C. UNE MAUVAISE POLITIQUE ÉCONOMIQUE

1. La réduction du temps de travail vient accroître les menaces sur une situation conjoncturelle déjà délicate

a) Une conjoncture délicate

A bien des égards, la situation conjoncturelle de l'économie française se rapproche dangereusement du " cocktail stagflationniste " atteint en 1989-1990.

Des tensions sur les capacités de production sont apparues . Le taux d'utilisation des capacités de production - 88,2 % en octobre 2000 selon l'INSEE- dépasse désormais le taux record atteint en 1990 ; le niveau des stocks est au plus bas depuis 1989 ; 41 % des entreprises ne peuvent produire davantage, soit une proportion supérieure au pic atteint en 1989 (37 %) ; les délais de livraison s'allongent.

De nombreux secteurs d'activité connaissent des difficultés de recrutement . Selon l'INSEE, en octobre, 53 % des entreprises du secteur manufacturier éprouvaient des difficultés pour embaucher les salariés dont elles ont besoin (contre 31 % un an plus tôt), soit un niveau identique à celui atteint à la fin de 1990, au moment où le taux de chômage butait sur la barre des 9 %.

La politique budgétaire est procyclique. Elle est caractérisée par des mesures privilégiant la demande au détriment de l'offre, par la dérive de la masse salariale publique et par la hausse du déficit structurel (à hauteur de 0,7 point de PIB entre 1988 et 1990, et de 0,2 point de PIB entre 1999 et 2001 selon l'OCDE). Les conditions monétaires et financières sont, pour l'heure, relativement accommodantes et le niveau des prix des actifs (l'immobilier dans les années 1980, la bourse aujourd'hui) est élevé. Une certaine accélération des salaires horaires, de l'inflation et de l'inflation sous-jacente ainsi que le développement des revendications catégorielles dans le secteur public peuvent être observés. Enfin, les incertitudes sur les perspectives de croissance mondiale et la hausse des prix du pétrole se renforcent.

Rappelons que ce " cocktail " s'était traduit dès la fin de 1990 par de fortes tensions inflationnistes et par un coût d'arrêt brutal au dynamisme de l'activité, puis, après deux années de croissance ralentie (1,1 % en 1991 et 1,3 % en 1992), par la pire récession de l'après-guerre en 1993, cependant que le taux de chômage réaugmentait de trois points. Rappelons aussi que ce retournement n'avait pas été anticipé par le gouvernement d'alors.

Aujourd'hui, les mêmes phénomènes, conjugués avec la dépréciation de l'euro, risquent d'entraîner les mêmes effets, avec les 35 heures pour catalyseur.

b) Les risques des " 35 heures "

En effet, les " 35 heures " accroissent toutes les tensions auxquelles l'économie française est actuellement confrontée.

Les " 35 heures " brident le développement de l'offre par les entreprises françaises . La mise en oeuvre des " 35 heures " s'effectue à rebours du cycle : normalement, lors des phases de reprise de l'activité, la durée du travail s'accroît, notamment par un recours accru aux heures supplémentaires. En l'espèce, la durée du travail est arbitrairement réduite, alors même que nombre d'entreprises éprouvent de réelles difficultés à trouver la main d'oeuvre dont elles auraient besoin. Dans certains secteurs d'activité, comme le bâtiment, la situation devient critique.

Il en résulte que nombre d'entreprises ne peuvent ajuster leur production à la demande. En conséquence, elles subissent de plein fouet les conséquences dommageables de la dépréciation de l'euro sur leurs coûts de production, sans pouvoir les compenser en bénéficiant de ses effets favorables sur leur compétitivité pour exporter davantage. Par surcroît, l'effet de signal résultant de la mise en oeuvre isolée des " 35 heures " réduit l'attractivité relative du territoire pour les entreprises étrangères.

Au total, les " 35 heures " réduisent les capacités de production de la Nation. Or, la réduction du temps de travail n'est durablement créatrice d'emplois que si elle ne freine pas la croissance.

La mise en oeuvre des " 35 heures " renforce les tensions inflationnistes. En effet, les entreprises qui sont déjà passées aux " 35 heures " sont celles pour qui l'opération était avantageuse ou relativement aisée. Pour les autres, la réduction du temps de travail accroît les coûts de production. Par ailleurs, les " 35 heures " accentuent les tensions sur les salaires. En effet, en période de reprise, les rémunérations réelles des salariés accélèrent, en raison notamment des heures supplémentaires. Cependant, compte tenu de la modération salariale nécessitée par les " 35 heures ", les salariés voient la période de forte croissance s'accompagner d'une progression du pouvoir d'achat par tête qui reste très faible (moins de 1 % par an). Cette situation est difficilement tenable, notamment dans les secteurs qui connaissent des difficultés de recrutement. Il est donc à craindre que les coûts salariaux de production n'accélèrent. Or, la réduction du temps de travail n'est durablement créatrice d'emploi que sous la condition d'une modération durable des salaires.

Enfin, le coût des " 35 heures " pour les finances publiques ne cesse d'augmenter. Ce coût dépasse aujourd'hui très largement le point d'équilibre où s'égalisent les dépenses liées aux allégements de charges sociales, d'une part, les recettes liées aux créations d'emplois induites, d'autre part. Par surcroît, cette dérive risque de s'accentuer si les " 35 heures " sont étendues à la fonction publique sans gel des salaires. Or, la réduction du temps de travail n'est durablement créatrice d'emplois que si la mise en oeuvre ne dégrade pas le solde des finances publiques.

Au total, tous les équilibres macroéconomiques sur lesquels le gouvernement fondait la réussite des " 35 heures " sont rompus.

Dans la conjoncture actuelle, non seulement la poursuite de la réduction obligatoire du temps de travail ne pourrait plus créer d'emplois, mais les emplois qui auraient pu être créés sont menacés. Dans ces conditions, votre rapporteur général estime indispensable d'assouplir immédiatement le régime des heures supplémentaires, et de reporter l'obligation légale de réduction du temps de travail, aussi bien pour les petites et moyennes entreprises que pour les secteurs confrontés à des difficultés de recrutement.

Il semble d'ailleurs que le ministre de l'économie et des finances en ait tardivement pris conscience, puisqu'il s'est récemment prononcé en faveur d'un tel assouplissement. Pourtant, le gouvernement n'a, à ce jour, annoncé aucune mesure concrète en ce sens.

Les déclarations publiques du ministre de l'économie quant à la mise en oeuvre
des " 35 heures "

Interrogé le 3 novembre 2000 par Le Parisien sur la situation économique actuelle de notre pays, M. Laurent Fabius émettait certains doutes en ce domaine, et notamment s'agissant des 35 heures...

Question : Faut-il assouplir la mise en oeuvre des 35 heures dans les PME et comment ?

Réponse : Je suis un homme de gauche, mais pas un doctrinaire ; je suis plutôt un pragmatique. Chacun voit que les situations des entreprises ne sont pas toutes les mêmes. Pour certaines petites entreprises, les 35 heures ne posent pas de problème ; pour d'autres, c'est plus difficile. Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse.

Comme sur la période 1988-1990, des erreurs de politique économique risquent donc de " casser " la croissance impulsée par un environnement international porteur.

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