B. UNE " ÉPÉE DE DAMOCLÈS " AU-DESSUS DE LA CROISSANCE

1. Les 35 heures devraient accentuer les désajustements sectoriels du marché du travail

Le Gouvernements a considéré, jusqu'à présent, que les trente-cinq heures et les pénuries de main-d'oeuvre constituaient des sujets indépendants l'un de l'autre. C'était peut-être une position tenable jusqu'à présent, ce ne le sera plus demain.

En effet, la loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail a prévu une période transitoire en distinguant selon que l'entreprise emploie plus ou moins de 20 salariés. Les entreprises de moins de 20 salariés se verront appliquer la nouvelle durée légale du travail à partir du 1 er janvier 2002, alors que les entreprises de plus de 20 salariés ont dû faire face depuis le 1 er janvier dernier à un renchérissement des heures travaillées au-delà de la 35 e heure.

A cela s'ajoute le fait que l'année 2000 était elle-même une année de transition, le taux de rémunération des heures supplémentaires était limité à 10 % entre la 36 e et la 39 e heures et seules les heures effectuées au-delà de 37 heures par semaine étaient prises en compte pour le calcul du contingent d'heures supplémentaires.

Tous ces éléments peuvent expliquer que le rôle des trente-cinq heures a, jusqu'à présent sans doute, été limité dans le développement difficultés de recrutement.

Pour l'instant, force est d'ailleurs de constater que les entreprises ne se sont pas précipitées pour anticiper la loi. Selon les statistiques du ministère de l'Emploi, 40.000 accords d'entreprises avaient été signés au 9 octobre, ce qui représente seulement 3 % des entreprises employant au moins un salarié et 29 % des entreprises employant plus de 20 salariés. Au total, cela signifie que 97 % des entreprises et 76 % des salariés du secteur marchand ne sont pas couverts par un accord sur les trente-cinq heures.

Ces chiffres peuvent être modifiés légèrement en prenant en compte les entreprises qui passent à 35 heures sans accord d'entreprise. Mais leur nombre, comme celui de leurs salariés, est modeste comme le confirme une étude de l'Institut français des experts comptables (IFEC) qui estime que 90 % des entreprises de moins de 50 salariés n'ont fait aucune démarche pour passer à 35 heures.

De toute évidence, la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail ne se fait pas sans difficulté, notamment dans les plus petites entreprises.

L'influence des trente-cinq heures dans le développement des difficultés de recrutement a donc été jusqu'à présent d'autant plus limitée que celles-ci sont encore loin d'être appliquées.

Le dispositif imaginé par le Gouvernement pour obliger les partenaires sociaux à réduire la durée du temps de travail apparaît comme particulièrement inadapté à la conjoncture économique actuelle. La loi du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail est en effet d'inspiration malthusienne ; elle diminue le potentiel d'heures travaillées par salarié afin d'obliger les entreprises à recruter. Si on peut comprendre la logique d'un tel raisonnement en période de faible activité, il est évident que celui-ci perd de son efficacité en période de reprise, ceci alors même que le marché du travail continue à connaître des rigidités importantes qui perturbent son fonctionnement.

Dans un contexte de tensions sur le marché du travail, l'abaissement de la durée légale du travail, qui sera effectif pour les petites entreprises à partir du 1 er janvier 2002 et qui prendra toute sa portée pour les autres entreprises à partir du 1 er janvier prochain, à travers le passage à 25 % du taux de rémunération des heures supplémentaires entre la 36 e et la 39 e heures, est lourd de menaces.

On peut s'attendre à une aggravation des difficultés de recruter dès le mois prochain. Les tensions salariales pourraient s'affirmer et constituer un risque fatal pour l'économie. Pour ce qui est des PME de moins de 20 salariés, on ne voit tout simplement pas comment elles pourraient tenir le choc en 2003 quand la période transitoire se rapprochera de sa fin.

2. Un risque réel pour la croissance

Le cabinet de conseil " Ernst and Young " a présenté le mois dernier une enquête 15 ( * ) sur l'attractivité économique de la France réalisée auprès de 350 filiales françaises de groupes internationaux. Force est de constater que les résultats de cette enquête ne sont pas favorables à notre pays.

Concernant l'image qu'ont de la France et des autres pays européens les entreprises interrogées, on note un fort décalage entre l'image de la France, plutôt négative et l'image des autres pays très largement positive.

Trois raisons principales sont présentées pour expliquer cette image :

- la différence marquée entre le droit du travail en France et dans les autres pays européens,

- la communication inefficace sur les trente-cinq heures totalement incomprises à l'étranger,

- l'image très négative des grèves à répétition, surtout dans le service public.

Image de la France et de l'Europe

Quelle image ont, de la France et des autres pays européens,
les cadres dirigeants de votre entreprise ?

Source : Ernst and Young octobre 2000

Les raisons invoquées pour expliquer la mauvaise image de la France constituent aussi les principaux handicaps du pays aux yeux des investisseurs internationaux. Le poids des prélèvements obligatoires, les rigidités sociales et les trente-cinq heures constituent les trois principaux handicaps de notre économie, selon cette enquête.

Principaux handicaps de la France

Source : Ernst and Young octobre 2000

Les handicaps de l'économie française relevés par les investisseurs internationaux sont très liés à la politique économique du Gouvernement. Il n'est donc pas abusif de constater que cette politique n'est pas sans lien avec le fait que 65 % des investisseurs interrogés ne choisiraient pas la France pour implanter un nouvel investissement en Europe.

Intentions d'investissement en France

Si votre entreprise décidait aujourd'hui d'investir en Europe,
la France profiterait-elle de ces investissements ?

Source : Ernst and Young, octobre 2000

Pire, 44 % de ces entreprises envisageraient de délocaliser une partie de leurs activités françaises pour échapper à ce qu'elles considèrent comme un environnement peu propice à l'investissement.

Risque de délocalisation

Votre groupe envisage-t-il actuellement de délocaliser
une partie de ses activités françaises
?

Source : Ernst and Young octobre 2000

Bien sûr, la prudence reste de mise et une telle étude ne doit pas être considérée comme étant le reflet parfait de la réalité. Mais la prudence consiste également à ne pas ignorer un tel avertissement.

Par ailleurs, si les grands groupes internationaux ont toujours la possibilité de " voter avec leurs pieds ", c'est-à-dire de se délocaliser, que va-t-il advenir des petites entreprises qui n'ont pas cette possibilité ?

Les résultats de cette enquête constituent un indice supplémentaire du fait que des évolutions sont nécessaires de manière urgente dans la définition du contenu de la politique de l'emploi.

Une première évolution pourrait consister à assouplir les modalités de la réduction du temps de travail de manière à éviter des tensions sur le marché du travail et à envoyer un signe clair aux investisseurs que la croissance demeure notre priorité.

* 15 Ernst and Young " Attractivité du site France, synthèse des résultats de l'étude 2000 ".

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