C. L'IMMOBILISME DE LA POLITIQUE DE SOLIDARITÉ
1. L'absence de maîtrise du RMI
a) L'évolution de la créance de proratisation du RMI
La
créance, qui correspond à l'écart de 20 % entre le
montant du RMI dans les DOM et celui de métropole, sert à
financer les actions d'insertion des allocataires du RMI et le logement social.
Elle augmentera de 5,7 % en 2000 pour atteindre 862 millions de
francs.
Cette augmentation ne doit pas faire illusion. Elle témoigne simplement
et mécaniquement de la forte croissance du nombre d'allocataires du RMI
et non d'une attention budgétaire accrue.
b) Un dispositif mal maîtrisé
Si la
forte croissance du RMI tient avant tout à la dégradation de la
situation sociale, il n'en reste pas moins que le dispositif est mal
maîtrisé.
Il souffre en effet d'une double imperfection :
- d'abord, l'insertion professionnelle, malgré des progrès
qualitatifs certains depuis la création des ADI et le nombre non
négligeable d'entrées en emploi ou en formation, est très
insuffisante et a tendance à diminuer. Ainsi, en 1998, moins d'un quart
des allocataires a bénéficié d'une action
d'insertion ;
- en outre, le RMI tend de plus en plus à être
considéré comme un revenu minimum de plein droit. Les
contrôles restent insuffisants et ne se traduisent qu'exceptionnellement
par des suspensions ou des radiations. En outre, comme l'observe le rapport
Fragonard,
" l'avis général est qu'une partie importante,
voire une majorité pour certains des bénéficiaires du RMI
exercent une ou plusieurs activités non
déclarées ".
Face à ce double dysfonctionnement, votre commission ne peut que
déplorer les atermoiements relatifs aux agences départementales
d'insertion.
Créées par la loi " Perben " du 25 juillet 1994, ces
agences départementales d'insertion sont un bon exemple du souci
d'adaptation de l'action publique aux spécificités de
l'outre-mer. Elles visent à renforcer et à optimiser les mesures
en faveur des bénéficiaires du RMI en mobilisant les moyens de
l'Etat et du département en matière d'insertion.
Néanmoins, l'action des agences départementales d'insertion
reste, comme votre commission a pu le constater en Guyane, entravée par
leur statut. Initialement, ces agences étaient des établissements
publics nationaux. La loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre
les exclusions les a transformés en établissements publics
locaux. Pour autant, toutes les conséquences n'en ont pas
été tirées, ce qui implique une nouvelle modification
législative. Elle fera d'ailleurs l'objet d'une ordonnance en
application de la loi d'habilitation du 25 octobre 1999. Mais on ne peut que
regretter les deux années ainsi perdues par le Gouvernement dans
l'adaptation de leur statut.
2. La nécessaire poursuite de l'égalité sociale
a) Une politique au point mort
La
politique d'égalité sociale vise à réduire
progressivement les disparités en matière de droits sociaux et de
protection sociale qui existent entre les DOM et la métropole.
Consacrée par la loi de programme du 31 décembre 1986 relative au
développement des DOM, relancée par les propositions des
commissions Rivierez en 1987 et Ripert en 1990, réaffirmée par le
Président de la République en 1995,
la politique
d'égalité sociale est cependant au point mort depuis trois
ans.
•
Les principales étapes de la politique
d'égalité sociale
La loi du 31 juillet 1991
a prévu
l'alignement des
allocations familiales
des DOM sur la métropole, mais a maintenu les
allocations familiales au premier enfant ainsi que les majorations pour
âge correspondantes. L'alignement est effectif depuis le 1
er
juillet 1993.
La loi du 25 juillet 1994
relative à la famille a étendu
aux DOM l'allocation pour garde d'enfants à domicile (AGED) avec
application au 1
er
janvier 1995.
Les décrets n° 95-1202 et n° 95-1203 du 6 novembre
1995
ont aligné
l'allocation de soutien familial
(ASF)
et
la prime de déménagement
sur les montants
métropolitains à compter du 1
er
septembre 1995.
Au 1
er
janvier,
l'alignement complet du SMIC
des DOM sur le
niveau
métropolitain a été réalisé.
L'écart existant a été comblé par deux
revalorisations successives : une au 1
er
juillet 1995, une au
1
er
janvier 1996.
