II. LE VOLET SOCIAL DU PROJET DE LOI N'APPORTE QUE DES RÉPONSES PARTIELLES ET DOIT ÊTRE RENFORCÉ
A. LE PROJET DE LOI NE RÉPOND PAS AUX ATTENTES DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER
1. Un projet de loi timoré
Pour
reprendre la présentation retenue par M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, lors de son audition devant
votre commission, le volet social de ce texte s'articule autour de quatre axes
complémentaires.
•
L'amélioration de la compétitivité des
entreprises et la baisse du coût du travail
Sous ce chapitre peuvent être regroupés les articles 2
(
exonération de cotisations sociales patronales
), 3
(
diminution des cotisations sociales des employeurs et travailleurs
indépendants
), 4 (
exonération de cotisations sociales des
exploitants agricoles
), 5 et 6 (
plans d'apurement des dettes sociales et
fiscales
), 7 (
prime à la création d'emploi pour les
entreprises exportatrices
).
Si les dispositions de ces articles vont, pour la plupart, dans le bon sens,
votre commission observe toutefois qu'elles s'inscrivent très largement
dans le prolongement du droit existant. Les articles 2, 4 et 7
pérennisent des dispositifs mis en place dans le cadre de la loi n°
94-638 du 25 juillet 1994. Les articles 5 et 6 n'apportent eux que de faibles
améliorations, outre la possibilité d'une annulation partielle
des créances sociales. Le droit en vigueur permet en effet
déjà l'étalement des dettes sociales et fiscales et
même l'annulation de dettes fiscales.
Votre commission aurait espéré qu'à défaut de
mesures originales le Gouvernement présente du moins des mesures de plus
grande ampleur que celles prévues par la législation actuelle.
Ainsi, pour s'en tenir au seul article 2, l'exonération de cotisations
sociales patronales est plafonnée à hauteur de 1,3 SMIC (contre 1
SMIC auparavant) et les secteurs bénéficiant de
l'exonération ne sont étendus qu'au tourisme et à la
conchyliculture et, pour partie, au bâtiment et aux travaux publics
(BTP). Elle est certes étendue aux entreprises de moins de 11
salariés. Mais ce seuil d'effectifs ne permet que de couvrir 30 %
des salariés.
•
La création d'emplois pour les jeunes
Ce chapitre apparaît singulièrement pauvre eu égard
à l'importance du chômage des jeunes. Seuls deux articles du
projet de loi initial s'y rattachent peu ou prou : le système de
" parrainage " de l'article 8 et le " projet
initiative-jeune " de l'article 9.
Là encore, l'impact prévisible de ces mesures est sujet à
caution.
Le parrainage semble en effet destiné à rester lettre morte en
l'absence de tout intéressement des parrains. Il semble en
réalité que le Gouvernement s'en remette aux collectivités
locales et surtout à leur capacité de financement. L'étude
d'impact précise, de manière fort instructive, que "
les
conseils régionaux pourront, le cas échéant, indemniser
les vacations des parrains
". Votre commission se permet de rappeler
à ce propos que les collectivités locales n'ont bien souvent pas
attendu le bon vouloir du Gouvernement pour mettre en place des dispositifs de
" tutorat ".
Votre commission observe également qu'il aurait sans doute
été préférable de renforcer les formations en
alternance qui rencontrent de graves difficultés dans les DOM. Ainsi, un
récent rapport
7(
*
)
du
comité de coordination des programmes régionaux d'apprentissage
et de formation professionnelle continue souligne l'importance des taux de
rupture anticipée des contrats d'apprentissage (de l'ordre de 25 %)
et les faibles taux de réussite aux examens (bien inférieurs
à 50 %).
Quant au projet initiative-jeune, il est paradoxal de constater que le projet
de loi encadre cette initiative intéressante de contraintes qui risquent
de la vider de sa substance. Ainsi, s'agissant de l'aide à la formation,
elle n'est offerte qu'aux jeunes suivant une formation proposée par
l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs
d'outre-mer (ANT).
