2. Le texte adopté par l'Assemblée nationale ne présente pas toutes les garanties d'équilibre et de clarté nécessaires
La présente proposition de loi comprend huit articles, dont quatre articles additionnels ajoutés lors de la discussion à l'Assemblée nationale. Les quatre premiers articles constituent en fait une reprise des articles 46, 47, 48 et 49 du projet de loi de modernisation sociale déposé à l'Assemblée nationale le 24 mai dernier.
L'article premier de la proposition de loi aménage le régime de la charge de la preuve concernant l'ensemble des discriminations. L'article 4 fait de même en ce qui concerne le domaine spécifique des discriminations fondées sur le sexe.
La rédaction retenue dans chaque cas s'éloigne du texte de la directive. En effet, selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, le salarié doit présenter des " éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte " à l'appui de sa plainte alors que la directive prévoit que le plaignant " établit (...) des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination ".
De deux choses l'une, ou les deux membres de phrases ont le même sens et l'on ne voit pas l'intérêt de s'éloigner de la directive ou ce n'est pas le cas et il faudrait que les auteurs précisent leurs intentions.
De même, les directives ont prévu qu'il incombait " à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement " alors que l'Assemblée nationale prévoit, quant à elle, reprenant mot pour mot la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il lui incombe de prouver que sa décision " est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ".
Dans ce cas, la différence est plus sensible notamment du fait de la référence à des " éléments objectifs ". Il s'agit là de termes ambigus. Pourquoi une décision de recrutement ne pourrait-elle pas être déterminée, au moins partiellement, par des éléments subjectifs comme l'intuition, la sympathie ou le dynamisme ? Les entreprises ne recrutent pas par concours anonyme. A trop vouloir en faire, on risque d'obtenir un résultat inverse à l'effet recherché. Comment le juge pourrait-il former sa conviction si le plaignant ne lui présente pas des faits et si l'on oblige l'employeur à n'évoquer que des éléments " objectifs " ?
L'intérêt des parties comme l'efficacité des mesures de lutte contre les discriminations résident dans notre capacité à modifier en profondeur les comportements individuels et non en l'affaiblissement de l'employeur qui deviendrait alors le bouc émissaire de l'échec partiel de nos politique d'intégration.
L'Assemblée nationale et le Gouvernement ont souhaité s'inspirer davantage de l'évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation que du texte des directives européennes. En effet, le texte de la proposition de loi s'inspire très largement d'un arrêt rendu dernièrement par la Chambre sociale de la Cour de cassation 12 ( * ) . Il en résulte des dispositions qui sont soit floues, soit excessives, mais qui ont en commun de placer le juge en position d'arbitre, ayant à se faire son opinion en dehors d'éléments matériels, ce qui est toujours risqué.
Force est de constater qu'une fois de plus la majorité et le Gouvernement ont choisi de transcrire dans la loi les arrêts de la Cour de cassation plutôt que des directives européennes. Pareille situation s'était produite lors de la discussion du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail à propos de la définition du temps de travail effectif.
L'arrêt de M. Fluchère et autres
c/SNCF
(...) Attendu que, selon l'arrêt attaqué, MM. Dick et Fluchère, entrés respectivement en 1964 et 1970 à l'établissement d'Avignon de la SNCF, tous deux agents de conduite exerçant ou ayant exercé de nombreux mandats représentatifs et syndicaux, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts en se prévalant d'un préjudice résultant du déroulement retardé de leur carrière, conséquence de la prise en considération par l'employeur de leurs activités syndicale et de représentation du personnel ; Attendu que pour débouter MM. Dick et Fluchère de leurs demandes de dommages-intérêts pour préjudice de carrière, la cour d'appel énonce, par motifs adoptés, que les dispositions statutaires prévoient les conditions dans lesquelles la hiérarchie, seule compétente pour le faire, accorde les avancements qu'elle estime mérités et que, dès lors, il n'est pas établi que les demandeurs n'ont pas eu la carrière que justifiaient leur qualification, assiduité et leurs compétences et, par motifs propres, qu'aucun des agents ne faisant la démonstration qu'il y aurait eu à son égard discrimination en raison de son appartenance syndicale ; que le juge n'a pas qualité pour se substituer à l'employeur quant à l'appréciation de la qualification, de la compétence, le cas échéant de la disponibilité et autres éléments qui gouvernent les décisions d'affectation des agents à des postes déterminés et que les pièces produites ne permettent pas de penser que la carrière des agents concernés ne serait pas conforme à leurs qualités professionnelles propres ; Attendu, cependant, qu'il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat ; Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que, d'une part, si le juge n'a pas à se substituer à l'employeur, il lui appartient de vérifier, en présence d'une discrimination syndicale invoquée, les conditions dans lesquelles la carrière des intéressés s'est déroulée, et alors, d'autre part, que la preuve de la discrimination n'incombait pas au salarié , la cour d'appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs : Casse et annule, dans toutes ces dispositions, l'arrêt rendu le 23 septembre 1997, entre le parties, par la cour d'appel de Nîmes (...). |
Cette situation est préoccupante puisqu'elle encourage la Cour de cassation à s'éloigner parfois sensiblement des textes de loi qu'elle ne se limite plus à interpréter mais auxquels elle substitue sa propre vision des relations sociales, au besoin en s'inspirant plus ou moins de directives européennes dont le délai de transcription n'est pas échu.
Parmi les autres dispositions prévues par cette proposition de loi, on observera que l'article 2 prévoit :
- la possibilité pour les syndicats d'agir en justice sans avoir à justifier d'un mandat du salarié concerné ;
- la mise en place d'un droit d'alerte au bénéfice des associations ;
- et la reconnaissance de la nullité d'un licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice pour discrimination.
L'article 3 est plus particulièrement consacré à l'inscription dans les conventions collectives de dispositions concernant l'égalité de traitement entre salariés.
L'article 6 comprend les dispositions électorales relatives aux prud'hommes qui interdisent notamment à toute organisation prônant des discriminations de présenter des listes.
L'article 7 modifie la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales afin de protéger les salariés qui témoignent de mauvais traitements aux personnes accueillies dans des institutions et qui, de ce fait, font l'objet de discriminations.
Enfin, l'article 8 prévoit la création d'un service d'accueil téléphonique gratuit.
* 12 Voir encadré ci-après.