Enfin,
la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant diverses
dispositions relatives à l'outre-mer
a permis d'étendre aux
DOM, dans les mêmes conditions qu'en métropole,
l'allocation
pour jeune enfant
(AJE) et
l'allocation parentale d'éducation
(APE).
Le coût de l'alignement des prestations familiales a
représenté environ 600 millions de francs.
•
Les entorses existantes au principe d'égalité
sociale
A l'heure actuelle, quatre prestations sociales restent moins favorables dans
les DOM qu'en métropole.
Il s'agit :
- du
RMI
, qui est inférieur de 20 % ;
- de
l'allocation de parent isolé
(API). Il s'agit d'un
revenu minimum garanti dont le montant est de 3.220 francs par mois avec
1.073 francs supplémentaires par enfant à charge. Dans les
DOM, le montant n'est que de 1.810 francs par mois avec 603 francs par enfant
à charge ;
- du
complément familial
(CF). Son montant est de 889 francs
en métropole contre 508 francs seulement dans les DOM ;
- de
l'aide personnalisée au logement
(APL) qui n'existe pas
dans les DOM.
Votre commission s'était prononcée l'an passé en faveur
d'un alignement de l'API et du complément familial.
b) La délicate question de l'alignement du RMI
Aujourd'hui, la question de l'égalité sociale
tend
à se cristalliser autour de celle de l'alignement du RMI.
Votre commission estime qu'il faut avancer avec prudence sur ce point,
même s'il répond au souci d'approfondissement de la politique
d'égalité sociale à laquelle votre commission est tout
particulièrement attachée.
On présente généralement deux inconvénients majeurs
à un tel alignement.
D'une part, il signifierait la disparition de la créance de
proratisation du RMI, censée justement compenser cet écart entre
le RMI des départements d'outre-mer et le RMI métropolitain. Il
faudrait alors dégager l'équivalent de 862 millions de
francs, soit plus de 13 % du budget du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer pour pouvoir maintenir le même financement des actions
d'insertion et de la politique du logement.
D'autre part, en rapprochant le niveau du RMI de celui du SMIC, une telle
mesure aurait pour conséquence le risque d'accroître la
désincitation au travail et de développer le travail
illégal. Une étude menée à la Réunion en
1995 a évalué à 27.000 le nombre de personnes
concernées par le travail illégal pour une population active de
175.000 personnes. D'autres enquêtes laissent supposer que l'emploi
illégal est plus développé encore aux Antilles et en
Guyane.
Ces arguments sont en partie fondés, mais ne peuvent justifier
à eux seuls le refus d'un alignement. Celui-ci doit intervenir pour des
raisons d'équité, mais doit être progressif pour
éviter de possibles effets pervers.
Aussi, votre commission estime qu'il importe au préalable de
repositionner le RMI, d'accroître son efficacité en matière
d'insertion avant de l'aligner sur le RMI métropolitain. Le rapport
Fragonard observe ainsi
" qu'un alignement prématuré,
sans que le RMI ait été au préalable maîtrisé
et recentré sur des politiques d'insertion plus effectives, serait une
erreur économique et sociale, dont les effets pervers seraient lourds et
durables sur l'économie, aggravant les phénomènes
d'assistance et de travail informel ".
Ce risque ne doit pas
être surévalué, mais ne doit pas être non plus
négligé.
Cet effort de repositionnement du RMI dans les départements d'outre-mer
pourrait notamment prendre la forme de ce que le rapport Fragonard nomme une
" allocation de revenu d'activité " (ARA) pour les
allocataires du RMI qui opteraient pour le statut de travailleurs occasionnel.
Cette allocation, d'un montant de 1.000 francs par mois pendant une
durée de deux ans renouvelable, se substituerait au RMI et s'ajouterait
aux revenus d'activité. Une telle mesure aurait ainsi l'avantage non de
favoriser l'assistance, mais d'organiser le retour à l'activité
des bénéficiaires du RMI.
*
* *
Votre
commission considère que ce budget est avant tout un budget d'attente.
Or, la situation de l'outre-mer est actuellement si préoccupante qu'elle
ne peut supporter une année d'inaction avant l'adoption de la future loi
d'orientation.
Elle estime en outre que l'orientation de la politique de l'emploi est tout
particulièrement inquiétante.
Pour ces raisons, votre commission a émis un avis défavorable
à l'adoption des crédits de l'outre-mer (aspects sociaux). Elle a
en revanche émis un avis favorable à l'adoption de l'article 72
du projet de loi de finances rattaché aux crédits de
l'outre-mer.