risque en effet de faire perdre de vue l'essentiel, à savoir la cohérence de l'oeuvre ainsi accomplie.
* 18 M. Guy Carcassonne, favorable à la modification de l'ordre des consultations électorales, s'est prononcé pour une modification de la date de l'élection présidentielle : " Dans chaque année d'élection présidentielle, non seulement est sacrifiée une période (avril-juin) propice à l'activité législative, mais encore l'élaboration de la loi de finances de l'exercice suivant est gravement perturbée. Ceci se traduit notamment dans le nombre et l'importance des lois de finances rectificatives qui suivent ces échéances pour redresser les graves imperfections de budgets pré parés dans de très mauvaises conditions " ; RDP, n°4, 2000, p. 968.
* 19 Cf annexe.