•
La lutte contre les exclusions
Autour de cet objectif se regroupent trois mesures : la création du
titre emploi simplifié (
article 10
), le renforcement du volet
insertion du RMI (
article 12
) et la création de l'allocation de
retour à l'activité (
article 13
).
La création du titre de travail simplifié vise, de manière
légitime, à favoriser la régularisation du travail
dissimulé. Il s'apparente en réalité au chèque
emploi service, qu'il remplace dans les DOM, ou plus encore au titre emploi
simplifié agricole (TESA) institué par la récente loi
d'orientation agricole.
Les modifications apportées au dispositif d'insertion au RMI, qui
s'inspirent largement du rapport Fragonard précité, constituent
un réel pari sur la capacité des agences départementales
d'insertion (ADI) à exercer enfin leurs prérogatives.
L'allocation de retour à l'activité (ARA) est un nouveau
mécanisme dit d'" intéressement ". La question est donc
de savoir si cette allocation sera suffisamment attractive pour inciter les
titulaires de minima sociaux à reprendre une activité
professionnelle.
Ces trois volets sont donc autant de paris. Il est loin d'être
évident que le Gouvernement se soit réellement donné les
moyens d'assurer leur réussite en les entourant de contraintes qui
risquent d'être par trop dissuasives.
•
L'égalité sociale
L'alignement du RMI en 5 ans (
article 11
), l'alignement de l'allocation
de parent isolé en 7 ans (
article 14
) et la révision des
conditions de versement de l'allocation logement (
article 15
)
constituaient les trois propositions initiales du Gouvernement en
matière d'égalité sociale.
Mais, sur ces trois points, votre commission observe que la fixation du montant
de ces allocations se fait par voie réglementaire. Dans ces conditions,
si le Gouvernement avait réellement souhaité approfondir la
politique d'égalité sociale, il n'avait pas besoin de recourir
à la loi.
2. De maigres améliorations à l'Assemblée nationale
L'examen
en première lecture du projet de loi d'orientation par
l'Assemblée nationale les 10 et 11 mai dernier n'a pas modifié en
profondeur l'architecture du volet social du texte. Il n'en a pas moins
été à l'origine de plusieurs inflexions.
Plus précisément, ces inflexions s'articulent autour de deux
thèmes, parfois quelque peu contradictoires.
•
Le souci louable d'améliorer à la marge la
portée du projet de loi
Les débats à l'Assemblée nationale ont mis en
évidence l'émergence d'une certaine inquiétude sur
l'impact effectif du projet de loi. Les parlementaires, et parfois le
Gouvernement, ont alors cherché à améliorer le texte qui
leur était soumis. Ces améliorations restent pourtant marginales.
Parmi les plus sensibles, il est possible de mentionner :
A l'article 2, l'effet de seuil important lié au critère
d'effectif a été pour partie atténué lorsque le
seuil de 10 salariés est dépassé par un lissage
dégressif de l'aide. Le champ des secteurs exonérés a
été étendu aux nouvelles technologies de l'information et
de la communication tandis que le BTP a été même pris en
compte.
A l'article 3, le dispositif de recouvrement unique des cotisations sociales
des employeurs et travailleurs indépendants a été
supprimé.
Après l'article 9, l'Assemblée nationale a adopté un
article additionnel permettant de mettre en place des conventions de
congé-solidarité.
A l'article 11, le délai d'alignement du RMI a été
ramené à 3 ans.
A l'article 13, l'ARA a été étendue aux personnes
embauchées sous contrat d'accès l'emploi.
•
Le souci de " moralisation " des dispositifs
proposés
Parallèlement s'est fait jour la crainte que les dispositions du projet
de loi n'entraînent des " effets d'aubaine " importants, voire
des utilisations abusives des dispositifs proposés. L'Assemblée
nationale a globalement cherché à " moraliser "
certains dispositifs, même s'il est possible de s'interroger sur les
conséquences concrètes de ces tentatives.
Deux exemples sont particulièrement significatifs.
Aux articles 2, 5et 6, les cas de condamnations pénales excluant la
possibilité d'obtenir le bénéfice de l'aide ont
été étendus.
A l'article 10, les conditions d'utilisation du titre de travail
simplifié ont été plus encadrées.